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CIDADES, Comunidades e Territórios

versão On-line ISSN 2182-3030

CIDADES  no.30 Lisboa jun. 2015

https://doi.org/10.7749/citiescommunitiesterritories.jun2015.030.art30 

ARTIGO ORIGINAL

 

Les alternatives aux équipements gérontologiques traditionnels, des laboratoires d'expérimentations à l'épreuve des territoires.

As alternativas aos equipamentos gerontológicos tradicionais: Laboratórios de experimentação à prova dos territórios.

 

 

Cecile RosenfelderI

[I]Université de Strasbourg, France. e-mail: cecilerosenfelder@gmail.com.

 


ABSTRACT

New habitat’s for elderly are emerging in Europe in the context of ageing population. These habitats can have a multitude of forms, but all of them are build in order to respond to the shortcomings of the gerontological facilities. These are structured from the needs of the elderly and against the nursing homes, which are highly criticized. The proponents of these innovated and original experimentations are developing new care methods for the elderly with frailty in the territories. These new habitats are experimental laboratories and they are established to compete with the traditional gerontological structures.


Keywords: Innovated habitats; New care methods; Elderly; Frailty; Experimental laboratory.


 

Il n’est plus à démontrer que la vieillesse constitue un nouvel âge de la vie, une temporalité à investir de nouveaux projets, une ouverture des possibles. Le vieillissement de la population n’en est pas moins le vivier d’un certain nombre d’inquiétudes dans l’ensemble des pays européens. Les questions brûlantes du financement de la prise en charge des personnes âgées amorcent une mise à l’épreuve des systèmes de protection sociale et un remaniement des politiques publiques. Le financement de la « perte d’autonomie » des personnes âgées ou du long term care est devenu un enjeu de santé publique. Jusqu’alors vécue dans l’intimité de la sphère privée, elle fait aujourd’hui l’objet d’une politisation. La biologisation de la vieillesse a œuvré à légitimer la médicalisation du vieillissement et le prisme de la médicalisation a contribué à standardiser la prise en charge des personnes âgées. Les institutions traditionnelles d’hébergement se sont considérablement transformées au cours des dernières décennies, elles sont aujourd’hui médicalisées et détiennent le monopole de la gestion de la vieillesse dépendante.

Les contextes culturelles et réglementaires diffèrent d’un pays à un autre, on note cependant une convergence dans les modalités de prise en charge dans la plupart des pays, qui oscille entre deux pôles ; le domicile privé et l’institution traditionnelle d’hébergement. Les politiques publiques œuvrent en faveur du maintien à domicile supposé favoriser un vieillissement de meilleure qualité. L’ambition est également financière, l’objectif étant de maîtriser les dépenses en limitant l’institutionnalisation des personnes âgées : « le maintien à domicile renvoie donc à des préférences collectives partagées par les pouvoirs publics et les individus, vivre chez soi « le plus longtemps possible » étant un des objectifs majeurs affichés » (Gimbert et Malochet, 2011 : 77). Le maintien à domicile recouvre cependant certaines limites ; il peut être un facteur d’isolement lorsque l’apparition de fragilités physiques ou cognitives restreint les mouvements et les déplacements des personnes. Le logement privé devient alors un espace de réclusion et la personne peut se retrouver enfermée dedans. B. Veysset évoque l’idée d’une « prise de pouvoir » de la maison sur son occupant. Comme elle le souligne dans son ouvrage : « la maison est travaillée : de la cave au grenier, elle a subi de multiples transformations qui ont permis à ses habitants de se sentir chez eux au fur et à mesure de leurs âges. Sur la maison, ils ont tout au cour de leur vie affirmé leur pouvoir. Puis, curieusement, un jour, les travaux se sont arrêtés. Fini. On n’a plus bâti, on n’a plus modifié. Et peu à peu, la maison a pris le pouvoir, ce n’est plus lui qui se plie aux changements de son occupant, c’est ce dernier qui s’adapte à l’immobilisme des murs qui l’enserrent. L’action sur son environnement était la garantie de l’autonomie du sujet, son inaction l’amène à restreindre son espace d’activité » (Veysset, 1989 : 54.). D’autre part, le maintien au domicile privé délègue en partie aux familles, et tout particulièrement à la génération pivot (Attias-Donfut et al., 1995), la responsabilité des soins du care. Or les membres de cette génération, actuels pilier de l’édifice intergénérationnel, pourrait décliner numériquement dans les années à venir. Généralement, c’est la part des aidants informels qui devrait diminuer au vue des transformations de la famille contemporaine et des modes de vie différenciés des générations à venir (Gimbert et Malochet, op. cit.).

 

Métodologie

Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur les alternatives aux modalités traditionnelles d’hébergement collectif pour les personnes âgées, en France, en Allemagne et en Belgique. Ces nouveaux habitats foisonnent depuis les quarante dernières années en Europe. Il apparaît que certains d’entre eux n’ont pas pour ambition de répondre aux problématiques de la prise en charge de la « perte d’autonomie », en cela, ils ne constituent pas toujours « des lieux de vie jusqu’à la mort » (Argoud, 2011: 13-27) et ne permettent pas d’éviter l’institutionnalisation dans le cas de l’apparition de fragilités trop lourdes.

Dans le cadre de notre recherche, nous nous intéressons au vieillissement dans son sens le plus large, partant du postulat selon lequel cette étape de l’existence inclue une phase de fragilisation que C. Lalive d’Epinay envisage comme un invariant du 4ème âge : « dans cette dernière étape de longues vies, la vulnérabilité prend la forme de la fragilité : elle constitue le défi que la nature adresse à la volonté d’autonomie du vieillard » (Lalive d’Épinay et Cavalli, 2013: 30). Selon la thèse de l’auteur, si l’état de dépendance n’est pas un factum, la fragilisation constitue le prix à payer des vies longues (Lalive D’Épinay et Cavalli, op. cit.). Celle-ci est définie comme un processus individuel d’affaiblissement des facultés physiques et cognitives. Elle est variable, dynamique, et se décline de manière différente selon les personnes. En cela, les questionnements autour des formes contemporaines du « prendre soin » apparaissent comme fondamentaux. Comme le souligne Claude Martin : « la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées est un enjeu pour les sciences sociales et pour la compréhension des sociétés contemporaines ; un analyseur des liens sociaux et politiques » (Martin, 2006: 508). Il semble ainsi nécessaire de dépasser la variable de l’habitat pour déterminer comment s’organise la prise en charge tant au niveau des valeurs que des pratiques dans de nouveaux espaces consolidés à cet effet. Dans notre échantillon, nous nous sommes focalisés sur les expérimentations qui tiennent compte du paramètre de la vulnérabilité des sujets âgées. Nous définissons ces formules comme des habitats à vocation alternatives dans la mesure où ils tendent à dépasser les dispositifs légitimes de l’offre gérontologique à disposition sur les territoires, le maintien à domicile et l’institution d’hébergement classique. Leur étude nous permet de mettre à jour l’ensemble des pratiques, des usages et des savoirs émergent concernant l’accompagnement au grand âge, de révéler les rapports entre générations et les représentations concernant la vulnérabilité liée à l’âge, mais également de questionner le rapport entre société et vieillissement.

Pour notre travail de recherche, suivant les préceptes de la sociologie interactionniste, nous développons une approche qualitative en recueillant le vécu des différents protagonistes au cours d’observations sur les lieux et d’entretiens semi-directifs approfondis. Cinquante-cinq entretiens ont pu être réalisés avec les familles, les initiateurs de projet, les usagers de l’espace et le personnel soignant dont nous avons pu « croiser » (Werner et Zimmermann, 2003: 7-36) les discours afin d’évaluer les modulations et les transformations des habitats, par nature dynamiques et mouvants, dans l’interaction avec les usagers. Au total, quatorze expérimentations ont été appréhendées. Suite à un premier travail de conceptualisation et de construction de l’objet d’étude, six d’entre elles ont fait l’objet d’un examen plus approfondis. Ces six habitats à vocation alternative constituent l’essentiel de notre matériel ethnographique.

Cet article se base essentiellement sur les discours des initiateurs de projets, ce qui nous permet de rendre compte de la matrice idéologique de ces expérimentations, à l’origine. Notre raisonnement s’articule autour d’une démarche comparative visant à mettre en reliefs les points de divergences et de convergences de trois expérimentations significatives répondant à trois formules distinctes d’habitats à vocation alternative ; les habitats groupés de l’A.A. et le village de M.V situés tous les deux en Belgique, et le projet de l’association A2MG situé dans une commune rurale française.

 

La mise en place de formules innovantes de prise en charge : des réponses aux carences des dispositifs gérontologiques territoriaux

Les nouvelles formes d’habitat pour personnes âgées sont caractérisées par leur hétérogénéité. Les habitats groupés, les lieux de vie participatifs, les colocations seniors, les habitats autogérés, les villages pour personnes âgées, les petites unités de vie, les habitats à dimension intergénérationnels sont autant de formules originales destinées à l’hébergement de la catégorie contrastée des personnes âgées de plus de soixante ans. Certaines de ces formules consistent en un entrecroisement entre la culture de l’habitat et la culture hospitalière, elles sont médicalisées, répondent au même cahier des charges que les structures traditionnelles mais développent en leur sein un espace « particulier ». D’autres initiatives se sont instituées en contournant les contraintes institutionnelles pour se positionner dans le champ du domicile. Cette opération de contournement est mue par des intérêts divergents qui peuvent être d’ordre financiers, organisationnels ou idéologiques.

Les acteurs à l’initiative de ces expérimentations sont multiples. Certains d’entre eux sont des professionnels issus du champ de la gérontologie, d’autres sont des entrepreneurs privés, des membres associatifs, des personnes âges, des sociétés commerciales, des aidants familiaux, ou encore des offices HLM. Ces initiatives sont destinées à des publics diversifiés et accueillent des personnes dont les degrés d’autonomie varie ; seniors autonomes, personnes désorientées, personnes en situation de pertes d’autonomie faible à moyenne. D’autres initiatives ont développé un espace polyvalent et propose une multiplicité de services destinés à l’ensemble de la catégorie des personnes âgées. Les formules émergentes d’habitats sont difficiles à quantifier et reste marginales à l’échelle des territoires nationaux et transnationaux. Leur étude n’est cependant pas à négliger. Les acteurs à l’initiative de ces formules ouvrent la voie d’un espace en friche se situant entre le maintien à domicile et l’hébergement classique. L’hétérogénéité de ces formules « intermédiaires » est révélatrice d’une volonté des acteurs d’apporter des réponses aux carences des dispositifs gérontologiques légitimes. Ceux-ci apparaissent pour les acteurs comme trop étroits pour s’adapter à la diversité des formes du vieillir.

 

Le village de M.V.

Le village de M.V. consolidé sur les vestiges d’un ancien hôpital situé dans la région wallonne est un espace polyvalent proposant un panel de services destinés à l’ensemble de la population vieillissante. Cet établissement comporte huit Cantous, une résidence service, un accueil de jour, une maison de repos, une maison de repos et de soins et un court séjour. Les Cantous ont été imaginés pour être des lieux de vie communautaires à taille humaine dans lesquels les personnes en situation de dégénérescence cognitive trouvent un espace de communication et d’entraide. Ces microstructures se distinguent les unes des autres par des projets de vie qui leur sont propres, adaptés à des groupes homogénéisés de résidents.

M. Ben, le directeur actuel de l’établissement justifie l’existence des Cantous par la prise en compte d’une augmentation de la part des personnes âgées désorientées sur le territoire et de la nécessité d’adapter une formule de prise en charge à ce public spécifique. C’est également par le constat des difficultés de cohabitations entre les personnes désorientées et les autres résidents, de l’insatisfaction des familles et des soignants, qu’une réflexion a été entamée pour proposer un autre type d’accompagnement. Le modèle des Cantous s’est institué pour répondre aux carences des dispositifs gérontologique officiants sur le territoire de la région wallonne et le projet, s’il est perçu comme une excentricité lors de son élaboration, fait aujourd’hui figure de référence dans la région.

 

Les habitats groupés de l’A.A.

Le projet de l’A.A. est le fruit d’une analyse des besoins des personnes âgées ancrées dans le quartier de W. L’A.A. est un ensemble de plusieurs habitats groupés. Six maisonnées de plein pied composées de cinq chambres individuelles chacune sont louées à des personnes âgées de plus de soixante ans, sur critères sociaux. Les habitants vivent en colocation et sont accompagnés dans la vie quotidienne par une équipe d’encadrement. Mme Tillman, l’une des initiatrices de la formule, explique que le projet est issu d’une évolution de l’institution traditionnelle de proximité. Au début des années 80, le constat d’un nombre anormalement important d’inscrits sur la liste d’attente de la maison de repos de W. incite les acteurs institutionnels à examiner les besoins de ces inscrits. Mme Tillman, alors chargée de l’affaire relève une constante : le problème de solitude des personnes âgées. Ces personnes expriment la peur de devoir affronter seules une situation pouvant les fragiliser. Le maintien au domicile privé ne leur apparaissant pas comme une solution opportune, l’institutionnalisation dans un établissement constitue la seule possibilité qui leur est offerte pour se sécuriser. Pour Mme Tillman, une installation dans une maison de repos classique paraît inadéquate pour une catégorie de personnes qu’elles jugent « encore capables de faire des choses », elle décide alors de contribuer à la création d’habitats groupés.

Ce projet d’habitat est révélateur d’une volonté de dépasser les limites des dispositifs de l’offre gérontologique ; le maintien à domicile, qui dans le cas énoncé apparaît comme peu sécurisant, et l’institution d’hébergement classique destinés quasi exclusivement aux personnes dépendantes. La mise en perspective des besoins d’un type particulier de personnes âgées sujet au problème de la solitude a été le creuset de la constitution d’un habitat « intermédiaire ».

 

L’association A2MG

L’association A2MG créée en 2007 est implantée dans le village alsacien de H. Les personnes à l’initiative de ce projet ont imaginé une solution pour prendre en charge les personnes vieillissantes et fragilisées de la commune. Les initiateurs offrent une aide à la création de petites unités de vie chez l’habitant. En qualité de médiateurs, ils aménagent avec la participation des bénéficiaires, un service d’aides à la vie quotidienne dont les frais sont partagés entre les cohabitants. A2MG propose également des animations sous forme d’ateliers et de journées thématiques de rencontres et de discussion afin de favoriser la solidarité locale et intergénérationnelle.

Selon l’expression de M. Doe, le président d’A2MG, le projet est « le fruit de l’ère moderne ». Il est imaginé pour s’accommoder à l’évolution du territoire rural de H. Les grandes maisons du village qui accueillaient auparavant des familles nombreuses sont désertées, et les personnes vieillissantes de la commune vivent seules dans des habitations mal adaptées à l’avancée en âge. L’objectif d’A2MG consiste alors à réhabiliter collectivement des espaces pour en faire des micro-lieux de vie partagés. Il s’agit également d’aménager la prise en charge familiale, dans un contexte où la descendance mobile des plus vieux ne réside plus systématiquement dans son lieu d’habitation originaire et se trouve plus généralement éclaté sur le territoire.

Comme l’explique M. Doe lors d’un entretien :

« Il s’agit de recréer un peu les conditions de vie familiale qu’on avait dans le temps, quand y avait encore une vie familiale fournie avec des enfants et des petits-enfants en quantité, de pas le faire avec les familles parce qu’il n’y a plus les gens qu’il faut, mais de le faire avec la communauté, là où on habite ; les voisins, peut-être des associations comme les nôtres. C’est-à-dire qu’on remplace un peu la famille. » (M. Doe, président de l’association A2MG)

L’ambition de départ est également d’alléger la charge des aidants informels disponibles pour éviter la maltraitance. Selon Mme Junior, ceux-ci seraient démunis face à la maladie d’un proche.

« Je pense que c’est très malsain qu’un enfant s’occupe à plein temps d’un parent qui devient…c’est presque….c’est tellement difficile que ça devient presque possible de pas….de rester bien quoi….je pense que…c’est bon de diversifier, c’est bon de mettre des gardes fou quoi…parce que sinon c’est trop dur. On parle des aidants qui s’épuisent et c’est vraiment le cas les aidants s’épuisent à la tâche. Parce que la maladie d’Alzheimer c’est difficile et que les personnes elles sont pénibles » (Mme. Junior, à l’initiative de l’association A2MG)

 

De l’habitat intermédiaire à l’alternative, le laboratoire expérimental :

La prise en compte des besoins de la population âgée à un niveau local a conduit à la modélisation de formules innovantes d’habitats. Originales et diversifiées, ces espaces se sont consolidés dans les brèches d’un espace à déblayer. Leur point de convergence réside dans leur volonté de se distinguer de l’institution d’hébergement classique. Celle-ci fait en effet office de repoussoir, malgré les projets d’humanisation et de modernisation entrepris par les politiques publiques. Dans les représentations, la structure traditionnelle de prise en charge est associée à un camp de retranchement organisée par une artillerie sécuritaire ainsi qu’un arsenal de normes qui ont vocation à limiter l’exercice des libertés individuelles. Le domicile, quant à lui, évoque le logement ordinaire, il constitue un « espace aimé » (Bachelard, 2012), un repaire privé dans lequel l’individu peut choisir de se retrancher du monde et de ses vicissitudes. Les expérimentations émergentes œuvrent à se rapprocher des caractéristiques propres au domicile et proposent une troisième voix, l’habitat (Argoud, op. cit.). Consolidées dans l’espace « intermédiaire » entre le domicile et l’hébergement, ces expérimentations constituent des laboratoires expérimentaux de gestion du vieillissement. En tentant de s’imposer comme des alternatives aux modèles existants, elles proposent d’autres manières d’habiter le grand âge et sont productrices de nouvelles modalités de « prise en soin ».

 

Une volonté d’intégration des personnes âgées dans le territoire

Les nouvelles formules d’habitat pour personnes âgées visent à s’ancrer dans le territoire pour éviter le retranchement des personnes âgées et favoriser leur intégration. Ainsi, les microstructures aménagées par l’intermédiaire de l’association A²MG sont institués dans le village d’origine de la personne. Les habitats groupés de l’A.A. se situent au cœur d’un quartier de la ville de Bruxelles, à proximité des commerces et des services de transports en commun. Le village de M.V se situe quant à lui au centre d’une agglomération. La structuration de l’espace de ces lieux de vie tend à se distinguer de la forme d’une institution classique, elles se fondent dans le décor. Dans le cas des habitats groupés de l’AA et des micros-lieux de vie d’A²MG, les logements sont similaires à des maisonnées ordinaires. Rien ne laisse à présager que résident ici un regroupement de vieux colocataires. Le village de M.V a été modélisé sur les vestiges d’un ancien hôpital, sa dimension et son étendu peinent à camoufler son caractère institutionnelle. Les initiateurs ont donc pris le parti d’aménager l’espace comme un village vacances. Il s’agit de faire oublier aux résidents qu’ils logent, malgré tout, dans une maison de retraite. Ces formules d’habitats « intermédiaires » ont vocation à être ouvert sur l’extérieur pour éviter le cloisonnement et favoriser le lien social. A²MG propose ainsi des ateliers hebdomadaires dans les domiciles réaménagés des habitants qui permettent aux villageois de se rencontrer. L’équipe d’encadrement de l’A.A. invitent les habitants à se rencontrer lors d’excursions groupés et à interagir lors de réunions de comité des habitants. Le village de M.V a développé des services ouverts aux personnes de la commune d’implantation, comme des accès libres au bar, au restaurant ou au un mini-golf de l’établissement.

Un autre des traits typiques de ces expérimentations est la valorisation des capacités décisionnaires des habitants. Les initiatives incitent les personnes à participer à la vie collective, à prendre part à l’aménagement de leur habitat, en d’autres termes, à s’approprier leur espace de vie. Les nouveaux espaces aménagées œuvrent à reconnaître aux personnes âgées un droit de parole.

Comme l’explique Mme Tillman dans un entretien :

« Dans les traditionnelles on n’est pas à l’écoute des gens, ou pas assez. On ne leur reconnaît pas le droit de décider. On a un besoin d’organiser de contrôler et de prendre des dispositions pour. Alors qu’ici on accompagne la personne selon comment elle vit, les choses se font quand même, ce sont des gens de bon sens les personnes âgées, il faut y croire à ça. » (Mme Tillman, à l’initiative des habitats groupés de l’A.A.)

La vie communautaire dans le projet de l’A.A. fonctionne sur le modèle d’un accompagnement à l’autogestion ; l’équipe d’encadrement accompagne les habitants dans la vie quotidienne avec pour principe de ne pas entraver leur pouvoir de décision. Un comité des habitants est constitué en amont afin de défendre les intérêts des personnes résidantes au sein des habitats groupés de l’A.A. Des réunions bimensuelles sont également organisées pour permettre aux habitants d’un même espace d’exprimer leur mécontentement, d’organiser la vie du groupe et d’aboutir à un consensus de vie.

Âgés respectivement de 61 et 71 ans, les concepteurs du projet A2MG se sont engagés à consolider un projet d’habitations autogérées pour les personnes vieillissantes de la commune, mais également pour eux-mêmes, au regard de leur propre vieillissement. Outre l’intention de permettre aux personnes de demeurer dans leur environnement naturel de vie, l’objectif de cette initiative est de consolider des espaces leur permettant de rester maître de leur destin jusqu’au terme de l’existence. Issus d’une initiative privée, cette formule a été consolidée d’un bout à l’autre par les membres fondateurs. La vie collective dans l’habitat est gérée par les membres de l’association, les aidants, les familles et les habitants âgés. Les initiateurs insistent sur la souplesse jugée nécessaire à l’élaboration d’une microstructure dans le domicile d’un habitant. L’habitat peut ainsi revêtir des formes variées selon les vœux de la personne.

Dans le cas du village de M.V, la valeur de la citoyenneté est au cœur du projet d’établissement. La participation des personnes à la vie quotidienne est aménagée et favorisée et les acteurs institutionnels œuvrent à ce que chacun participe à la vie du village. Un conseil des résidents a été mis en place pour défendre les intérêts des personnes âgées demeurants dans l’établissement. Les habitants peuvent également être les détenteurs d’un rôle particulier dans la structure : certains résidents sont responsables de la bibliothèque, pendant que d’autres s’occupent du jardin. Les habitants des résidences service peuvent quant à eux parrainer les nouveaux arrivants. La participation à la vie communautaire s’effectue également dans les Cantous au sein desquels les personnes peuvent contribuer aux tâches ménagères de la vie quotidienne. La citoyenneté du village de M.V s’exprime également dans la multitude des services qui sont offerts aux résidents. Les offres diversifiées qui sont proposées favoriseraient l’exercice du libre choix. Comme l’explique M. Ben lors d’un entretien :

« Après, nous ce qu’on a voulu faire, c’est créer un éventail de possibilités, parce que quand on parle de citoyenneté, il faut pouvoir laisser le choix. C’est ça à la base, c’est le choix, le respect des idées, et donc on essaie de créer sur notre site un éventail, un panel de possibilités qui est le plus grand possible. » (M. Ben, directeur du village de MV)

 

Vers de nouveaux modes d’accompagnement

Les nouvelles formules habitats destinées aux personnes âgées sont modélisées en réaction à l’institution traditionnelle de prise en charge et s’instituent sur la base d’autres valeurs. Centrées sur les usagers, les projets évoqués s’érigent à partir d’une mise en relief des besoins des personnes âgées ancrés sur un territoire donné. Il ne s’agit pas d’imposer une formule déjà bien rôdée aux habitants et d’œuvrer à ce qu’ils s’y adaptent, mais de créer des formules adaptées aux habitants. Le processus de consolidation de ces espaces sont généralement décrits comme tâtonnants et la créativité des initiateurs s’expriment dans un espace interstitiel de latitude. Au sein de cette brèche se constitue un laboratoire d’expérimentation. L’erreur joue un rôle fondamental dans la modélisation de ces formules émergentes, le heurt avec les entités extérieures permet d’ajuster les pratiques, de mettre en question ce qui semble aller de soi pour constituer un « stock de connaissance » (Schütz, 2008) sur les mondes vécues de la vieillesse.

La modélisation des Cantous constitue l’expression la plus significative du laboratoire expérimentale du village de M.V. Ces espaces de vie communautaire sont le fruit de petits bricolages et d’inspirations multiples d’expériences qui ont eu court dans d’autres pays. Outre la formule de Caussanel en France, l’initiateur de la structure s’est inspiré du modèle états-unien, des small care unit. La formule a ensuite été expérimentée dans le village de M.V.

M. Ben explique comme suit, le processus de modélisation des Cantous :

« Tout le monde était mélangé, alors ils ont fait quelques petits projets pilotes à ce moment-là, ils descendaient les personnes, ils avaient un local à la cave. Ils descendaient les personnes avec une soignante, qui s’en occupait pendant la journée, ils appelaient ça « la petite maison », et donc ils les amenaient, ils les prenaient en charge. Bien vite ils ont mis un bloc cuisson, ils l’ont mis d’abord contre le mur, ils se sont rendus compte que c’était pas super donc ils l’ont mis au milieu, et puis ils se sont dit : « oui mais quand on cuisine, on tourne encore le dos aux résidents qui sont à table ». Et donc ils en sont venus, quand on a construit ici, à éclater la table et à mettre de part et d’autre du bloc cuisson, et donc c’est par ces erreurs qu’ils sont arrivés à la structure Cantous, tel qu’ils l’ont construite ici. » (M. Ben directeur du village M.V).

Le modèle des Cantous est aujourd’hui institué. Certains traits typiques le caractérisent. Les résidents sont regroupés par petits groupes homogènes, l’espace est aménagé en une unité sans couloirs, avec une table et un bloc de cuisson en position centrale autour desquels les chambres des résidents sont réparties. Le personnel soignant, en plus de prodiguer les soins, s’occupe des tâches courantes de la vie quotidienne. Selon le directeur d’établissement, l’expérience Cantous a porté ses fruits, la formule a ainsi été dupliquée dans le village de M.V qui en compte huit.

Les projets de l’association A2MG et des habitats groupés de l’A.A. se trouvent dans une situation différente. Ces expérimentations ne sont pas médicalisées et s’inscrivent hors du cadre réglementaire des institutions d’hébergement classique. Elles se situent dans le champ du domicile, mais ont également pour objectif de prendre en charge les personnes vieillissantes, quelles que soit leurs fragilités.

Le projet de l’A.A. est lors de sa consolidation une extension de la maison de retraite de proximité. Il constitue alors un regroupement de personnes âgées encore autonomes qui partagent un même espace de vie. Le projet qualifié par Mme Tillman de « hors norme », s’est considérablement transformé au cours de ses 35 ans d’existence. Il s’est adapté à l’évolution des résidents. Ainsi, l’équipe d’encadrement et le comité des habitants ont décidé d’introduire des aides à la vie quotidienne (service de soins, aides au ménage) pour faire face à l’avancée en âge et éviter l’institutionnalisation des personnes âgées avec plus fragilités. Le financement des aides n’est pas individualisé malgré la variabilité des états des santés des habitants, mais fonctionnent sur le mode de la solidarité ; l’ensemble des dépenses est ainsi regroupé dans un panier commun.

L’originalité du projet réside dans l’aménagement d’espaces de socialité. Si au départ la vie communautaire constituait un moyen de palier à la solitude des personnes âgées, elle permet aujourd’hui aux habitants d’être maintenu dans leur lieu d’habitation jusqu’au terme de leur existence. Ce n’est plus l’institution traditionnelle d’hébergement qui fait office de filet de sécurité dans le cas de l’apparition de fragilités, mais la dynamique de groupe aménagée. Mme Tillman explique vouloir aboutir à une pérennisation de la formule et à un soutien plus important de la part des décideurs publics. Ceci permettrait au projet de l’A.A. d’être institutionnalisé puis dupliqué sur le territoire. Les ajustements qui ont été opérés ont permis à la formule de s’émanciper de l’institution traditionnelle dont elle était le complément. Elle constitue aujourd’hui une entité autonome proposant une modalité alternative et non médicalisée de prise en charge de la vieillesse. Le processus d’autonomisation du projet de l’A.A. constitue l’expression du laboratoire d’expérimentation.

L’histoire de l’association A2MG est elle aussi significative. Le projet débute en 2007 dans le village alsacien de H. lorsque des médecins diagnostiquent chez Mme Lucie, une institutrice du village veuve à la retraite, un début d’Alzheimer. La maladie s’aggravant, la question d’un placement en institution s’impose à la famille. Mme Junior, l’une des filles de Mme Lucie, M. Doe, un cousin par alliance ainsi que Mme Buisson, une amie de la famille décident de se mobiliser pour permettre à Mme Lucie de rester à son domicile. Si les débuts sont décrits comme tâtonnants et si les initiateurs pensent abandonner leur projet à maintes reprises, ils s’appliquent tout de même à structurer collectivement un espace viable jusqu’au décès de Mme Lucie en 2010, à l’âge de 85 ans. L’expérimentation débute par une série de travaux d’aménagements du domicile pour répondre à la perte d’autonomie de Mme Lucie. Cinq personnes sont engagées pour organiser un roulement de veille avec la famille et un planning est mis en place afin d’optimiser l’organisation de la vie quotidienne.

Le projet commence à sortir d’un cas relativement classique d’adaptation du domicile lorsque Mme Lucie et les initiateurs du projet décide de faire du domicile privé un lieu ouvert sur l’extérieur. Dans la maison, les interactions s’établissent sur des échanges de bons procédés entre Mme Lucie, sa famille, les villageois et les différents membres de l’association. Des ateliers sont également organisés pour financer le projet et inciter les habitants de la commune à se rencontrer. Peu à peu, l’expérience se consolide en se centrant sur l’intégration des personnes les plus âgées du village lors de journées à thèmes sur l’histoire de la commune et d’ateliers de réflexion sur les problématiques du vieillissement. Certains d’entre eux ont en outre pu bénéficier de l’aménagement d’un lieu de vie personnalisé chez eux.

L’expérience intime de l’accompagnement de Mme Lucie dans sa maladie constitue la première pierre à l’édifice du laboratoire expérimental du projet A2MG, où un cas classique de gestion de la fragilité d’un proche se transforme en un engagement public. Les aidants familiaux, dans leur interaction avec Mme Lucie, deviennent les architectes d’une « poétique de l’espace » (Bachelard, op. cit.) particulière, axée sur la solidarité collective. Ils visent aujourd’hui à dupliquer la formule sur le territoire.

Les formules consolidées dans la zone intermédiaire qui sépare le maintien à domicile et l’institution d’hébergement classique s’instituent pour répondre aux besoins des personnes âgées dans un espace donné. Il s’agit pour les initiateurs de répondre aux carences de l’offre gérontologique, en adaptant des modalités particulières de prises en charge à des formes variables de vieillissement. Les expérimentations originales qui découlent de ces initiatives s’instituent contre l’image de la structure traditionnelle, et se consolident sur la base d’un imaginaire de prise en charge jugé plus adapté, centré sur l’intégration sociale, l’autonomie et la solidarité.

Les praticiens, dans l’interrelation avec les usagers des espaces aménagés, ont instauré un laboratoire expérimental destiné à la formalisation d’hypothèses concernant l’accompagnement du vieillissement. Ces expérimentations sociales ont vocation à être des « lieux de vie jusqu’à la mort », elles œuvrent à proposer de nouvelles méthodologies de « prise en soin », concurrentes de celles des structures légitimes de prise en charge des personnes en situation de dépendances, et visent à être dupliquées sur le territoire. On peut supposer que ces foyers localisés de l’alternative amorcent un changement de paradigme dans les modalités d’accompagnement du vieillissement, en ce sens ils ont une valeur heuristique et peuvent être vecteurs de nouvelles représentations concernant la place de la personne âgée dans la société.

 

 

Bibliographie

Argoud, D. (2011), « De l’hébergement à l’habitat?: une évolution ambiguë », Gérontologie et société, vol. n°136, 2011, pp. 13-27.

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