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CIDADES, Comunidades e Territórios

versão On-line ISSN 2182-3030

CIDADES  no.40 Lisboa jun. 2020

https://doi.org/10.15847/cct.jun2020.040.doss-art01 

ARTIGO ORIGINAL

 

Les sociétés de plantation dans l’économie globale des services domestiques. Le cas de l’Ile Maurice

Plantation societies in the global economy of domestic service. The case of Mauritius

 

Colette Le PetitcorpsI

[I]ICS, Universidade de Lisboa, Portugal. e-mail: lepetit.colette@wanadoo.fr

 

 


RÉSUMÉ

Cet article interroge la forme spécifique d’exploitation des femmes dans les services domestiques aujourd’hui en portant le regard sur la place de la main-d’œuvre féminine issue de la classe des travailleurs des sociétés de plantation dans l’économie globale des services domestiques. Il étudie pour cela le cas de l’intensification des usages des services domestiques à l’Ile Maurice dans le contexte de la désindustrialisation de l’île et de son insertion dans les réseaux transnationaux des global cities. A la différence des approches classiques du service domestique dans l’économie domestique et la reproduction sociale du foyer usager des services, la démarche de recherche explorée examine le service domestique comme étant d’abord un facteur de production du développement économique envisagé par l’Etat postcolonial mauricien. Trois unités d’analyse sont articulées pour traiter des données empiriques collectées par une enquête de terrain de huit mois : le contexte productif national contemporain, les rapports de service domestique passés et présents d’après les représentations de bonnes et d’employeuses et le propre foyer de travailleuses domestiques. Ces outils d’analyse permettent de mettre en évidence la modernité des références coloniales du pouvoir qui sont mobilisées par les procédés d’exploitation néolibérale du temps des femmes dans les services domestiques, et la façon dont ce travail est devenu un site majeur du conflit de classe. L’article entend contribuer à la littérature sur les formes transnationales d’exploitation dans les services domestiques et sur l’histoire des rapports de classe dont les travailleuses domestiques font pleinement partie.

Mots-clés: service domestique, plantation, global city, rapport social, économie morale, Ile Maurice.


ABSTRACT

This article looks after the specific form of exploitation in contemporary domestic service by a focus on female labour force from the plantation societies’ working class in the global economy of domestic service. The case study of Mauritius relates to the intensification of domestic service use in the context of deindustrialization and global cities’ transnational webs. Rather than exploring domestic service work from the perspective of the social reproduction and domestic economy of the served household, I consider first domestic service as a factor of production of the economic development according to Mauritian postcolonial State’s plan. The analysis of the empirical data collected during an 8 months’ fieldwork period brings together three units of analysis: the national productive context, past and present domestic service relations according to maids and employers’ representations, and the proper maids’ household. These analytical tools give evidence of the modernity of colonial power references in the making of the neoliberal exploitation of women’s time in domestic service, and of the way by which this work has turned a major site of class conflicts. This article aims to contribute to the literature on the transnational forms of exploitation in domestic service, as to the studies on the history of class relations to which the domestic workers belong.

Keywords: domestic service, plantation, global city, social relationship, moral economy, Mauritius.


 

L’usage du travail de femmes dans les services domestiques par des foyers des pays du Nord s’est actuellement intensifié et a généré des flux transnationaux de main-d’œuvre sans précédent (Federici, 2002 ; Falquet, 2009). Ce phénomène interpelle, d’autant plus que les théories de la modernisation des années 1970 présageaient la disparition des rapports fondés sur la dépendance personnelle et la loyauté du domestique vis-à-vis du maître qui étaient perçus comme incompatibles avec la société moderne reposant sur le contrat salarial (Coser, 1973). Des études féministes ont au contraire souligné la permanence des rapports d’appropriation de la personne et de son corps-outil de travail pour la croissance des biens et la reproduction du groupe dominant, au cœur de la société salariale (Guillaumin, 1992). Le service domestique en est l’une des expressions les plus concrètes (Anderson, 2000 ; Falquet, 2009 ; Galerand, 2015 ; Hooks, 2015 ; Rollins, 1990). L’appropriation de la personne dans le rapport de travail instauré dans l’espace domestique serait le produit des deux formes historiques articulées des rapports sociaux de sexe et de race (Anderson, 2000 ; Glenn, 2009 ; Rollins, 1990). Ces travaux interrogent la façon dont se perpétue et se réajuste une exploitation spécifique au service domestique dans l’économie contemporaine, néolibérale et globalisée [2].

La cause de l’intensification du marché des services domestiques à l’échelle transnationale a souvent été trouvée dans la conjugaison de deux transformations dans l’organisation du travail des femmes : l’amplification des migrations des femmes des pays du Sud cherchant les moyens de la survie de leur foyer dans les centres économiques du Nord d’une part, et la croissance de l’activité salariée continue des femmes dans les pays du Nord d’autre part (Kergoat, 2009). Le service domestique constitue le point nodal de la rencontre de ces deux processus, où la libération du temps consacré au travail domestique pour augmenter le temps dans l’emploi des unes, passe par le recours à la force de travail d’autres femmes qui sont appauvries par la destruction des moyens de la reproduction de leur économie familiale dans les pays du Sud. Il en résulte une inégalité de classe qui se manifeste dans la relation entre femmes à l’intérieur de l’espace domestique pénétré par les marchés des services de nettoyage, de soin et de prise en charge des personnes vulnérables. Cette organisation internationale de la reproduction sociale (Federici, 2002) prend effet dans le cadre d’une politique étatique néolibérale qui délègue au marché et aux familles une lourde part de la prise en charge sociale de la reproduction des foyers. Ces approches ont tendance à faire du cas de la réorganisation du travail domestique dans les foyers des grandes villes du Nord un principe universel de l’internationalisation de la reproduction sociale contemporaine (Kofman, 2012).

Or, l’expansion des usages des services domestiques a aussi été observée dans certains pays du Sud. Des études comparatives ont montré que les centres névralgiques de la production des travailleuses domestiques pour les migrations au Nord, mais aussi pour les migrations dans les Suds et pour les emplois domestiques sur place, étaient constitués des anciennes colonies fondées sur l’esclavage de plantation (Higman, 2015 ; ILO, 2013). Quelles sont les conditions historiques passées et présentes de ces sociétés de plantation qui expliquent le fait qu’elles soient parmi les premières pourvoyeuses de main-d’œuvre domestique féminine dans l’économie globale des services domestiques ? Cet article vise précisément à examiner la relation que l’on peut établir entre la perpétuation d’une exploitation spécifique dans les services domestiques fondée sur l’appropriation de la personne au travail, et l’insertion de la main-d’œuvre féminine des sociétés de plantation dans l’économie néolibérale globalisée. Il faut pour cela aussi tenir compte des mutations du service domestique observées à différents endroits du monde durant ces quarante dernières années. Les rapports de service d’abord principalement organisés au sein des économies familiales ont été de plus en plus définis par des logiques de marché et de consommation des services domestiques. Cela s’est traduit par des changements radicaux dans les conditions de travail : des emplois à demeure ou à plein temps auprès du même employeur, aux emplois payés à l’heure, à temps partiel et pour divers employeurs. Comprendre ces mutations implique de réinscrire le secteur des services domestiques dans l’évolution des contextes productifs nationaux tels qu’ils s’insèrent dans l’économie mondiale, comme certaines études l’ont montré (Jacquemin, 2009 ; Todd, 2009). Prêter attention à la façon dont les rapports de service domestique se réajustent et s’intègrent à une conjoncture économique particulière de la production nationale permet d’en saisir les enjeux de classe. On interrogera à ce titre dans quelle mesure, dans des moments et des espaces précis, les travailleuses domestiques sont des protagonistes majeures des conflits de classe sur la scène du travail.

Le cas d’étude de l’économie des services domestiques présenté ici est situé à l’Ile Maurice qui est une ancienne société de plantation sucrière. Ce pays a autrefois fourni l’Europe, et en particulier la France et l’Angleterre, en main-d’œuvre féminine pour les services domestiques (Vuddamalay, 1993 ; Le Petitcorps, 2015). Il mobilise aujourd’hui une partie de sa main-d’œuvre féminine pour les services domestiques administrés sur place. L’économie mauricienne a été dominée depuis le début du XIXème siècle par la monoculture de la canne à sucre, pour laquelle la majeure partie des terres et de la main-d’œuvre a été exploitée. L’emploi des femmes se partageait jusque dans les années 1960 entre deux secteurs d’activité : le travail agricole et le service domestique [3]. L’activité sucrière s’est progressivement réduite pour n’occuper plus que 2,1% de la population active en 2018. Dans les années suivant l’indépendance (1968), la main-d’œuvre féminine a été mobilisée en masse pour occuper les emplois d’ouvrière du textile développés dans la Zone Franche (Burn, 1996 ; Ramtohul, 2008). Une récession de l’activité industrielle s’observe toutefois rapidement dès la fin des années 1990 [4] . L’emploi des femmes dans les services des « foyers employeurs » [5] est en revanche demeuré stable. Il se maintient à 9,1% en 2011, tandis qu’on estime une légère remontée à 12,2% en 2018 [6] . Il en résulte qu’aujourd’hui, les femmes employées des services domestiques forment le plus gros contingent des employées aux petits salaires [7]

Pour comprendre l’augmentation, les conditions d’emploi et les rapports de travail des services domestiques dans le contexte de la désindustrialisation à l’Ile Maurice, il est nécessaire de reconcevoir les outils d’analyse avec lesquels les services domestiques ont principalement été étudiés dans les pays du Nord. L’approche classique du service domestique prend pour unité d’analyse principale l’économie domestique du foyer bénéficiaire de services et la relation entre femmes, employeuses et employées, dans l’espace privé. Le travail de service domestique est par cette approche affilié à la sphère reproductive de l’entretien de l’espace de vie et de la prise en charge des membres de la famille qui bénéficie des services. La démarche que je propose pour analyser l’économie des services domestiques d’une société de plantation insérée dans la mondialisation est différente. Elle s’appuie sur trois unités d’analyse dont il s’agira d’examiner la façon dont elles s’articulent. Je traite dans un premier temps du contexte productif national actuel, en recherchant la façon dont le service domestique constitue un facteur de production du développement économique envisagé par l’Etat et par les holdings issues du capital sucrier. J’aborde ensuite les représentations du passé et du présent des rapports de service domestique de la part de bonnes et d’employeuses, pour saisir les spécificités de la forme du foyer usager des services domestiques dans la société de plantation. Je considère enfin le foyer des travailleuses domestiques et leur espace d’habitat comme un site important de l’ethnographie pour comprendre l’appauvrissement engendré par l’intensification du service domestique dans le contexte de la désindustrialisation, ainsi que les formes singulières de l’organisation de la contestation de leur exploitation au travail.

L’analyse développée s’appuie d’une part sur un ensemble de documents consultés pour identifier la place des services domestiques dans la politique économique mauricienne : des textes de lois sur l’investissement depuis les années 2000, des brochures de l’organisme paraétatique du Board of Investment chargé de gérer les investissements sur l’île, des sites internet des holdings issus du capital sucrier, des articles de la presse mauricienne et des rapports de l’institut des statistiques de l’Ile Maurice. Une enquête de terrain de 8 mois entre 2017 et 2019 a permis d’autre part de réunir des données empiriques sur les représentations des rapports de service domestique d’une vingtaine d’employeurs et d’une trentaine de travailleuses domestiques par la réalisation d’entretiens. Je me suis également impliquée durablement dans les relations, le quotidien et les pratiques de travailleuses domestiques dans leur espace d’habitat, dans deux villages de la zone côtière du Sud-Ouest mauricien qui constitue un important bassin d’emplois domestiques. Un tiers des femmes rencontrées sont nées aux alentours des années 1950 et sont aujourd’hui à la retraite, tandis que les deux autres tiers sont des femmes âgées entre 35 et 60 ans qui travaillent actuellement dans les emplois domestiques sur la côte.

 

1. Les services domestiques dans la politique de développement mauricienne et la globalisation financière

Contrairement aux autres pays d’Afrique, l’Ile Maurice n’a pas connu de paysannerie précoloniale avant les colonisations hollandaise (au XVIIème siècle), française (de 1715 à 1810) et anglaise (jusqu’en 1968). Elle est devenue une économie de plantation au début du XIXème siècle, par la mobilisation d’une force de travail esclave qui cultivait la terre concédée à des colons européens, majoritairement français. Le capitalisme agraire s’est développé au cours de la succession des régimes de l’esclavage et de l’engagisme, qui ont contraint des individus et des familles d’Afrique et d’Inde au travail et à la vie dans l’enceinte de la plantation. La progression du capitalisme a conduit depuis les années 1860 à la concentration des terres, des usines et du capital aux mains de quelques familles « franco-mauriciennes ». Le processus d’accumulation et de concentration du capital s’est accompagné de la fragmentation de terres, souvent les moins fertiles et les plus éloignées des usines sucrières : celles-ci ont été acquises par des Indiens ayant terminé leur contrat d’engagé dans les grandes plantations (Virahsawmy, 1979). Les étendues de cannes à sucre recouvrant les plaines intérieures de l’île continuent d’appartenir aujourd’hui à quelques familles franco-mauriciennes, désormais unies en corporations sucrières.

En 1963, à l’approche de l’indépendance, un rapport économique de l’administration britannique rédigé par Meade souligne l’urgence de la sortie de l’île de sa dépendance à la production et à l’exportation du sucre sur le marché mondial (Meade, 1968). Les corporations sucrières vont elles-mêmes impulser la diversification économique des activités de l’île. Elles se constituent pour cela en holdings qui investissent dans d’autres holdings. Cela leur permet de dominer le secteur du textile développé par la Zone Franche dans les années 1970, ainsi que les secteurs du tourisme, des assurances, des finances et de l’immobilier (Virahsawmy, 1979). La classe politique émergente, issue des petits et grands planteurs indiens, s’allie à l’oligarchie sucrière pour mettre en œuvre la politique de développement néolibérale impulsée par la Banque Mondiale, dès les années qui suivent l’indépendance (Seegobin, Collen, 1977 ; Neveling, 2017). La Banque de Développement Mauricienne (BDM) créée en 1964, qui comprend davantage de représentants du secteur privé que de représentants du gouvernement, décide des initiatives principales de la politique économique de l’Etat (Neveling, 2017). La fin du Protocole Sucre, qui offrait des avantages préférentiels aux pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) pour l’exportation du sucre dans l’Union Européenne, est prévue au début des années 2000. La perspective d’ouverture du sucre mauricien à la compétition sur le marché international conduit à restructurer de nouveau l’industrie sucrière par des licenciements massifs, des plans de départ à la retraite anticipée, la mécanisation et la réduction de la production. Sous l’égide de plusieurs cadres des holdings issues du capital sucrier, le Board of Investment (BoI, remplaçant la BDM) pense alors les moyens d’optimiser les usages de la terre jusque-là cultivée pour la canne. Il promeut l’Integrated Resort Scheme (IRS), un plan de conversion de champs de canne en espaces résidentiels fermés et sécurisés de l’immobilier de luxe, accessible aux acquéreurs étrangers. Les premiers investissements dans la construction d’IRS sont réalisés par des holdings issues du capital sucrier sur leurs terres, tandis que viennent ensuite des corporations étrangères qui investissent massivement dans les Property Development Schemes (PDS) [8].

Sur 10,6 milliards de roupies d’Investissements Directs de l’Etranger au premier semestre 2019, 9,5 milliards sont ainsi investis dans le secteur de l’immobilier [9] . Le but affiché de la nouvelle politique de développement est de fabriquer un « global smart country » [10] . L’adaptation locale du concept de développement urbain de la « smart city » consiste à « développer le résidentiel et le commercial sur un ancien terrain sucrier » [11] . Tous les espaces agricoles de l’île sont alors envisagés comme des zones potentiellement constructibles, d’après l’organisme paraétatique chargé du nouveau plan d’aménagement du territoire, l’Economic Development Board (EDB) qui remplace le BoI [12] . La transformation de l’île agricole en grands espaces résidentiels, commerciaux, de travail et de loisirs pour des foyers à hauts revenus telle qu’elle est imaginée par l’élite économique et politique, s’inscrit dans une politique économique et fiscale plus large visant à convertir l’Ile Maurice en centre financier d’excellence régionale et internationale. Plusieurs dispositions ont déjà été prises pour développer l’infrastructure et les accords fiscaux entre pays afin de faire de l’île un hub financier et commercial international facilitant le business en Afrique [13] . Le développement immobilier fait partie de l’infrastructure stratégique et des actifs financiers que la politique économique mauricienne propose aux acquéreurs étrangers. Le territoire mauricien prend ainsi de plus en plus l’allure de ce que Sassen a décrit des « global cities », qui sont la traduction spatiale et matérielle des circuits économiques globaux générés par la finance (Sassen, 2016). Or, l’infrastructure stratégique de la « global city » repose aussi sur la force de travail féminine mobilisée de manière invisible dans les emplois de services subalternes, que ce soit dans les bureaux ou dans les propriétés immobilières des acteurs de la finance globale (Sassen, 2016).

Le propre de l’économie globale et digitalisée de la finance est de masquer les conditions matérielles qui rendent son fonctionnement possible. Il est donc difficile de retrouver les traces des emplois domestiques créés par les global cities, d’autant plus qu’ils restent en grande partie dans le secteur informel. Le Board of Investment n’octroie les permis de construction des projets IRS que lorsque le promoteur a prévu un plan de prestation de services domestiques pour les acquéreurs des villas [14] . Il est toutefois impossible d’évaluer le nombre d’emplois domestiques créés depuis la mise en place de ces programmes. L’Etat masque cet effet collatéral du projet de fabrique d’un « pays à hauts revenus » par les IDE et l’installation d’étrangers aisés [15] . Tout est fait à l’échelle étatique pour cacher la résurgence de la figure de la domestique associée à l’histoire coloniale [16] . L’intensification du secteur des services domestiques ne peut pas être non plus couverte, comme en Europe, du cache-sexe d’une politique de care veillant à la prise en charge sociale de la reproduction des foyers (Falquet, 2009), tant il apparaît avec évidence que les nouveaux emplois domestiques créés sont destinés aux usages de la classe possédante et hypermobile dans le capitalisme global.

La preuve de l’existence de ces emplois se trouve dans la présence visuelle de femmes, habillées de l’uniforme autrefois porté par les domestiques dans les maisons coloniales, au petit matin dans les rues des quartiers résidentiels des espaces côtiers qui concentrent les nouveaux cœurs économiques de l’île. La fréquentation des transports collectifs (bus et vans) à destination de ces zones le matin et en fin d’après-midi, renseigne également sur les pratiques de mobilité quotidienne de femmes venues de différentes villes, qui descendent aux entrées des résidences réservées au personnel de service. La proportion des femmes en emploi dans les services domestiques de la région de Rivière Noire, qui comprend la côte Sud-Ouest de l’Ile Maurice, s’élevait à 16,2% d’après le recensement de la population de 2011. Un quart des récentes constructions immobilières de luxe (programmes IRS et PDS) sont situées sur la côte Sud-Ouest entre les villages de Tamarin et Rivière Noire. La moitié des projets IRS et PDS sont polarisés sur deux espaces côtiers à la valeur foncière importante : Tamarin-Rivière Noire et Grand Baie. Ces zones côtières urbanisées constituent d’importants bassins d’emplois domestiques qui drainent des femmes venant de différents coins de l’île.

J’ai en de rares occasions été témoin des procédés de marketing employés pour vendre à des étrangers, avec la propriété immobilière, la qualité des services domestiques dits « à la Mauricienne » [17] . Cette pratique commerciale, qui utilise le registre de la connivence coloniale sur les qualités naturelles de service perçues des femmes mauriciennes, inclut le service domestique dans la nouvelle chaîne transnationale de production, de vente et de consommation de produits immobiliers. Il ne s’agit pas seulement d’une pénétration de la sphère domestique et du care par le marché (Ugerson, 1997), mais également d’une marchandisation des femmes (Anderson, 2000) et de leurs qualités au service incarnées d’après des stéréotypes coloniaux. La marchandisation des femmes, que ce soit pour les services domestiques ou pour la prostitution, a été observée dans d’autres économies de plantation qui se sont restructurées par le développement du tourisme et de l’immobilier (Shapkina, 2014).

L’examen de la politique économique néolibérale et de la conjoncture de la désindustrialisation (sucrière et textile) à l’Ile Maurice, permet de comprendre l’intensification et les conditions actuelles des emplois domestiques. Les entretiens menés avec des travailleuses domestiques qui ont travaillé dans des résidences IRS ou PDS nous informent que les acquéreurs des villas habitent rarement leur bien immobilier à l’année. Outre ceux qui n’y résident que de manière temporaire (entre 3 et 6 mois), d’autres louent leur villa à des expatriés de passage, quand ils ne revendent pas rapidement leur villa dans une logique spéculative. La forme des emplois domestiques créés dépend de ces fluctuations financières et de l’hyper-mobilité des résidents. Certaines travailleuses domestiques sont restées employées par les différents locataires qui se sont succédés dans la villa d’un même propriétaire. Mais d’autres ont dû rechercher un travail lorsque le locataire partait, le renouvellement de l’emploi de la bonne étant à la discrétion du locataire qui est l’employeur des services domestiques. Parmi les résidents qui ne restent que quelques mois dans l’année, certains souhaitent garder la même bonne, sans pour autant que celle-ci ne travaille ni ne soit payée en leur absence. Les conditions d’emploi créées par les caractéristiques de l’immobilier, qui est avant tout un actif financier, plongent les travailleuses domestiques dans un contexte d’incertitudes économiques quant à la durée de leur emploi, la stabilité du revenu assuré et l’accès à la protection sociale. L’exploitation des bonnes ne s’exprime plus concrètement par l’amplitude horaire du recours à leurs services, mais par l’usage flexible, extensible et rétractable, de leur temps en fonction des plans de vie transnationaux des employeurs. En-dehors des IRS, sur les bordures des plages où la valeur du foncier est la plus forte, des propriétaires de villas mauriciens et étrangers emploient également des travailleuses domestiques. Elles sont à la fois employées pour leur usager personnel et pour offrir divers services (de ménage, de cuisine, de nounou ou d’aide à domicile) aux touristes qui louent leur(s) bien(s) immobilier(s). Cette dernière part de l’emploi domestique consacrée aux revenus du tourisme n’est souvent pas déclarée, parce qu’elle est ajustée à la demande et à la fluctuation de la clientèle. Le travail de la bonne est dans ce cas rendu flexible, au profit des bénéfices espérés de la location touristique. C’est donc la travailleuse qui supporte le risque de réaliser « une mauvaise saison », sans que le niveau de sa rémunération horaire ne compense l’instabilité du revenu obtenu du travail dans ce type d’emploi [18] .

Les conditions des emplois domestiques du « global smart country » mauricien se retrouvent sans doute dans les autres pôles économiques mondiaux des global cities, qui ne sont désormais plus uniquement localisées dans les pays du Nord (Sassen, 2016). Ces conditions d’emploi sont manifestes de la transformation des services domestiques en bien de consommation à usage temporaire, dans la logique d’une économie de marché. Si les services d’assistance et de conseil du marché de l’immobilier sont sophistiqués, on constate en revanche que le recrutement du personnel domestique dans les complexes immobiliers est plutôt laissé à la discrétion des résidents à l’Ile Maurice. La mise en relation entre usagers et travailleuses domestiques continue de se passer de manière informelle par le bouche à oreille. On a aussi vu que la marchandisation des femmes employées domestiques passait par le recours à des stéréotypes coloniaux sur leurs qualités incarnées au service. Il convient de se demander dans quelle mesure l’actuelle marchandisation des femmes pour constituer l’infrastructure du global smart country, s’appuie sur la structure et les représentations ancrées des rapports de service domestique de la société de plantation.

 

2. Les rapports de service domestique de la société de plantation

D’après Higman, le fait que les sociétés héritières de l’esclavage de plantation soient les productrices des plus larges proportions de travailleuses domestiques dans le monde est lié aux fortes inégalités de richesse dans ces sociétés, ainsi qu’à l’héritage institutionnel de la colonie de plantation (Higman, 2015). Un des legs principaux est l’idée de race qui a été produite dans l’organisation du travail de la production agricole (Thompson, 2012 ; Bastos, 2018), et qui constitue à la fois le mode et le résultat de la domination coloniale moderne (Quijano, 2007). Afin d’examiner l’héritage institutionnel particulier de la colonie de plantation dans les rapports de service domestique contemporains, j’analyse les représentations du passé des rapports de service domestique telles qu’elles sont exprimées par les souvenirs d’anciennes bonnes qui ont travaillé avant l’indépendance, en les mettant en relation avec les pratiques et les représentations des rapports de service domestique d’employeuses et de bonnes au présent de l’enquête. L’analyse considère la pluralité des foyers qui ont recours aux services domestiques aujourd’hui à l’Ile Maurice, de la classe moyenne urbaine aux nouveaux résidents étrangers des espaces côtiers.

Dans les années 1950, près d’un quart des foyers de l’Ile Maurice résidait encore sur la propriété de familles usagères de leur main-d’œuvre [19] . La condition du logement des familles de travailleurs sur la propriété exploitant leur force de travail conférait la dépendance des travailleurs aux propriétaires terriens. Cette forme d’exploitation fondée sur le travail non libre est structurelle à l’économie de plantation qui s’est développée sous le régime esclavagiste, à partir des années 1820 à l’Ile Maurice (Teelock, 1998). Après l’abolition de l’esclavage, l’exploitation par le travail non libre s’est recomposée sous diverses formes de salariat bridé (Moulier-Boutang, 1998), grâce au maintien du « foyer de plantation » comme unité de production principale contenant en son sein les rapports de production et de reproduction de l’ensemble de la société (Fox-Genovese, 1988). Certaines de ces unités de production qui exploitaient la terre pour la production principale de la canne à sucre ont perduré jusqu’au démantèlement des derniers camps de travailleurs et des dernières dépendances de bonnes dans les années 2000.

Les femmes les plus âgées de mon enquête qui ont habité et travaillé soit dans une plantation, soit dans une saline, soit dans un terrain de chasse ou soit dans la cour d’une maison dans les années 1960, 1970, voire 1980, parlent de leur travail et de leur statut social à l’époque en disant qu’elles « travaillaient pour » les propriétaires de ces terrains. La condition commune du travailleur non libre est signifiée par les expressions créoles. Tour à tour laboureuses, bonnes et/ou travailleuses des salines durant leur parcours de vie, ces femmes âgées résument leur condition par le fait qu’elles « travaillaient pour les Blancs ». Elles définissent donc moins leur travail d’après la tâche spécifique effectuée, que d’après le groupe social auquel son produit appartenait (Le Petitcorps, 2019). La catégorie raciale de « Blanc » exprime dans leur discours une condition matérielle qui était celle d’être propriétaire de la terre. Le rapport de race intériorisé par les femmes qui ont travaillé dans les foyers de plantation traduit dans les représentations un rapport social entre les propriétaires de la terre et leurs travailleurs dépendants.

L’économie des rapports domestiques de ce contexte historique n’était pas propre à la sphère privée, comme dans le capitalisme de marché (Fox-Genovese, 1988). Elle était incluse dans l’unité du foyer de plantation qui, de la plus petite cour au grand établissement sucrier, contenait encore dans les années 1960 une importante partie de l’activité de production de l’île. La production s’obtenait par le rapport de dépendance des travailleurs aux propriétaires terriens, qui définissait aussi les relations entre les bonnes et principalement les patronnes. Les « rituels de déférence » (Rollins, 1990) obligés dont les anciennes bonnes rencontrées se souviennent, avaient selon elles pour but de marquer leur infériorité au quotidien, comme le raconte par exemple Solange à propos de son expérience du travail dans les années 1960 :

Solange : « Le monsieur m’a dit un jour « viens ouvrir la porte pour mon entourage ! Viens ouvrir la porte quand je rentre chez moi ! » Ça veut dire que je dois sortir de chez moi, je dois courber ma tête plus bas encore, pour aller lui ouvrir la porte, juste lui ouvrir la porte, et retourner chez moi, le premier janvier ça ! Juste pour lui ! [20] »

Du point de vue des anciennes bonnes de l’enquête et de leur « connaissance de l’intérieur » des mécanismes de la domination (hooks, 2015), le travail de domestique était envisagé par les propriétaires terriens et par les relais de leur autorité dans la maison (leurs épouses), comme étant la manifestation quotidienne exacerbée, imprimée dans les gestes des corps, de la subordination constitutive du rapport de race.

La hiérarchie socio-raciale établie dans les rapports sociaux internes aux foyers de plantation s’est diffusée de manière durable à l’ensemble de la société, comme des travaux l’ont montré dans d’autres sociétés de plantation telles la Guyana (Williams, 1991). La constitution d’identités ethniques, regroupant les individus d’après leur vague migratoire d’origine présumée – indienne, chinoise, musulmane par exemple à l’Ile Maurice – a répondu à diverses reprises à des stratégies politiques de la part des élites émergentes, qui visaient ainsi à garantir leur accès aux ressources économiques et politiques de la nation à l’approche de l’indépendance (Chan Low, 2008). Les stratégies ethniques de mobilité sociale s’inscrivent toutefois toujours dans les contraintes idéologiques créées par la domination coloniale européenne. La compétition ethnique pour les ressources nationales dans l’Etat postcolonial ne se joue que pour la « seconde place », après les Blancs, dans la continuité de l’hégémonie coloniale raciste (Williams, 1991).

Avoir une bonne, ne serait-ce que pour quelques heures par semaine [21] , constitue à ce titre une marque de statut définie par l’aspiration au rapprochement de la blanchité de toutes les classes qui accèdent à la propriété, comme des travaux l’ont aussi montré en Jamaïque (Johnson, 2007) ou en Amérique latine (Foote, 2015). La culture d’usage des services domestiques au sein des classes moyennes de la société mauricienne aujourd’hui (un foyer sur dix emploie une travailleuse domestique [22] ) résulte de la contrainte idéologique imposée par l’hégémonie coloniale dans la représentation de la mobilité sociale : celle-ci ne peut s’imaginer sans disposer d’une bonne. On remarque ainsi dans les discours d’employeuses issues de familles de commerçants chinois ou de petits planteurs indiens, que le fait d’avoir une bonne pour effectuer des tâches d’entretien de la maison n’est pas conditionné à leur activité professionnelle, comme on pourrait le voir en Europe aujourd’hui. Cela dépend plutôt du fait de disposer ou non de moyens suffisants, comme le précise par exemple Uma, fille d’un petit planteur qui réside aujourd’hui dans les beaux quartiers d’une ville de l’intérieur de l’île :

Uma : « Ma maman avait 5 enfants, donc les 5 enfants étaient gardés par ma maman. Et… ma maman ne travaillait pas. Et on n’avait pas le moyen financier aussi pour prendre une personne qui garde les enfants. Mais par contre ma maman, et je peux vous dire, pour trois générations donc ma grand-mère, ma maman et moi-même, on a toujours eu des bonnes à la maison. Donc bonne, nécessairement pour faire les, les repassages, la lessive parce qu’il y avait pas les machines à laver, le nettoyage de la maison et…voilà. [23] »

D’après le discours d’Uma, les tâches et les heures de travail de la bonne commandées s’envisagent en fonction des revenus du foyer. Elles s’amplifient à mesure de l’accroissement des revenus du foyer selon les conventions sociales. La possession d’une bonne et les caractéristiques de son travail constituent ainsi des attributs de l’appartenance de classe des employeurs, qui matérialisent la façon dont ceux-ci se projettent dans les rapports de pouvoir. Si les rapports de service domestique ont pénétré l’économie familiale des couches moyennes de la population, le rapport social fondé sur la propriété continue d’opérer : prennent des services celles et ceux qui sont propriétaires d’une maison, tandis que rendent les services celles qui habitent les maisons des cités, aux murs en amiante ou plafonds de tôle. Tous les employeurs rencontrés, des membres de la classe moyenne urbaine aux nantis des espaces résidentiels de luxe, sont obsédés par les risques de vols qui pourraient être commis par la bonne. Cette peur est un effet des écarts de richesse qui structurent les rapports de service domestique encore aujourd’hui.

Les relations interpersonnelles des employeuses à leur bonne dans les espaces domestiques sont de toute évidence variées d’un foyer à l’autre. Elles mobilisent plus ou moins les rituels de déférence représentés des rapports de service domestique du foyer de plantation. Certaines patronnes perpétuent ainsi le contrôle des faits et gestes de la bonne dans leur maison ou maintiennent la séparation des lieux et des couverts du repas entre la bonne et la famille servie. Des formes d’expression concrète de l’exploitation des bonnes semblent également toujours s’organiser en référence au rapport de production et de reproduction du foyer de plantation. Une bonne peut par exemple aussi bien être employée aux tâches domestiques, qu’aux activités de production possédées par ses employeurs, telles un commerce, un restaurant ou un magasin de vêtements. Elle est aussi communément employée par plusieurs membres d’une même famille de propriétaires, ce qui entretient sa dépendance personnelle à cette famille. Il existe une diversité de pratiques, d’usages et de relations des services domestiques, pour néanmoins une même représentation sociale des rapports de service domestique issus des rapports de dépendance et de subordination des foyers de plantation.

De nombreuses travailleuses domestiques que j’ai rencontrées pensent pour leur part que leurs employeurs s’imitent les uns les autres, et qu’ils cherchent notamment à imiter les manières de faire qu’ils imaginent des Blancs. Elles savent qu’il faut avoir une bonne pour consacrer son statut de propriétaire ou son appartenance de classe, car elles font l’expérience du jeu de rôle que des employeurs donnent à voir pour manifester l’exercice de leur pouvoir. Annabelle par exemple, une femme de la quarantaine, raconte par des images symboliques l’attitude de sa patronne qui appartient à la classe moyenne :

Annabelle : « Il faut qu’elle soit assise dans son fauteuil et qu’elle me demande « Va chercher ci ! Va chercher ça ! » Et moi, je dois courir chercher comme une esclave et lui ramener dans la main qu’elle tend ! (Anabelle rit) [24] ».

De même il fait partie du savoir des travailleuses domestiques que les nouveaux résidents étrangers ont tendance, après quelques semaines d’acclimatation, à adopter avec leur bonne les mêmes pratiques que les Blancs afin de s’intégrer à ce groupe social. Ils ajoutent par exemple de nouvelles tâches et des heures de travail non payées au fil du temps.

Les rapports de service domestique établis dans les foyers de plantation d’autrefois ont fourni un univers symbolique commun aux femmes employées comme bonnes et aux employeurs de service domestique installés aujourd’hui, de manière temporaire ou permanente, à l’Ile Maurice. Les rapports de travail dans les emplois domestiques créés par le « global smart country » s’élaborent à partir de cette construction sociale coloniale de la réalité. Le travail de service domestique avait autrefois pour fonction de fixer les rapports de race fondés sur la différence de propriété dans les gestes des corps des membres servis et des membres servant des foyers de plantation. Il s’observe aujourd’hui un autre processus qui est celui de la « racisation du travail domestique » (Kergoat, 2009), par l’extension des rapports de race aux économies familiales des classes moyennes et des nouveaux résidents étrangers. Les représentations des rapports de service domestique du passé sont mobilisées pour accomplir l’impératif de tenir son rang, dans la hiérarchie socio-raciale sur le territoire mauricien. Elles donnent donc forme aux rapports de travail du service domestique au présent. Elles peuvent également circuler dans l’espace transnational avec les outils modernes de la marchandisation des femmes mauriciennes pour les tâches de service. Le sarcasme avec lequel les femmes employées comme bonnes observent ces logiques de classe, indique toutefois qu’elles remettent en cause la légitimité de leurs employeurs à exercer leur pouvoir dans l’espace domestique à l’image des rapports sociaux d’autrefois.

 

3. Dans le foyer de travailleuses domestiques

Les femmes employées dans les services domestiques sont aujourd’hui confrontées à la fois à l’incertitude de la pérennité de l’emploi, aux représentations coloniales des rapports de travail de leurs employeurs et à la faible rémunération de leur travail, qui est légalement maintenue à un taux très bas pour que les classes moyennes puissent consommer des services domestiques [25] . L’articulation de ces conditions de travail écrase les travailleuses domestiques sous les effets conjoints de l’exploitation du contexte néolibéral et de la domination traditionnelle coloniale. Prendre pour objet d’analyse les foyers des travailleuses domestiques permet de rendre compte des conséquences de l’économie des services domestiques du contexte postcolonial et global sur les moyens de la reproduction des foyers de travailleurs. Il convient pour cela de considérer l’importance particulière du travail des femmes dans les services domestiques pour la reproduction des foyers de travailleurs en contexte de récession économique (Todd, 2009 ; Jacquemin, 2009) ou de désindustrialisation comme cela est le cas aujourd’hui à l’Ile Maurice. Le foyer, et plus largement l’espace d’habitat des femmes employées comme bonnes, constitue également un site de relations sociales qui s’organisent « loin de l’observation des puissants » (Brites, 2000). Cela m’a été donné à voir du fait que les espaces d’habitat populaires des travailleuses domestiques (cités, villages autonomes, anciens camps de travailleurs) m’étaient a priori interdits d’accès en tant qu’étrangère, européenne et blanche. On peut faire l’hypothèse que l’espace d’habitat autour du foyer des travailleuses domestiques soit investi de formes de préparations de la contestation à l’exploitation et à la domination du service domestique. Il s’agit d’étudier les formes spécifiques que prend cette contestation, dans le contexte historique de la plantation et dans le contexte présent de la prise en charge quasi-totale de la reproduction des foyers de travailleurs par les femmes.

La restructuration de l’activité sucrière depuis ces trois dernières décennies, ainsi que le développement de l’industrie textile dans la Zone Franche employant en majorité des femmes, ont non seulement concouru à la croissance du taux d’activité des femmes sur le marché de l’emploi, mais également contribué à ce qu’elles deviennent de plus en plus les pourvoyeuses principales des ressources financières pour la reproduction de leur foyer (Ramtohul, 2008). La moitié des femmes rencontrées durant mon enquête de terrain sont les pourvoyeuses principales des revenus de leur foyer, soit parce que le père de leurs enfants a quitté le foyer, soit parce qu’il est sans emploi ou dans un emploi moins rémunéré que le leur. L’exploitation du travail des mères seules semble être une composante majeure de la phase de prolétarisation de la main-d’œuvre dans les sociétés de plantation (Collins, 2000) et de la phase des désindustrialisations. Le revenu du travail des femmes dans les emplois domestiques créés dans le cadre du développement économique du « global smart country », est aujourd’hui essentiel à la survie des foyers de travailleurs vivant dans les quartiers d’habitat modestes. Cependant, le niveau de rémunération des services domestiques et les conditions des emplois domestiques actuels (à temps partiel, temporaires et en partie non déclarés), n’apportent pas les revenus suffisants pour que les femmes garantissent le maintien en vie de leur foyer. Pour réunir l’ensemble des revenus nécessaires à la couverture des dépenses pour la reproduction des membres du foyer dont elles ont la charge [26] , elles sont alors contraintes de cumuler plusieurs travails rémunérés et divers systèmes de financement. Elles multiplient les emplois domestiques et de nettoyage, elles développent des activités de vente de produits à destination des habitants de leur environnement proche (comme des travaux de couture ou des plats cuisinés), elles contractent des crédits auprès de membres plus aisés de la communauté, elles s’associent à d’autres personnes dans des systèmes d’épargne propres (les « sits », formes de tontines) et parfois vendent des services sexuels aux hommes de la communauté.

La valeur que les femmes donnent à leur travail pour les employeurs de service domestique n’est alors pas relative à la quantité et à la qualité du travail qu’elles effectuent dans l’espace domestique d’autrui. Elle correspond plutôt à la juste rémunération de leur travail qu’elles évaluent d’après le temps qu’elles lui ont alloué, dans l’objectif d’obtenir la part principale des ressources nécessaires à la subsistance de leur foyer. La mesure de la valeur financière de son temps de travail face à la menace de la survie de son foyer n’est pas un réflexe naturel. Elle obéit à une conception populaire de la justice en matière de transaction économique qui a fait l’objet d’une définition sociale et morale interne aux communautés organisées autour de leur subsistance (Scott, 1976). Les femmes employées comme bonnes rencontrées jugent que les employeurs qui ne paient pas le temps de travail qu’elles leur consacrent d’après la valeur financière qu’elles ont défini selon leur éthique de subsistance, ne respectent pas leurs droits. Ce droit n’est pas relatif au dispositif légal instauré par l’Etat, mais à leur propre conception morale et institutionnalisée des ressources que leur travail doit procurer pour le minimum de subsistance de leur foyer. Le non-respect de cette norme sociale provoque le ressentiment et la colère des femmes vis-à-vis des usagers de leurs services, comme le montre par exemple cet extrait du discours de Shakti, mère de deux enfants et unique pourvoyeuse des revenus de son foyer :

Shakti : « Je travaille six jours, pour 4000 roupies par mois. (…) Le temps que je calcule, 4000 roupies six jours par semaine pour travailler, je compte ça fait 25 roupies de l’heure. « Ah ben dites-moi Monsieur » j’ai dit, « dans 25 roupies qu’est-ce que je gagne ? » [Elle me regarde en colère comme si j’étais le monsieur en question]. Toutes les semaines vous faites vos courses ben votre employée elle n’a pas le droit de faire ses courses ? [27] »

L’origine sociale institutionnalisée de la valeur donnée par mes interlocutrices à leur travail dans les emplois domestiques doit d’abord être recherchée dans les souvenirs d’enfance qu’elles relatent. Ceux-ci rendent compte de leur socialisation dans la communauté de subsistance des travailleurs des foyers de plantation. Les femmes rencontrées, qui sont aujourd’hui âgées entre 35 et 60 ans et employées des services domestiques, ont pour la plupart travaillé depuis leur enfance afin de participer à la survie commune de leur foyer. Elles ont vécu les dernières heures du système de production des foyers de plantation qui impliquait que les enfants aident leurs parents à partir de 9, 10 ou 12 ans à constituer les ressources du foyer. L’exposition du foyer à la mort du pourvoyeur principal des revenus précipitait souvent le travail des enfants. Les narrations des femmes qui ont vécu ces conditions traduisent une intériorisation précoce de l’obligation à la fois matérielle et morale de travailler pour que tous les membres du foyer aient de quoi manger. La participation à la lutte commune pour la survie du foyer dès le plus jeune âge est évoquée par l’emploi du pronom « nous », qui unit l’ensemble des membres du foyer dans la conduite de cette action. La lutte pour la survie du foyer s’exerçait dans un continuum d’activités allant de la réalisation de travaux pour les propriétaires des foyers de plantation (dans les champs ou dans les maisons), à des activités de subsistance organisées en-dehors et de manière socialement autonome des unités de production des plantations. Les femmes et les enfants allaient notamment nourrir la vache de la famille avec du foin ramassé dans les champs de canne, cueillir des fruits et légumes ou chercher du bois en petit groupe avec d’autres membres de la communauté des travailleurs, sur les terres des propriétaires.

D’après ces souvenirs d’enfance collectés, le rapport des travailleurs des foyers de plantation aux propriétaires terriens était donc investi d’une norme sociale de ce que les premiers considéraient devoir s’obtenir en échange du travail pour les seconds. Ils devaient obtenir le minimum de la subsistance de leur foyer et de leur communauté par la rémunération en nature (logement, alimentation, frais de santé parfois) et par l’accès négocié à la terre pour les ressources de subsistance secondaire. Une partie de la subsistance était organisée de manière relativement autonome des foyers de plantation, dans les relations sociales internes aux travailleurs où les femmes et les enfants avaient un rôle primordial. Pour les besoins de la survie quotidienne, une organisation sociale dans les marges de plantation s’est donc instituée, avec ses propres codes moraux, de façon alternative à l’organisation du travail imposée dans les foyers de plantation par les propriétaires terriens (Mintz, Price, 1992 ; Trouillot, 2002). Il en résulte l’existence d’un « système de double valeur » observé dans d’autres sociétés de plantation (Trouillot, 1992) et qui perdure aujourd’hui. La valeur que les employeurs donnent au service domestique, pour leur statut dans la hiérarchie socio-raciale, se distingue de la valeur que les femmes donnent à leur travail de bonne, pour garantir le minimum de subsistance à leur foyer. Ces deux systèmes de valeur entrent même en conflit.

L’accès progressif de l’ensemble des foyers de travailleurs des plantations au logement indépendant depuis les années 1960, le passage à la rémunération exclusivement financière du travail et le rétrécissement des espaces des pratiques communautaires avec le développement intensif des zones résidentielles de luxe, notamment dans l’espace côtier investigué, ont conduit à réorganiser les moyens de la subsistance. Ajouté au fait que les femmes prennent désormais en charge la quasi totalité de la reproduction du foyer, il y a de leur part un sentiment de perte de la garantie du minimum de subsistance devant s’obtenir de leur travail. Le principe de réciprocité qui tenait le rapport des travailleurs aux propriétaires des foyers de plantation est par conséquent rompu. Avec les nouvelles conditions des emplois domestiques du contexte économique du « global smart country », les femmes ne peuvent plus s’acquitter de leur obligation morale de prendre en charge le maintien en vie de leur foyer. L’enquête ethnographique menée dans l’espace côtier du Sud-Ouest mauricien m’a permis de découvrir que des femmes employées comme bonnes habitant cette zone, étaient en train de produire leur propre code moral des rapports de travail dans les services domestiques. Ce code moral s’appuie sur la règle explicitée en créole qui consiste à « faire ses conditions » avec les employeurs. « Faire ses conditions » veut dire agir sur sa rémunération (à la hausse), sur ses tâches (refuser de faire la cuisine notamment) et sur son temps de travail (refuser de travailler l’après-midi et le samedi en particulier). Cette pratique est réalisée dans le face à face aux employeurs, au moment de l’embauche et entretenue durant la relation de service. Apparemment individuelle, la définition de ses conditions de travail dans les emplois domestiques résulte néanmoins d’une action collective. Elle s’organise à l’occasion des conversations que les femmes ont entre elles, dans les espaces informels de rencontre dans leurs lieux d’habitat : aux coins de rue, dans les petites boutiques, sous les porches des maisons et aux abords des lieux de prière. L’entretien et la recomposition de réseaux de solidarités entre travailleuses ancrés dans l’espace côtier, contiennent les moyens de redéfinir les conditions de travail des emplois domestiques sur la côte. L’organisation économique et sociale qui se passe dans les espaces d’habitat des travailleuses domestiques participe ainsi à la dynamique des rapports de service domestique contemporains.

L’analyse de la situation économique du foyer des travailleuses domestiques, de la valeur subjective qu’elles donnent à leur travail et de leurs pratiques sociales pour redéfinir leur conditions de travail dans les emplois domestiques, permet de rendre compte d’un autre effet de l’appauvrissement des femmes que le processus des migrations des femmes du Sud vers les emplois domestiques des pays du Nord (Federici, 2002). Dans les localités qu’elles habitent de manière enracinée, les femmes dont la survie du foyer est menacée contribuent à modifier leurs conditions de travail. Les employeurs qui estiment que ces femmes habitantes de la côte commencent à prendre trop de pouvoir dans les rapports de travail, ont alors tendance à embaucher des femmes venant d’autres régions de l’île qui n’ont pas encore les moyens de s’appuyer sur des réseaux de solidarité dans leur contexte local de travail. Il est donc important de prendre en compte la part d’action que des groupes de femmes, si petits soient-ils, ont dans les rapports de service domestique dans le contexte de la destruction des moyens de la reproduction de leur foyer. Cela permet de comprendre la façon dont les marchés du service domestique sont réorganisés par le recours à la migration de la main-d’œuvre, de façon à mettre un frein aux diverses formes d’organisation politique des travailleuses domestiques.

 

Conclusion

L’Ile Maurice constitue un cas d’étude de l’économie contemporaine des services domestiques d’une société de plantation dans la mondialisation. Il souligne le processus de marchandisation et d’accaparement du temps des femmes pauvres d’une société de plantation dans les chaînes transnationales de commercialisation, de vente et de consommation des produits de l’économie du tourisme et du développement immobilier qui relient les « global cities » entre elles. Le cas mauricien montre que ce processus généré par la politique économique néolibérale s’articule aux représentations des rapports de service domestique qui continuent de prendre pour référence la hiérarchie socio-raciale élaborée dans les foyers de plantation. L’analyse du point de vue de travailleuses domestiques d’après la situation de leur propre foyer a permis de souligner la façon dont leur approche subjective du travail et des rapports de travail dépendait à la fois de la mémoire des institutions culturelles créées par les travailleurs dans les marges de la plantation et du contexte de la transformation violente des moyens de la subsistance des foyers que les femmes prennent de plus en plus en charge seules. De nombreux points communs peuvent s’observer avec l’économie des services domestiques d’autres sociétés de plantation.

Les résultats obtenus encouragent à poursuivre les recherches qui interrogent la place de la main-d’œuvre féminine issue de la classe des travailleurs des sociétés de plantation dans l’économie globale des services domestiques contemporaine. Il se pourrait que cette main-d’œuvre soit la première à faire l’objet des modes pluriels d’exploitation transnationale de la force de travail et du corps-outil de travail des femmes appauvries dans le contexte des restructurations économiques et des désindustrialisations. Tout comme la main-d’œuvre féminine mauricienne a été exploitée dans les services domestiques en Angleterre et en France, dans les pays du Golfe et maintenant sur place dans le « global smart country », d’autres populations féminines des anciennes sociétés de plantation ont été exploitées par de multiples façons dans les marchés transnationaux des services domestiques : dans les anciennes métropoles coloniales d’abord, dans les zones franches des pays émergents du Sud et dans les sociétés de plantation elles-mêmes ensuite. Le caractère pluriel de l’exploitation transnationale des femmes de la classe des travailleurs des sociétés de plantation est à la fois le produit d’une politique économique qui avance masquée, d’un contexte productif national des économies de plantation qui menace fortement la reproduction des foyers des travailleurs et d’un univers symbolique commun, diffusé par les élites hyper-mobiles, de l’importance d’ « avoir » ces femmes pour bonne afin de consacrer son statut socio-racial (Foote, 2015).

Les outils d’analyse employés pour conduire cette étude permettent enfin de rendre compte de la production dynamique des rapports de service domestique dans le contexte contemporain. L’analyse des représentations du passé et du présent des rapports de service domestique de bonnes et d’employeurs, permet de rendre compte de la modernité de la colonialité du pouvoir (Quijano, 2007) dans les procédés d’exploitation néolibérale du temps des femmes appauvries. L’examen de la politique économique et du point de vue de travailleuses domestiques vis-à-vis de la situation de leur propre foyer conduit à réinscrire les relations entre femmes de l’espace domestique dans des rapports de classe, qui sont relatifs aux rapports de race entre travailleurs et propriétaires terriens dans le contexte étudié. On ne peut désormais plus écarter l’hypothèse que l’espace domestique de service peut aujourd’hui, partout dans le monde, devenir un site majeur du conflit de classe. Cela pourrait dépendre des réseaux de solidarité dans lesquels les travailleuses s’inscrivent et de la façon dont elles interpréteront l’appauvrissement de leur foyer, l’écart grandissant des richesses avec leurs employeurs et la représentation que ceux-ci ont de la relation de service. L’appauvrissement des femmes et l’intensification des services domestiques sont des phénomènes dont l’interconnexion est suffisamment démontrée aujourd’hui pour que s’affirment les recherches qui placent les travailleuses domestiques au centre de l’histoire des rapports et de la lutte des classes (Todd, 2009 ; Brasão, 2012 ; Nadasen, 2016).

 

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Cette recherche a été conduite dans le cadre du projet ERC Advanced Grant « The Colour of Labour. The racialised lives of migrants » dirigé par Cristiana Bastos à l’Institut des Sciences Sociales de Lisbonne. Je souhaite remercier Cristiana Bastos, ainsi que mes collègues Irene Peano et Marta Macedo pour leur relecture qui m’a permise d’enrichir l’analyse développée dans cet article.

 

Received: 16-02-2020; Accepted: 02-06-2020.

 

NOTES

[2] 40,18% des femmes actives sont dans le travail agricole et 27,15% des femmes actives sont dans les services domestiques (housekeepers, cooks, maids and related workers) d’après le Recensement de la population de 1962, volume 2, Statistics Mauritius. Les proportions ont été calculées en mobilisant les catégories des « occupation groups » de l’International Standard Classification of Occupation mobilisé par les statistiques mauriciennes.

[3] Avec une réduction de moitié de leur proportion dans le secteur manufacturier de 2000 à 2011 : 42, 69% des femmes en emploi sont dans le secteur manufacturier en 2000, contre 22,24% en 2011.

[4] Le recensement de la population de 2011 mobilise les catégories de l’International Standard Industrial Classification (ISIC), Révision 2, de l’Organisation International du Travail (OIT). La section des « activities of household as employers » de cette révision récente de l’ISIC permet d’avoir des données précises sur l’emploi domestique.

[5] J’ai utilisé les données de Statistics Mauritius sur l’emploi du Continuous Multi-Purpose Household Survey de 2018 mobilisant les catégories de l’ISIC. Le dernier recensement de la population date de 2011.

[6] 37,2% des femmes employées des « elementary occupations » (catégorie statistique 9 de l’ISIC qui rassemble les emplois les moins payés), sont dans les « activities of household as employers » au recensement de la population de 2011 (contre 13,58% des femmes dans le travail agricole et 18,22% des femmes dans le secteur manufacturier).

[7] Il s’agit d’une version réaménagée de l’IRS de 2016.

[8] Selon un article de L’Express du 26 novembre 2019, de Villen Anganan et Lindsay Prosper, « IDE : plus qu’urgent de diversifier… », https://www.lexpress.mu/article/365999/investissements-directs-etrangers-plus-quurgent-diversifier.

[9] Board of Investment Mauritius (2015), Smart City Scheme Guidelines, https://www.edbmauritius.org/schemes/smart-city-scheme/p.6.

[10] C’est la définition employée par le représentant d’un promoteur immobilier rencontré dans le cadre du Forum Expats à Paris en juin 2019. Ce Forum a été organisé à Paris les 12 et 13 juin 2019 par Courrier International et Le Monde, pour aiguiller des jeunes dans leur recherche d’emploi à l’étranger. 7 groupes mauriciens étaient présents pour fournir essentiellement du conseil immobilier à des Français désireux d’investir dans la propriété à l’Ile Maurice.

[11] Lors de ce Forum, un représentant de l’EDB a présenté en grande conférence une carte de l’Ile Maurice quasiment vierge, en ajoutant que tous ces espaces vierges étaient potentiellement constructibles.

[12] Voir l’exposé du Mauritius Leaks, 23/07/2019, https://www.icij.org/investigations/mauritius-leaks/treasure-island-leak-reveals-how-mauritius-siphons-tax-from-poor-nations-to-benefit-elites/.

[13] Board of Investment Mauritius (2016), The Property Development Schemes Guidelines, http://www.edbmauritius.org/.

[14] Depuis 2012, les enquêtes statistiques sur le logement et sur l’emploi, les « continuous multiple households surveys », ont abandonné la catégorie de section industrielle des « activities of household as employers » de la dernière révision de l’ISIC, pour lui préférer celle illisible des « other services ».

[15] On note également que le sujet du service domestique à l’Ile Maurice n’est pas spécifiquement traité par les études mauriciennes en sciences sociales.

[16] Au Forum Expats de Paris déjà évoqué, le représentant d’un promoteur immobilier a notamment fait la publicité des « services à la Mauricienne » dans son discours pour attirer de potentiels acheteurs d’immobilier.

[17] La rémunération horaire des bonnes ne dépasse guère le plafond des 100 roupies pratiqués (2€50), ce qui équivaut par exemple à un aller-retour en bus vers la ville pour les femmes qui habitent sur la côte à Tamarin et Rivière Noire.

[18] Selon le recensement de la population de 1952, 22,9% des foyers habitaient dans des logements comme free tenant.

[19] Entretien avec Solange, Tamarin, 6 février 2019.

[20] La bonne loge désormais à son propre domicile.

[21] Household Budget Survey de 2017, p. 7, Statistics Mauritius.

[22] Entretien avec Uma, Rose Hill, 30 août 2017.

[23] Entretien avec Annabelle, Curepipe, 17 juillet 2017.

[24] Un salaire minimum a été instauré depuis 2018. La rémunération horaire minimum correspond à 41,7 Roupies à cette date, soit l’équivalent d’un prix de ticket de bus pour aller en ville depuis les espaces côtiers par exemple.

[25] Elles ont souvent des enfants à charge, qui ne sont pas nécessairement les leurs mais peuvent être les enfants d’une sœur ou d’un cousin.

[26] Entretien avec Shakti, Tamarin, 2 février 2019.

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