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Comunicações Geológicas

Print version ISSN 1647-581X

Comunicações Geológicas  no.97 Amadora  2010

 

Les crues de l’oued Ourika (Haut Atlas, Maroc): Événements extrêmes en contexte montagnard semi-aride

 

Mohamed El Mehdi Saidi*; Lahcen Daoudi*; Mohamed El Hassane Aresmouk**; Fatima Fniguire*** & Siham Boukrim****

* Laboratoire de géosciences et environnement, Faculté de Sciences et Techniques, BP. 549, Marrakech, Maroc (212.6.66.70.50.79) medsaidi@gmail.com

** Agence de Bassin Hydraulique de Tensift, Marrakech, Maroc

*** Ecole Normale Supérieure, Casablanca, Maroc.

**** Faculté de Sciences et Techniques, Fès, Maroc.

 

Résumé

Le bassin versant de l’Ourika est un hydrosystème du Haut Atlas de Marrakech. Le substratum y est très peu perméable, le couvert végétal faible et clairsemé, les pentes élevées et les vallées encaissées. Le bassin, orienté vers le Nord et le Nord-Ouest, est exposé aux perturbations atlantiques qui peuvent générer des pluies importantes et intenses. La conjonction de ces facteurs est à l’origine de pulsations brutales et violentes du cours d’eau. L’aptitude de l’oued à l’incision et à l’érosion est forte et la charge solide est toujours importante. Bien qu’avec des intensités variables, ces crues rapides en contexte semi-aride montagnard se répètent. Un certain nombre d’aménagements ont été entrepris pour atténuer les effets des crues et un système d’alerte et d’annonce de crues est installé en amont du bassin. Certaines de ces infrastructures ont prouvé leur efficacité, mais d’autres n’ont pas résisté aux fortes crues postérieures.

Mots-clés: L’oued Ourika, Haut Atlas, Maroc, crue, aménagement.

 

The Ourika floods (High Atlas, Morocco), Extreme events in semi-arid mountain context

Abstract

The watershed of the Ourika River is a part of the Marrakech hydrosystem of the High Atlas. In the montaneous part of the watershed, the bedrock has a low permeability, the vegetation is sparse on steep slopes and rare on the upper areas, the main valleys are narrow and deep. The N to NW exposure favours rain falls which are usually strong, short in duration, and sometimes very intense. The conjunction of these physical and climatological factors is at the origin of violent pulses of the Ourika River, which are characterized by high velocities and rates of flow, active erosion and strong sediment transport. These extreme events in a semi-arid mountain setting are a repetitive phenomenon of variable intensity. The rising time of the floods is very short and the maximum rate of flow is much higher than the mean rate.

Within the 34 years of data, floods occurred in any month of the year, excepted December. 44% of the floods occurred in spring, and 25% in summer which is the dry season in Morocco, except in high mountain regions. These summer floods are the result of intense stormy rains, related to a hot and stormy weather at the front of Trade winds.

The hydrograms are steep and narrow, mostly simple, monogenic and clearly distinct. They are dissymmetric: the rising level phase is short, and the drop in level is slower. Because of their suddenness and violence, these flash floods represent a major natural and recurrent risk for the touristic valley.

For the last decades, several damaging floods in Morocco lead to develop a policy of management of the water resources in the country. Locally, after the flash flood of the Ourika Valley of 1995, several structural and non stuctural actions were undertaken. To reduce the high vulnerability of the Valley new equipments have been set up. A warning monitoring system is installed in the upper reaches of the valley, it can display an alert to the population along the valley. Supporting walls and gabions reinforce the banks of the river. Works to widen some narrows of the river bed have regulated the flow of the river. Concrete sills and gabions break the flow of the main tributaries. The efficiency of these engineering structures is presently evaluated.

Keywords: Ourika River, High Atlas, morocco, flash flood, management.

 

As cheias do Ourika (Alto Atlas, Marrocos): Eventos extremos num contexto semi-árido montanhoso

Resumo

A bacia do rio Ourika é um hidrossistema do Alto Atlas de Marrakech. O substrato local é muito pouco permeável, a cobertura vegetal, escassa ou rara, as vertentes elevadas e os vales encaixados. A bacia, orientada a Norte et a Noroeste, esta exposta às perturbações atlânticas que podem dar origem a chuvas importantes e intensas. A conjugação destes factores está na origem de pulsações brutais e violentas do curso de água. A apetência do rio à incisão e à erosão é forte e a carga sólida é sempre importante. Embora com intensidades variáveis, as cheias rápidas, neste contexto semi-árido montanhoso, repetem-se. Neste trabalho propõem-se algumas medidas para minimizar os efeitos das cheias e um sistema de alerta e aviso das cheias foi instalado a montante da bacia. Certas destas infra-estruturas têm provado a sua eficácia mas outras não resistiram a fortes cheias posteriores.

Palavras-chave: O rio Ourika, Alto Atlas, Marrocos, cheias, minimização de impacto.

 

INTRODUCTION

Le Maroc a connu des crues tristement mémorables par leurs effets destructifs et mortels. Assujetti à un climat aride à semi-aride sur une grande partie de sa superficie, le pays connaît souvent des pulsations brutales et violentes de ses cours d’eau. Le 25 septembre 1950, par exemple, une crue de 6 mètres de hauteur a inondé la ville de Sefrou faisant une centaine de victimes, le 23 mai 1963 une violente crue de 7200 m3/s de débit de pointe a dévasté la vallée de la Moulouya en emportant l’assise de rive gauche du barrage Mohammed V, ou encore le 5 novembre 1965, une crue a ravagé la vallée du Ziz en laissant 25000 habitants sans abri et accélérant la décision de construire le Barrage Hassan Addakhil. Enfin, on se doit de citer les crues plus récentes ayant affecté les villes de Berrechid et Settat en 2002 et surtout la célèbre crue qui a touché les bassins versants du Haut Atlas de Marrakech le 17 août 1995. C’est à la suite de cette crue que l’attention a été attirée sur cette région, et la nécessité a été affirmée d’étudier les phénomènes d’inondation en vue de la prévention et la protection.

Dans ce travail consacré aux crues de l’Ourika, les objectifs principaux sont l’identification des caractéristiques physiographiques qui favorisent l’occurrence des crues, l’analyse des hydrogrammes pour aboutir à une compréhension de ces événements hydrologiques et érosifs extrêmes. Il s’y ajoute des données sur les mesures préventives et les aménagements mis en place pour atténuer les risques à l’échelle du bassin versant.

 

SOURCE D’INFORMATION ET ORIGINE DES DONNEES HYDROCLIMATIQUES

Les données de précipitations et de débits du cours d’eau sont fournies par l’Agence de Bassin Hydraulique de Marrakech. C’est un organisme gouvernemental qui gère les stations climatiques et hydrométriques et veille à leur bon fonctionnement. Les données de précipitations sont principalement recueillies à la station d’Aghbalou située à l’exutoire du bassin versant de l’Ourika. Cette station sert aussi de station de jaugeage hydrologique et de mesure des hauteurs d’eau de la rivière. Elle est mise en service depuis 1969 et a toujours fourni des données relativement bonnes grâce à des observateurs expérimentés. Les débits sont calculés à partir de jaugeages plus au mois réguliers ou déduits à partir de la côte d’eau mesurée par un limnigraphe. Quant aux précipitations, elles sont mesurés à la fois par un pluviomètre que par un pluviographe à augets basculeurs.

 

CARACTÉRISTIQUES DU BASSIN VERSANT DE L’OURIKA

– Position géographique et climat

Le bassin versant de l’Ourika est un hydrosystème bien individualisé du Haut Atlas de Marrakech, compris entre 31° et 31°20¢ Nord et entre 7°30¢ et 7°60¢ Ouest (Fig. 1). L’oued principal prend ses sources dans les hauts contreforts de la chaîne du Haut Atlas. Dans un bassin versant qui culmine à 4001 mètres et qui débouche à 1070 mètres à la sortie de l’Atlas, l’oued a façonné son cours en incisant des roches cristallines dures en amont et des formations sédimentaires plus friables en aval, sculptant des vallées encaissées et des pentes raides.

 

Fig. 1 – Le bassin versant de l’Ourika: situation géographique et réseau hydrographique en amont d’Aghbalou.

– Watershed of the Ourika River: location and catchment-basin, upstream Aghbalou.

– Bacia hidrográfica do Rio Ourika: localização geográfica e sistema hidrográfico a montante de Aghbalou.

 

Le climat du bassin versant de l’Ourika est d’abord caractérisé par sa grande variabilité spatiotemporelle. Les précipitations varient en hauteur, en intensité et dans leurs distributions géographiques. La pluviosité annuelle est en moyenne de 541 mm par an à la station d’Aghbalou avec un coefficient de variation de 34 %. La variabilité mensuelle et saisonnière est encore plus marquée, avec des coefficients de variation respectifs de 55 % et 50 %. Cette pluviométrie augmente avec l’altitude. Elle peut dépasser 700 mm par an sur les hauts sommets du bassin.

 

– Morphométrie générale du bassin versant

Vaste de 503 km2, le bassin versant de l’Ourika jusqu’à Aghbalou a une forme légèrement allongée avec un indice de compacité de 1,3. Le cours principal, d’abord orienté vers le NE puis vers le NW après la localité de Setti Fadma, coule  dans une longue vallée encaissée vers laquelle converge, sur les deux rives, une succession de vallées et de ravins affluents (Fig. 1). Cette situation explique que les ondes de crues de l’oued Ourika grossissent vers l’aval, à mesure de leur alimentation par les affluents.

Le réseau hydrographique du bassin est particulièrement dense et bien hiérarchisé. Et c’est à partir de la carte topographique au 100 000è d’Oukaimeden-Toubkal que nous avons retracé ce réseau (Fig. 1) et cherché son importance, en se basant sur son niveau de ramification. Nous avons pour cela utilisé la méthode d’ordination de Strahler qui stipule que l’ordre d’un segment de cours d’eau s’incrémente de 1 s’il résulte de la confluence de deux segments de même ordre. Le cours d’eau principale a ainsi atteint l’ordre 6 à l’exutoire du bassin. Par ailleurs, la densité du drainage est également importante. Elle a été calculée à l’aide d’un programme utilisé pour les systèmes d’information géographique en digitalisant l’ensemble du réseau et calculant sa longueur totale. Celle-ci est estimée à environ 1550 km et la densité de drainage est de l’ordre 3,1 km/km2.

La région de l’Ourika est réputée par ses reliefs élevés et abondants. 75 % des surfaces du bassin sont situées entre 3200 et 1600 m et l’altitude moyenne s’élève à 2500 m (Fig. 2 et Tab. 1). Les pentes sont dans l’ensemble fortes. Celles du cours principal ne dépassent pas 5 %, mais celles des affluents et des versants montagneux sont beaucoup plus importantes: Le Tarzaza qui draine le massif de l’Oukaïmden suit une pente moyenne de 11 %, mais les ravins les plus abrupts se situent en amont du bassin avec des pentes qui atteignent, par endroit, des valeurs de 30 à 40 %, comme le cas de l’Oufra et du Tifni (Fig. 3). Ces pentes confèrent à l’oued un caractère violent et torrentiel.

 

Fig. 2 – Carte hypsométrique du bassin versant de l’Ourika en amont d’Aghbalou

– Contour map of the Ourika River watershed, upstream Aghbalou

– Mapa hipsométrico da bacia hidrográfica do Rio Ourika a montante de Aghbalou

 

TABLEAU 1

Caractéristiques morphologiques du bassin versant de l’Ourika jusqu’à Aghbalou.

Physical characters of the Ourika River watershed, upstream Aghbalou.

Características morfológicas da bacia hidrográfica do Rio Ourika a montante de Aghbalou.

 

Fig. 3 – Profils longitudinaux de l’Ourika et des principaux affluents.

– Longitudinal profile of the Ourika River and main tributaries.

– Perfil longitudinal do Rio Ourika e principais afluentes.

 

– Géologie du bassin versant

Au centre du Haut Atlas de Marrakech, le bassin versant de l’Ourika montre deux grands types de faciès (Fig. 4):

– une partie méridionale, située à des altitudes supérieures à 2000 m, constituée de roches magmatiques et métamorphiques, appartenant au socle de la chaîne atlasique; on y rencontre des roches plutoniques, notamment des granites et granodiorites, des roches volcaniques (andésites, rhyolites…) et métamorphiques (gneiss et migmatites). Ces formations cristallines sont propices à un ruissellement immédiat des eaux de pluie;

 

Fig. 4 – Esquisse géologique du bassin versant de l’Ourika.

– Simplified geological map of the Ourika River watershed.

– Mapa geológico simplificado da bacia hidrográfica do Rio Ourika.

 

– une partie septentrionale, située à des altitudes inférieures à 2000 m, composée de dépôts permotriasiques et quaternaires plus tendres. Lithologiquement, ce Permo-trias comprend, au nord, un faciès formé de conglomérats, grès et siltites, et, au sud, un faciès formé essentiellement de siltites argileuses et localement de grès massif (BIRON, 1982).

Les roches marneuses, argileuses et calcaires représentent une étendue inférieure à 35 %, alors que les roches cristallines (le substrat dur) représentent environ 67 % de l’étendue du bassin (PASCON, 1983). Ainsi, les blocs et les galets charriés par l’Ourika proviennent essentiellement du socle qui constitue la partie axiale de la chaîne atlasique. Ces blocs mobilisés lors des grandes crues peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre. Ils constituent un risque majeur en amplifiant la puissance destructive de ces crues.

 

– Régimes pluviométriques et hydrologiques

L’analyse des précipitations et des débits mensuels de l’Ourika à la station d’Aghbalou, sur une période de 34 ans (de 1970-71 à 2003-2004), a permis de cerner la variabilité de ces deux paramètres. A l’échelle annuelle, l’Ourika reçoit à Aghbalou une pluviométrie moyenne de 541 mm par an, le débit moyen est de 5,3 m3/s, soit une lame d’eau écoulée de l’ordre de 332 mm (SAIDI et al., 2006). La figure 5 met en lumière la répartition moyenne des précipitations et des écoulements mensuels. Le maximum pluviométrique est enregistré aux mois de mars et avril, alors que le pic hydrologique, plus individualisé, est enregistré au seul mois d’avril. Une autre pulsation pluviométrique est observée, par ailleurs, au mois de novembre, bien que sans grande influence sur l’écoulement superficiel. Une partie des précipitations d’automne tombe en effet sous forme nivale et la fonte massive des neiges accumulées ne commence qu’au début du printemps, en renforçant les débits printaniers et estivaux. Les écoulements importants des mois de mai, juin et juillet sont le résultat de l’addition des précipitations et de la fonte des neiges d’automne et d’hiver.

 

Fig. 5 – Variations mensuelles des précipitations et des écoulements à Aghbalou.

– Mean monthly rain and discharge rates at Aghbalou.

– Variação mensal da precipitação e taxas de descarga em Aghbalou.

 

L’Ourika a donc un régime pluvio-nival à hautes eaux de printemps. La fonte des neiges prolonge l’augmentation des débits d’hiver en dessinant un pic au printemps.

 

LES CRUES DE L’OURIKA

Les crues de l’oued Ourika sont d’origine pluviale. Elles résultent généralement de fortes averses localisées dans l’espace. Le milieu physique du bassin versant offre un environnement propice au développement de fortes crues: les pentes sont fortes, les sols peu perméables et le couvert végétal est très discontinu. Plusieurs autres facteurs naturels agissent sur les temps de base et de montée: le bassin est compact (Kc = 1,3) et le réseau hydrographique est bien hiérarchisé. Cette configuration morphologique contribue à amplifier les débits de pointe observés à l’exutoire (SAIDI et al., 2003).

Les crues violentes entraînent toujours dans leur déplacement des blocs, des galets, du sable, du limon et des branchages. Ces matériaux forment parfois des barra­ges au droit des verrous. L’eau s’accumule derrière jusqu’au moment où le barrage cède. Un flot de boue, armé de charge solide fine et grossière, déferle alors en emportant champs, arbres, routes, passerelles et maisons (ARESMOUK, 2001).

 

– Les crues dans l’année hydrologique

L’analyse des moments d’occurrence des crues de l’Ourika a permis de constater que celles-ci surviennent en toutes saisons (Fig. 6). Chaque mois (hormis décembre) a connu au moins une crue pendant les 34 ans d’observations. Sur 36 événements de crues enregistrés, 6 ont été observés au mois de mai, 5 pour chacun des mois de septembre, mars et avril et 4 aux mois de juillet et août.

 

Fig. 6 – Répartition mensuelle des crues de l’Ourika.

– Monthly distribution of flood occurrence of the Ourika River.

– Variação mensal das ocorrências de cheia do Rio Ourika.

 

A l’échelle saisonnière, le printemps émerge du lot par la fréquence de ses crues. L’été, saison de sécheresse au Maroc, mérite d’être signalé comme une saison de grand risque hydrologique, avec 9 crues enregistrées, soit un quart des crues de la série. La raréfaction des précipitations estivales est expliquée habituellement par la remontée vers le Nord des hautes pressions subtropicales. Toutefois, les régions en altitude du pays reçoivent des pluies pendant cette saison. Ces dernières ont souvent un caractère orageux et localisé. Elles peuvent être très intenses, avec plusieurs dizaines de millimètres en quelques minutes ou dizaines de minutes, et accompagnées de grêle. Ces pluies d’été résultent d’un type de temps chaud et orageux: «Les hautes pressions, centrées sur les Açores, s’étendent plus ou moins en direction du nord de l’Espagne et de la France. Le Maroc se trouve alors sur la face SE de l’anticyclone, le plus souvent dans un large talweg barométrique qui prolonge vers le Nord la dépression saharienne. En altitude, à 500 hectoPascal, on observe une dépression sur le Maroc ou à son voisinage, ou bien un couloir dépressionnaire entre l’anticyclone des Açores et l’anticyclone du Sahara. De l’air tropical maritime est associé à ces secteurs de basse pression relative, et des ascendances  se produisent, d’autant plus vigoureuses que la dépression d’altitude est marquée: sur une largeur variable, et au dessus des reliefs, il y a alors des nuages: cirrus et altocumulus le matin, cumulonimbus élevés dans l’après midi. Des orages éclatent en fin d’après-midi et dans la soirée» (NOIN, 1963).

 

– Temps de base, temps de montée et types d’hydrogrammes

La durée des crues de l’Ourika est généralement courte, de quelques heures à quelques dizaines d’heures. Sur la période d’observation de 1970-71 à 2003-2004, et sur 36 événements de crues, les temps de base (ou durées de crues) les plus fréquents sont de 4 à 30 heures. Les classes 10h-20h et 20h-30h sont toutefois les plus fréquentes (Fig. 7). Il en résulte des hydrogrammes aigus et serrés. Ces durées sont par ailleurs sans rapport direct visible avec les débits de pointe. Ceux-ci sont assez variables et peuvent être plus ou moins importants.

 

Fig. 7 – Répartition des différents temps de base des crues de l’Ourika.

– Distribution of flood duration of the Ourika River.

– Distribuição da duração das cheias do Rio Ourika.

 

En fait, le caractère le plus marqué des crues de l’Ourika est leur soudaineté. Plusieurs crues ont eu des temps de montée de une à 4 heures, d’autres de 4 à 10 heures (Fig. 8). Ces durées sont relativement courtes et constituent un grand risque pour les riverains et les estivants, en raison de la difficulté de déclencher une alerte à temps. Ces derniers ont souvent été surpris par les montées rapides et soudaines du niveau de l’eau et de la vitesse d’écoulement.

 

Fig. 8 – Temps de montée des crues de l’Ourika.

– Rising flood times of the Ourika River.

– Distribuição dos tempos de alcance dos picos de cheia do Rio Ourika.

 

Les hydrogrammes de crues de l’Ourika sont dans l’ensemble simples, monogéniques et bien individualisés, avec des temps de base et de montée assez courts. La décrue est cependant plus lente que la montée des eaux. Elle est souvent suivie d’un tarissement prolongé.

La crue du 2 novembre 1987, par exemple (Fig. 9), avait un temps de base de 39 heures et le débit de pointe fut de l’ordre de 650 m3/s. Il a été atteint après un temps global de montée de 14 heures. Une première montée amorcée la veille à 20 heures était lente et régulière jusqu’à 6 h où le débit fut de l’ordre de 100 m3/s, puis a atteint 183 m3/s à 8 h. Il s’en est suivi une montée rapide et violente qui a élevé le débit à une pointe de 650 m3/s en deux heures seulement. Ce débit de pointe a représenté à peu près trois fois le débit moyen de la crue.

 

Fig. 9 – Hydrogramme de la crue de l’Ourika du 2 novembre 1987.

– Hydrogram of the Ourika River flood of November 2, 1987.

– Hidrograma da cheia do Rio Ourika de 2 de Novembro de 1987.

 

La crue du 17 août 1995 est l’une des crues les plus meurtrières et dévastatrices de l’histoire moderne du Maroc. Elle est le résultat d’une situation météorologique propice au développement des orages. Selon la météorologie nationale, en altitude, un flux de sud aurait apporté des Canaries sur la région du Haut-Atlas de l’air humide, frais et convectivement instable. Ce flux d’air s’est réchauffé à la base, au contact des pentes surchauffées, et est devenu localement instable. En surface, l’air chaud d’origine continentale suivait une courbure cyclonique et venait s’attaquer par le nord au relief du Haut-Atlas, s’humidifiant sur son chemin au contact de l’air maritime provenant de l’Atlantique et accentuant l’instabilité de celui-ci (Fig. 10). Cet air est arrivé l’après-midi avec une température dépassant 40°C; il s’est produit alors un soulèvement brutal provoqué d’une part par la convection thermique et d’autre part par l’effet orographique. Il en est résulté une formation locale de nuages orageux très épais, qui ont pris une dimension remarquable à partir de 19h05 et ont commencé à se dissiper en se déplaçant vers l’est à partir de 21h37. «L’orage s’est abattu en haute montagne, sur une zone restreinte comprise entre 2000 et 3000 m d’altitude» (INGEMA, 1996). L’intensité des précipitations a été estimée à 100 mm/h pendant deux heures sur une superficie de 228 km2 (JICA, 2001).

 

Fig. 10 – Circulations d’air convectif à l’origine de l’orage du 17 août 1995.

– Convective air circulation at the origin of the August 17, 1995 storm.

– Circulação convectiva de ar na origem da tempestade de 17 de Agosto de 1995.

 

La crue n’a duré que 3 heures, mais le temps de montée a été particulièrement bref: dix minutes. Le débit est passé à la station d’Aghbalou de 30 m3/s à 20 heures à une pointe de l’ordre de 1030 m3/s à 20h10 et les eaux mobilisées ont atteint un volume de 3,3 millions de mètres cubes. L’hydrogramme de la crue (Fig. 11) met en relief les caractéristiques d’une crue monogénique avec une forte pointe de crue, des temps de base et de montée assez courts et un tarissement prolongé.

 

Fig. 11 – Hydrogramme de la crue de l’Ourika du 17 août 1995.

– Hydrogram of the Ourika River flood of August 17, 1995.

– Hidrograma da cheia do Rio Ourika de 17 de Agosto de 1995.

 

Il s’agit d’une crue particulièrement catastrophique car sa soudaineté est exceptionnelle. Les dégâts enregistrés par la Direction Provinciale de l’Agriculture de Marrakech (1999) sont très lourds: pertes humaines officiellement de 289 victimes; 210 hectares de terrains agricoles endommagés et un coût financier de 2,26 Millions de dirhams; 194 maisons détruites, soit un coût évalué à 11,64 Millions de dh; 83 véhicules emportés, soit un coût approximatif de 6,23 Millions de dh; 1147 caprins et 1725 bovins et ovins perdus (12,57 Millions de dh). Au total, les dégâts matériels ont été estimés à environ 15 millions de dollars US.

Après le passage de l’onde de crue, le paysage de la vallée a été complètement bouleversé (Fig. 12 et 13). Les cadavres et débris de voitures parsemaient la vallée et les éboulements et glissements de terrains ont rendu la route dangereuse puis inutilisable. L’arrivée des secours a été difficile puisque le désenclavement de la vallée n’est assuré que par une seule voie fragile et vulnérable qui n’est équipée par endroit que d’ouvrages submersibles à semi-submersibles.

 

Fig. 12 – Habitation édifiée près du lit de l’oued et détruite par la crue du 17 août 1995 (Source: Agence de Bassin Hydraulique de Tensift).

– House close to the bed of the wadi and destroyed by the flood of August 17, 1995. (Source: Agence de Bassin Hydraulique de Tensift).

– Habitação edificada perto do leito do waadi e destruída pela cheia de 17 de Agosto de 1995 (Fonte: Agence de Bassin Hydralique de Tensif).

 

Fig. 13 – Commerces et habitations emportés par la crue du 17 août 1995 (Source: Agence de Bassin Hydraulique de Tensift).

– Shops and houses swept away by the flood of August 17, 1995 (Source: Agence de Bassin Hydraulique de Tensift).

– Lojas e habitações afectadas pela cheia de 17 de Agosto de 1995 (Fonte: Agence de Bassin Hydraulique de Tensift).

 

La crue du 28 octobre 1999 a été surtout caractérisée par l’énorme volume d’eau mobilisé. Pas moins de 26 millions de mètres cubes d’eau ont transité par l’exutoire du bassin et les débits ont atteint une pointe de 762 m3/s. Ces débits sont passés de 62 à 579 m3/s en trois heures seulement (de 11 h à 14 h), puis le pic de 762 m3/s a été atteint à 17 h 30 (Fig. 14). La crue a duré en totalité 23 heures et a surtout provoqué des dégâts matériels: 15 maisons détruites et des dizaines d’hectares de terres agricoles endommagés.

 

Fig. 14 – Hydrogramme de la crue de l’Ourika du 28 octobre 1999.

– Hydrogram of the Ourika River flood of October 28, 1999.

– Hidrograma da cheia do Rio Ourika de 28 de Outubro de 1999.

 

Sur le plan structural et hydrogéologique, le bassin de l’Ourika est fissuré par endroit. Un réseau de failles et de diaclases, notamment sur le socle cristallin en amont du bassin, permet à l’eau de s’infiltrer, bien qu’en faibles proportions. Le bassin est dépourvu d’une nappe généralisée mais l’eau souterraine s’organise en filets d’eau et en lentilles éparpillées. Plus en aval, cette eau souterraine draine le cours d’eau en l’alimentant par différentes résurgences. A cet effet, nous avons constaté que pendant certaines années peu pluvieuses, la lame d’eau écoulée est curieusement importante. Ceci laisse présager un temps de séjour conséquent de l’eau infiltrée.

 

– Aménagements préventifs

Pendant les dernières décennies, le Maroc a connu plusieurs fois des inondations dévastatrices qui ont perturbé les activités économiques à des degrés différents selon les régions. Elles ont eu un grand impact sur les infrastructures de base, la production agricole et différentes activités humaines. C’est ainsi que la lutte contre les inondations a depuis longtemps figuré parmi les objectifs de la planification et de la gestion de l’eau au pays, avec en particulier la construction de grands barrages dans certaines régions.

Dans le bassin versant de l’Ourika, et au lendemain de la crue catastrophique du 17 août 1995, plusieurs mesures structurelles et non structurelles ont été entreprises. Elles ont été axées sur trois plans: mise en place de dispositifs de surveillance et d’alerte, planification de l’occupation du sol et aménagement des zones à risque et édification d’ouvrages de protection et aménagement des cours d’eau (ARESMOUK, 2001).

Parmi les mesures techniques, on peut citer, d’une part, la protection des berges de l’Ourika en plusieurs points noirs par des murs de soutènement, pour favoriser la stabilisation des berges contre l’érosion et éviter les débordements des eaux de crues; d’autre part, l’aménagement de seuils pour l’amortissement des crues et des torrents affluents chargés de débris plus ou moins grossiers et, enfin, la réalisation d’ouvrages d’art et d’assainissement routiers ainsi que l’aménagement de zones de refuge et d’une piste en crête hors d’atteinte des crues.

Cependant, si la capacité de certains ouvrages à remplir leurs fonctions est réelle contre les petites et moyennes crues, il n’en est pas de même pour les fortes crues de faible fréquence. Par exemple, certains seuils d’amortissement destinés à amortir la vitesse et la force érosive des affluents et à intercepter la charge solide tractée par l’oued ont montré leurs limites au cours des crues récentes. Ceux édifiés sur l’affluent Tighzirt, par exemple, sont déjà remplis et le cours d’eau reprend peu à peu son profil en long d’origine (Fig. 15). Également, un mur de soutènement mis en place sur le cours principal après la crue de 1995 a cédé devant la puissance de la crue du 28 octobre 1999 (Fig. 16).

 

Fig. 15 – Seuils de stabilisation de Tighzirt et comblements par la charge solide des crues.

– Concrete sills at Tighzirt and filling up of the inter sill parts by flood sediments.

– Enchimento dos canais de betão em Tighzirt com sedimentos de cheia.

 

Fig. 16 – Mur de soutènement de l’Ourika détruit par la crue du 28 octobre 1999 (source: Aresmouk, 2001).

– Supporting wall on the side of the Ourika River destroyed by the flood of October 28, 1999 (source: Aresmouk, 2001).

– Muro de suporte da margem esquerda do Rio Ourika destruído pela cheia de 28 de Outubro de 1999 (Fonte: Aresmouk, 2001).

 

Sur le plan non structurel, plusieurs études et investigations sur le terrain ont permis d’élaborer des cartes d’aléas de crues et de zones inondables et un contrôle de l’occupation des sols est instauré dans la vallée.

Par ailleurs, un système de prévision et d’alerte aux crues a été installé dans le bassin de l’Ourika. Il consiste à pouvoir donner des alertes et pré-alertes à temps pour pouvoir évacuer les gens en aval et dans les endroits de fréquentation touristique. A cet effet, cinq stations de mesures hydrologiques et pluviométriques ont été placées en amont du bassin de l’Ourika, à des altitudes de 1270, 1650, 1850, 2200 et 2230 mètres (Fig. 17). Leurs mesures instantanées sont d’un intérêt capital dans la prévention contre les crues à l’aval du bassin, souvent peuplé et fréquenté par les touristes. Ce système d’alerte a prouvé son efficacité lors de la dernière grande crue du 29 août 2006, où le débit a atteint une pointe de 286 m3/s. Une alerte a été donnée en temps opportun: des sirènes ont retenti dans la vallée et les riverains et estivants ont pu à temps rejoindre les différents refuges aménagés à cet effet. Deux personnes ont toutefois été emportées par les flots de l’oued, une cinquantaine de voitures endommagées et la route principale fut momentanément coupée.

 

Fig. 17 – Emplacement des stations de veille et d’alerte hydrologique.

– Location of the monitoring and warning stations.

– Localização das estações de monitorização e de alerta.

 

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Le bassin versant de l’Ourika offre un environnement géomorphologique global propice aux pulsations brutales et violentes du cours d’eau. Le substratum est très peu perméable, le couvert végétal est faible et clairsemé, les pentes à grande dénivellation sont fortes et les vallées encaissées, en plus de l’exposition vers le Nord et le Nord-Ouest et une pluviosité importante pour un milieu semi aride, et souvent intense. Cette convergence de facteurs génère des crues avec écoulements à grande vitesse et à très forts débits par rapport au module moyen et confère à l’oued une grande aptitude à l’érosion.

Les impacts des crues de l’Ourika sont considérables et toujours visibles sur les voies de communication, les terrains agricoles et les bâtiments. Les événements de crues sont fréquents et répétitifs: des crues de l’ordre de 103 m3/s, soit 19 fois le module, se produisent en moyenne tous les deux ans à Aghbalou, et des débits de pointe de l’ordre de 485 m3/s y reviennent tous les 10 ans (SAIDI et al., 2003).

Sur le plan de la prévision et d’alerte aux crues, nous avons noté l’automatisation de l’observation hydrologique (pluie et niveau d’eau) dans 5 stations d’annonce de crues et l’automatisation de la transmission des données (système radio VHF avec 2 stations relais). Un poste d’alarme a par ailleurs été installé en aval du bassin (au niveau de la confluence de l’affluent Tighzirt et le cours principal). Il est lié à la province régionale et l’administration territoriale de l’Ourika par un réseau radio muni d’un système d’appel sélectif.

Ce système a bien fonctionné lors de certaines crues récentes comme lors de l’averse du 4 août 2003 (Pluie de 50 mm en 10 mn et débit de 100 m3/s) où l’alerte a été donnée à la population 45 mn avant l’arrivée de la crue. Cette population, sensibilisée aux dangers des crues, manifeste souvent sa satisfaction quant à la réduction du temps d’alerte et de prévision après l’adoption du système. Ce délai étant passé de 6 heures à 30 minutes selon l’agence de bassin hydraulique de Marrakech.

Cependant, si ce système de prévision est un moyen d’atténuer les risques des désastres, il n’est pas un moyen d’éliminer complètement les dégâts. La sécurité des gens ne peut être assurée que s’ils respectent les consignes de sécurité. Par ailleurs, certaines mesures structurelles (ouvrages de protection) cèdent devant la puissance des crues de faible fréquence. Celles-ci mobilisent de gros volumes de débris de différentes tailles, emportent certains ponts et murs de soutènement et coupent la seule route carrossable de la vallée.

La dégradation du milieu est par ailleurs amplifiée par la pression foncière et touristique. La vallée est convoitée pour ses atouts naturels. Sa fraîcheur estivale constitue une alternative précieuse à la chaleur de Marrakech, ce qui a provoqué un empiétement sur le domaine public hydraulique et l’implantation de constructions dans les zones inondables. Il faudrait dans ce cas que l’administration soit munie d’outils juridiques adéquats pour qu’elle puisse parer à cet empiètement.

Le Ministère de l’Équipement a édité un guide pratique de «gestion des phénomènes catastrophiques naturels liés aux pluies et aux crues». Ce guide serait efficace s’il était adopté en tenant compte des particularités régionales: le milieu montagnard par exemple. Le renforcement de l’équipement hydro-météorologique et la constitution d’une grande base de données hydrologiques et climatologiques sont également souhaitables, ainsi que la coopération entre l’administration chargée du domaine hydraulique et la communauté scientifique pour mieux cerner les phénomènes des écoulements, particulièrement leurs aspects extrêmes.

 

BIBLIOGRAPHIE

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