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Cadernos de Estudos Africanos

versão impressa ISSN 1645-3794

Cadernos de Estudos Africanos  no.37 Lisboa jun. 2019

 

DOSSIER

 

Le Parcours Professionnel des Jeunes au Mali vers l’Auto-entrepreneuriat

 

O percurso profissional dos jovens no Mali para o auto-empreendedorismo

 

 

Youssouf Karambé

Institut National de la Jeunesse et des Sports, Bamako, Mali, youkarembe@yahoo.fr

 

 


RÉSUMÉ

L’auto-entrepreneuriat tend à devenir le modèle professionnel dominant chez les jeunes. Les faiblesses du système éducatif et celles des dispositifs d’insertion professionnelle de l’État malien ne permettent pas aux diplômés d’accéder à un emploi pérenne. La fonction publique et les collectivités territoriales se montrent inaptes à absorber la population en demande d’emploi. Face à ces problèmes, les jeunes s’engagent dans un parcours professionnel précaire. À travers des entretiens individuels conduits à Bamako, San et Bandiagara, j’ai pu retracer le parcours de plusieurs jeunes Maliens. De petits métiers en activités ponctuelles en passant par l’auto-entrepreneuriat, certains jeunes parviennent à consolider leur parcours et devenir des modèles de réussite. De plus en plus, l’auto-entrepreneuriat devient un choix alternatif à la fonction publique.

Mots clés : jeunesse, salariat, chômage, auto-entrepreneuriat, parcours professionnel, réussite sociale


RESUMO

O auto-empreendedorismo tende a tornar-se o modelo profissional dominante entre os jovens. As fraquezas do sistema educativo e dos dispositivos de inserção profissional do Estado maliano não permitem aos diplomados aceder a um emprego permanente. A função pública e as coletividades territoriais mostram-se incapazes de absorver a população à procura de emprego. Perante estes problemas, os jovens enveredam por um percurso profissional precário. Através de entrevistas individuais realizadas em Bamako, San e Bandiagara, pude traçar o percurso de vários jovens malianos. De pequenos trabalhos em atividades pontuais, passando pelo auto-empreendedorismo, alguns jovens conseguem consolidar o seu percurso e tornar-se modelos de sucesso. Cada vez mais, o auto-empreendedorismo torna-se uma opção alternativa à função pública.

Palavras-chave: juventude, trabalho assalariado, desemprego, auto-empreendedorismo, percurso profissional, sucesso social


 

 

L’accès à un emploi salarié a longtemps été considéré comme une réussite sociale et un épanouissement individuel. L’école, par le biais du diplôme, était le plus sûr moyen pour y arriver. Les services de l’État et les ONG étaient les secteurs d’activité les plus convoités. Mais depuis une trentaine d’années, le chômage n’a cessé de progresser au point de devenir un fléau chez les jeunes Maliens, surtout diplômés. Les mesures politico-institutionnelles prises par l’État malien n’ont pas pu infléchir la situation : au plan local, le chômage touche de plus en plus de jeunes. À considérer le phénomène, on observe deux éléments essentiels : la forte proportion de chômeurs de longue durée (plus de neuf chômeurs sur dix étaient au chômage pendant plus d’un an) et la forte proportion de chômeurs à la recherche d’un premier emploi (quatre chômeurs sur cinq). Le système de l’emploi est défavorable aux jeunes, qui enregistrent le taux de chômage le plus élevé (INSTAT-Mali, 2014). Les conséquences liées au chômage sont multiples et néfastes : pauvreté, perte du lien social, hausse de la délinquance et de la criminalité, émigration. Face à l’inefficacité de ces mesures et à l’impuissance de l’État, une prise de conscience s’observe chez de nombreux jeunes Maliens qui initient des projets individuels afin de créer par eux-mêmes de l’emploi.

Cet article vise à montrer comment certains jeunes arrivent à s’en sortir pour devenir des modèles de réussite sociale qui vont inspirer les autres jeunes de leur génération. L’auto-entrepreneuriat étant devenu – à l’instar de l’engagement civique – la nouvelle « doctrine » en matière de création d’emploi, il est aujourd’hui nécessaire d’intégrer ce nouveau paradigme aux cursus scolaires et universitaires. Il est important que chaque jeune adulte assimile une culture entrepreneuriale durant ses études pour anticiper sa situation post-diplôme. Il s’agira d’amener les élèves et les étudiants à concevoir des projets professionnels réalisables par eux-mêmes en les accompagnant par des stages en milieux professionnels. Le fait de développer la fibre entrepreneuriale dans leur esprit durant leur parcours scolaire, nourrit en eux la volonté et la possibilité de s’investir dans ce secteur avec la conviction de réussir. Cette réforme du curriculum peut servir de soubassement pédagogique afin d’adapter, dans le contexte actuel, la formation de la jeunesse aux possibilités réelles d’emploi. Cela permet également un changement des mentalités concernant l’idée que les parents et les élèves ont de l’école.

Il sera question ici pour nous d’analyser les formes d’actions possibles chez les jeunes adultes dans leur recherche d’emploi en vue de leur autonomisation. Les dispositifs d’insertion professionnelle mis en place par l’État malien pour l’emploi des jeunes sont faibles et inadaptés, et peu en bénéficient. L’accès à un emploi est une véritable épreuve (Dubet, Galland, & Deschavanne, 2004). Parce que le système universitaire malien se focalise sur l’éducation à destination de l’emploi dans le secteur public. L’accès à un premier emploi prend du temps dans les villes maliennes, trois ans et demi en moyenne (Boutin, 2013). On observe qu’un grand nombre de jeunes sans occupation attendent qu’on leur offre un emploi (Honwana, 2014 ; Ouedraogo & Tallet, 2014). Ainsi, le renforcement des connaissances entrepreneuriales des jeunes favorise leur autonomie et le développement économique (Tchouassi, Ngwen, Oumbe & Temfack, 2018). Malgré leur intérêt pour le fonctionnariat, certains jeunes développent des stratégies personnelles d’auto-entrepreneuriat. Dans cet article, nous avons choisi de rassembler ces stratégies articulées autour d’activités successives sous le terme « parcours constructifs pour l’autonomisation ». Notre enquête, réalisée en 2011, s’inscrit dans un travail de thèse de doctorat sur l’implication de la jeunesse dans la gouvernance locale dans la commune VI du district de Bamako, la commune de Bandiagara et celle de San. La méthode employée – guide d’entretien semi-directif – était qualitative. Ont été réalisés des entretiens avec une soixantaine de jeunes : des élèves – déscolarisés et diplômés – âgés de 16 à 35 ans. Le Mali, en tant que pays membre de l’Union Africaine (UA), a défini l’âge officiel maximum de la catégorie « jeune » à 35 ans (UA, 2007). Pourtant, sur le terrain, cette limite n’est pas opératoire. Nous nous sommes donc référés à trois catégories de jeunes. La première est constituée de personnes sans qualification ou diplôme. Rassemblant analphabètes et lettrés, elle se caractérise par son émergence sur le marché du travail dans la catégorie d’âge la plus jeune. Les secteurs d’activité dominants sont le commerce, le tourisme (visites guidées), l’artisanat, les petits métiers. La deuxième catégorie est constituée de diplômés en quête d’emploi qui mènent toutefois des activités professionnelles ponctuelles ou temporaires ne relevant pas forcement de leur domaine de qualification : notamment l’enseignement, le commerce. La troisième catégorie se compose de salariés exerçant dans leur domaine de qualification comme l’enseignement, la santé, l’agriculture et le bâtiment principalement.

La question principale est de savoir quelles sont les stratégies développées par les jeunes pour obtenir un emploi stable. Celle-ci s’inscrit dans la théorie des « figures de réussite », une expression empruntée à Banégas et Warnier (2001/2014) issue de leur texte paru dans la revue Politique Africaine. Dans cet article, les auteurs montrent que « la figure de l’intellectuel diplômé […] a vu sa valeur sociale se dégrader à mesure que se fermaient les opportunités d’embauche dans la fonction publique et que s’aggravait la crise des filières universitaires ». Par la suite, des catégories sociales vont, à travers d’autres trajectoires d’accumulation comme le commerce, s’affirmer et se hisser dans les hiérarchies du prestige (Banégas & Warnier, 2014, pp. 6-7).

Dans le même ordre d’idée, Gough et Langevang (2015) rapportent dans leur ouvrage Young Entrepreneurs in Sub-Saharan Africa que l’auto-entrepreneuriat est devenu un phénomène massif chez les jeunes. Face à un chômage élevé qui est la conséquence de la restructuration économique et de la transformation du marché de travail, les opportunités d’emploi deviennent de plus en plus limitées et l’auto-entrepreneuriat représente une alternative. Selon ces auteurs, les jeunes ont investi le secteur informel à travers un éventail d’activités génératrices de revenus. Des jeunes femmes vendent sous des hangars ou en plein air une variété de marchandises telles que des fruits et des légumes, des produits cosmétiques, ou proposent leur service de coiffure (les tresses) ou de couture (confection d’habits). Quant aux jeunes garçons, ils sont plus actifs dans les filières manufacturières, comme les jouets électroniques, les services de lavage de voitures, de recharge de téléphone et autres. Ces jeunes gens sont devenus prédominants parmi les entrepreneurs « ordinaires », prouvant ainsi leurs capacités à trouver de niches économiques, à gérer des ressources rares et à saisir des opportunités au sein d’environnements économiques contraignants.

Dans cet essai, notre propos s’articule en premier lieu autour de la problématique de l’emploi et de l’analyse des dispositifs institutionnels mis en place par l’État malien. Puis, nous nous attachons à décrire comment les élèves perçoivent l’emploi, leurs choix futurs et leurs modèles de réussite. Enfin, la dernière partie porte sur les parcours professionnels des jeunes à partir de l’école.

L’emploi au Mali

Le chômage des jeunes n’est pas un problème spécifique au Mali, il est devenu un « fléau » pour la jeunesse mondiale (Le Bigot et al., 2012). Ce phénomène relativement récent procède de causes diverses et complexes ; néanmoins, il faut souligner dans le cas du Mali l’importance de la date d’octobre 1983, c’est-à-dire de l’instauration d’un concours d’entrée à la fonction publique. Ce concours découle du salariat et de la scolarisation (Kail, 1998, p. 72). L’entrée sur le marché du travail devient une épreuve majeure pour les jeunes. N’étant à l’école pas formés à l’auto-entrepreneuriat, les jeunes éprouvent des difficultés d’insertion. Depuis le début des années 1980, les mesures d’austérité budgétaire des institutions financières internationales ont poussé le Mali à cesser « d’assumer le rôle de pourvoyeur d’emploi des jeunes gens fraîchement sortis des écoles et des universités locales ou occidentales. L’administration publique freine non seulement les recrutements, mais aussi accentue la précarité socioprofessionnelle en licenciant, pour des raisons financières, certains de ses agents » (Amouzou, 2009, p. 198). La situation, néanmoins, n’est pas la même pour tous ; il existe plusieurs niveaux d’insertion. Dans leur étude sur « l’insertion professionnelle et le rapport au temps de jeunes ayant interrompu leurs études secondaires », Trottier, Gauthier et Turcotte (2007) ont observé quatre types de jeunes : « stabilisés, en voie de stabilisation, en situation précaire, en marge du marché du travail ». Selon le ministère en charge de l’emploi, la situation au Mali se résumait ainsi :

- Sous-emploi élevé et très faible productivité dans le secteur agricole qui regroupe 60% des actifs en 2007 ;

- L’emploi informel non agricole représente 24% des actifs ;

- 42% des travailleurs du secteur informel sont des femmes ;

- L’emploi formel est le lot de 8% des actifs, dont 40% d’hommes et 60% de femmes ;

- Le chômage atteint 63% chez les jeunes de 15-29 ans ;

- Le chômage n’épargne pas les personnes instruites : il est de 24% chez ceux qui ont atteint le niveau du secondaire et du supérieur.

L’emploi chez les jeunes est un sujet qui revient sans cesse dans les discours des dirigeants politiques. En 2012, le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle estimait le taux de chômage des jeunes à 17%. Pour trouver une solution au problème, le président de la République du Mali de 1992 à 2002, Alpha Oumar Konaré, déclarait en 1992 au colloque « Jeunes, ville et emploi » à Paris que : « […] pour la gestion des problèmes d’emploi, pour la gestion de l’environnement, de l’espace urbain, il faut libérer les initiatives partout où l’État n’est pas nécessaire : libérer les jeunes, libérer les associations des jeunes » (Le Bris & Chauveau, 1992). En 2005, 488 associations, organisations et mouvements de jeunesse avaient été répertoriés sur le territoire national. Leur nombre est passé à 2147 en 2012 ; soit une augmentation de plus de 400% en sept ans. Ces initiatives ont principalement pour objectif l’insertion professionnelle et le développement local. Selon Alpha Oumar Konaré, les jeunes et les associations de jeunes n’étaient pas, en 1992, libres de prendre des initiatives. Il fallait donc les libérer. Quel était le problème, notamment en matière d’emploi ? C’était principalement l’attente d’opportunités offertes par l’État malien à travers le concours d’entrée à la fonction publique ou de quelques postes dans les ONG. Mais ces types d’offres étaient limités par rapport à la forte demande d’emploi. Ainsi l’auto-entrepreneuriat est apparu comme une alternative. Une étude à petite échelle menée sur l’auto-entrepreneuriat des jeunes au Mali dans les zones de Bamako, de Ségou, de Konobougou et de Niono réalisée par Dougnon, Cissé, Bello, Koné et Touré (2013) a permis de montrer que l’auto-emploi est l’option dominante chez les jeunes (31% des jeunes sont des auto-employeurs, 27% des chômeurs, 23% des étudiants et 19% des employés). Une situation qui est en phase avec la dynamique observée en Afrique, ainsi que l’observe l’OCDE dans un rapport de 2017. L’organisation estime que les entrepreneurs sont plus jeunes en Afrique que dans d’autres régions en développement, avec un âge moyen de 31 ans, tandis qu’en Asie de l’Est, il est de 36 ans, et en Amérique latine de 35 ans (OCDE, BAfD, & PNUD, 2017, p. 185). Si l’auto-entrepreneuriat est devenu l’outil principal de combat contre le chômage, il est également devenu selon Gough et Langevang (2015) un facteur principal de transformation économique et sociale.

Les dispositifs d’insertion professionnelle des jeunes

Des dispositifs publics ont été créés pour favoriser l’insertion socioprofessionnelle des jeunes. C’est le cas de l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ), de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), qui entre 2009 et 2012 aura coûté 18 milliards de francs CFA au budget national, et du Programme d’appui à la jeunesse malienne (PAJM) pour un coût de 1.310.000.000 francs CFA. C’est le cas également du Programme national de Promotion de la jeunesse (PNPJ), d’un montant de 1.443.545.000 francs CFA (DNJ, 2010), mais aussi de sommes allouées à des projets et des programmes d’accompagnement de la jeunesse en recherche d’emploi. Ces structures se ressemblent dans leurs objectifs et leurs actions, ce qui a conduit certains observateurs à parler de « doublonnage » (Bah, 2012). Ces structures sont censées offrir des conditions financières et techniques de création d’entreprises, des offres de stages de qualification ou d’emploi.

Après des années de mise en œuvre, les jeunes ressentent peu les effets de ces dispositifs au niveau des communes ou des quartiers. Ces programmes, officiellement destinés aux jeunes, ne les atteignent pas sinon de façon symbolique auprès seulement de quelques-uns – des actions médiatisées par les responsables politiques. Seule une poignée de jeunes, souvent responsables d’associations et leaders syndicaux, parvient à obtenir des fonds, des stages pour les diplômés ou des kits agricoles pour les jeunes ruraux. Bon nombre de jeunes diplômés n’ont pas bénéficié de l’accompagnement de ces structures et ont « été conduits à rechercher du travail dans le secteur privé, ou plutôt, en vertu de cette nécessité et du faible développement de ce secteur, à ‘chômer’ » (Gérard, 1997, p. 29). Toutefois, les outils d’insertion professionnelle ne comportent pas de « bourse d’accès à l’emploi […] pour assurer au jeune un minimum de revenu pendant les périodes » de chômage, comme en France (Davoine, 2005, p. 148). Face aux contraintes, quelles sont donc alors en pratique les stratégies d’accès à l’emploi les plus courantes au niveau local pour les jeunes ? L’entrée sur le marché du travail ne se fait pas d’un coup ; elle s’effectue par étapes successives émaillées d’obstacles et d’épreuves. Chaque étape participe à la construction de la personnalité de l’individu que nous désignerons – ainsi que nous l’avons déjà évoqué – par le terme de « parcours constructif ». Qu’est-ce que ces jeunes ont-ils en commun ? Ils ont en commun la recherche d’un emploi décent qui leur permette de s’épanouir, de réussir personnellement et de participer au développement de leur localité.

L’école comme première étape du parcours

Évoluant par paliers, le parcours de la plupart des jeunes commence à l’école. Ceux qui restent longtemps dans le circuit scolaire terminent généralement par un diplôme, or certains jeunes arrêtent les études en cours de route et se retrouvent sans diplôme. Parmi ceux-ci, il y a ceux qui arrêtent précocement les études et ceux qui restent un certain temps encore dans le système scolaire avant de décrocher. En 2010-2011 par exemple, au niveau du second cycle de Bandiagara, on dénombrait 9119 élèves dont 3380 passants (37%), 4098 redoublants (44%) et 1641 exclus (17%). Chaque interruption des études trouve sa justification ; du reste, il faut préciser qu’un arrêt des études n’est pas synonyme d’interruption complète du parcours, car l’école ne représente qu’une étape parmi d’autres et participe de la construction de la personnalité du jeune adulte.

L’école dans le parcours constructif des jeunes

Le parcours scolaire exerce une influence sur la réussite professionnelle et son analyse permet de mettre en évidence deux types d’enjeux : d’un part, une insertion professionnelle réalisée grâce aux savoirs scolaires acquis dans une école adaptée (emploi salarié dans la fonction publique ou dans une entreprise privée), l’acquisition de savoirs minimaux comme la lecture et l’écriture, et d’autre part il faut considérer les facteurs comme l’influence de la famille, l’encouragement et l’accompagnement politique, le contexte économique et social, lesquels participent de la réussite d’un projet professionnel indépendant.

Si les causes du décrochage scolaire sont multiples, l’environnement social et familial défavorable à la poursuite des études joue un rôle de premier plan. Parmi plusieurs facteurs, on trouve l’activité économique dominante du milieu familial qui exerce souvent une pression sur certains jeunes, les obligeant à chercher de l’argent plutôt que de rester à l’école. À Bandiagara, où le tourisme représente l’activité principale pour nombre d’habitants, les entretiens que j’ai menés montrent que de nombreux élèves abandonnent le chemin des classes pour emprunter celui de la visite guidée. À San, c’est plutôt le commerce. À Bamako, on n’observe pas d’activité économique dominante qui serait un facteur principal d’abandon des études. Ceci explique pourquoi la plupart des cas rencontrés à Bandiagara et à San lors des entretiens concernent majoritairement le tourisme et le commerce.

Figures de réussite sociale et orientations futures des lycéens

La notion de réussite sociale comporte plusieurs dimensions. Il peut s’agir de quelqu’un connu et populaire par ce que l’on a et ce que l’on fait. Ces dimensions couvrent des aspects financiers, matériels, des savoir-faire que la société apprécie. Ainsi, « Seraient définis comme ayant réussi des personnes qui se sont imposées dans leur carrière, en se faisant connaître, ou en occupant les plus hauts postes de responsabilité. » (Girard, 1962, p. 96). Dans le contexte africain, il faut ajouter l’accumulation d’argent et de biens matériels puis leur mis à disposition de la famille et de la collectivité pour résoudre tel problème ou satisfaire tel besoin. L’obtention d’un diplôme était supposée comme une condition pour avoir accès à ces « valeurs reconnues », une étape déterminante puisqu’il donne la possibilité d’avoir accès à un emploi salarié. Mais cette dernière idée commence à se déconstruire par le fait que non seulement plusieurs diplômés ne parviennent pas à obtenir un emploi salarié mais aussi du fait que certains gagnent leur vie sans être salariés.

Toutefois, le chômage et l’inactivité sont considérés comme des échecs.

Dans son ouvrage Jeunesse africaine et dynamique des modèles de la réussite sociale - L’exemple du Cameroun (2012), Jean-Marcellin Manga se met « à l’écoute des jeunes afin d’apprendre comment ils ‘fabriquent’ leur avenir historique ». Il s’aperçoit que, « dans leurs expériences quotidiennes, les jeunes sont amenés à construire leur avenir en opérant des choix au sein d’une société marquée par de multiples blocages ». L’auteur en vient au constat que « les jeunes sont contraints de trouver des itinéraires qui divorcent, en bien des aspects, des voies classiques » (Manga, 2012, p. 9). Toutefois, selon l’adage bamana « les pintades emboitent les pas de leurs devanciers », ceux qui réussissent exercent une influence sur les suiveurs, sur ceux qui rêveraient d’être comme eux. En sciences sociales, le terme de « modèle » désigne une « figure destinée à être reproduite. Il fait référence à une image et/ou à une réalité, une expérience, que l’on s’efforce de reproduire dans les pratiques sociales » (Manga, 2012, p. 9). En ce sens, le terme renvoie à de multiples pratiques par lesquelles les individus ou les groupes cherchent à reproduire, « à imiter une forme objective ou imaginaire ou à s’en inspirer » (Manga, 2012, p. 38). Cette définition implique qu’il existe plusieurs modèles, et non un seul. Notre analyse porte alors sur les différentes stratégies d’insertion que les jeunes développent pour réussir leur parcours professionnel.

Les modèles de réussite sociale à Bandiagara et à San

La notion de réussite est fonction du milieu. Pour mener notre étude, nous partons du postulat que les souhaits d’avenir des jeunes sont fondés sur des exemples de réussite qu’ils voient autour d’eux, dont ils entendent parler au quotidien. Nous avons interrogé 40 lycéens, dont 20 à Bandiagara et 20 à San, en leur demandant quelles sont les personnes à qui ils voudraient ressembler lorsqu’ils seront adultes. L’enquête s’est déroulée par groupe de 10 élèves. Les thèmes abordés ont été les conditions d’études, les activités secondaires pendant l’année scolaire et les vacances, et les projets d’avenir. À la question « Quels sont les exemples de réussite sociale pour vous ? », les jeunes citent des figures actuelles qu’ils connaissent. Ainsi, à San, les premiers noms cités sont ceux des opérateurs économiques, des hauts fonctionnaires et des hommes de culture.

Dans la catégorie des opérateurs économiques, ce sont les noms de Youssouf Traoré de Bani Transport, de Zoumana Traoré de Sankè, d’Alou Badra Coulibaly de Ben & Co qui ne cessent d’être cités. Ces derniers sont natifs de la ville de San et sont les PDG de sociétés de transport et de sociétés pétrolières connues au Mali. Parmi les hauts fonctionnaires, les noms d’anciens ministres reviennent également : Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la Culture, le colonel Youssouf Traoré, ancien ministre, Seydou Traoré, ancien directeur administratif et financier à la présidence de la République à l’époque du Président ATT et Madou Koné, directeur de l’Agence Nationale de la Sécurité Routière (ANASER). À Bandiagara, les noms fréquemment cités sont, dans l’ordre : Papa Napo, promoteur de l’Hôtel La Falaise, Fifi Tembely, coordinatrice de l’ONG Yag-Tu, Boucari Sagara, entrepreneur dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) (devenu député après réalisation de l’enquête), Dramane Tembely, ancien maire qui a fait fortune en Côte d’Ivoire et Housseyni Amion Guindo, président du parti politique CODEM, devenu ministre en 2014. Il faut souligner que les personnalités locales sont plus citées que les personnalités nationales. Ces différentes personnalités sont considérées comme des modèles de réussite économique, politique et culturelle.

Les aspirations des lycéens concernant les secteurs de carrière

Le tableau ci-dessous rassemble de manière systématique les premières réponses des élèves à la question « Que voudrais-tu devenir après tes études ? » :

 

Tableau 1

 

Dans ce tableau, le terme « dépendance » signifie que le travailleur est assujetti aux règles de production et de répartition des biens définies par une autre personne physique ou morale dans le milieu professionnel. Le terme « autonomie » désigne une situation inverse : le travailleur est responsable de son activité ; il gère et utilise comme bon lui semble les revenus qu’il gagne sans être soumis à la volonté d’une tierce personne. On observe également qu’à Bandiagara et à San la volonté de faire carrière dans la fonction publique est presque identique : 11 contre 10. La différence principale observée entre les deux villes est qu’à San la moitié souhaite faire carrière dans le secteur privé en passant par l’entrepreneuriat. Les affaires, le commerce, le transport et la pharmacie sont des secteurs d’activité où les acteurs sont indépendants et autonomes. Ces choix démontrent l’influence des personnalités natives de ces villes citées plus haut. Les jeunes dont les parcours sont retracés dans cet article sont ceux qui ont emprunté la voie de l’entrepreneuriat ou de l’auto-emploi, refusant la dépendance.  Nous les avons classés selon deux types de parcours professionnel : la débrouillardise et le « parcours modèle ».

La débrouillardise des jeunes

Dans le guidage touristique

Souleymane T. (37 ans), Sibiri T. (28 ans) et Cheick Oumar N. (35 ans) ont en commun d’avoir abandonné précocement leurs études pour devenir guides touristiques à Bandiagara. Voici le témoignage de Cheick Oumar N., guide depuis 20 ans. Fils d’antiquaire, il abandonna les études en classe de 5e année du 1er cycle de l’enseignement fondamental (5 années d’études après la phase préscolaire). Il dit avoir grandi dans une famille où la présence des touristes était fréquente. Cette présence l’a vite marqué et lui a donné l’envie de devenir guide. Concernant ses études, il explique s’y être consacré pour satisfaire les adultes qui l’éduquaient :

J’ai volontairement interrompu les études parce que je pensais que j’étudiais pour satisfaire mes parents et mes enseignants. Lorsque j’ai décidé d’arrêter les études, j’ai marché de Bandiagara à Sévaré, 62 km, à pied ; je suis à Ségou. Six mois après, lorsque mes parents m’ont accordé la liberté de ne plus poursuivre les études, je suis revenu en famille. Depuis la 3e année, je suivais au campement les guides qui m’offraient des cadeaux, de l’argent, des habits, des montres. Je pouvais, à cet âge, avoir 15000 francs. Cela m’influençait énormément. Donc, je ne pouvais plus étudier. Mon rêve de tout temps était de travailler dans le tourisme. Actuellement, il y a peu de touristes ; je ne peux gagner qu’entre 1000 francs et 5000 francs par semaine (Entretien réalisé à Bandiagara le 8 novembre 2011).

Avant la crise politico-sécuritaire de 2012, les guides estimaient déjà que leur activité ne leur permettait pas de gagner leur vie : à partir de 2010, les conditions sécuritaires du nord du Mali ont amené les autorités occidentales à considérer la zone comme dangereuse pour les touristes. En 2012, la situation s’est aggravée avec le coup d’État et l’occupation des trois régions du nord. La crise sécuritaire a contraint plusieurs jeunes adultes à partir dans les grandes villes du pays, principalement à Bamako. Ils se sont convertis à d’autres métiers tels que le petit commerce, les services de courtiers. Certains auraient quitté le pays avec le soutien de touristes qu’ils auraient rencontrés à Bandiagara.

Le secteur du transport

Devenir chauffeur routier n’exige pas un long parcours. En général, on devient chauffeur de véhicule après avoir été apprenti quelques années, le temps d’apprendre à conduire et d’obtenir son permis.

Voici l’exemple de Harouna, chauffeur de taxi-moto à San, âgé de 22 ans. Il évoque ici le début de son activité et son quotidien :

Je n’étudie plus depuis très jeune. Comme je ne faisais rien, mon frère a acheté un taxi-moto pour me permettre de générer des revenus. Ça marche un peu. Mais nous sommes nombreux à mener cette activité. Malgré cela, je parviens à avoir des clients. Le jour de la foire, je peux gagner 15000 francs. Les jours ordinaires où ça marche moins, je peux avoir au moins 5000 francs mais rarement 10000 francs. Mon projet, c’est d’ouvrir une boutique. C’est pour cela que je suis en train d’épargner de l’argent. Malgré la fatigue, je ne peux pas décider de prendre un petit repos, même si je ne dois gagner qu’un peu d’argent seulement. Je pense que si je parviens à me lancer dans un commerce en ouvrant une boutique, ce sera mieux. Après cela, je peux me marier (Entretien réalisé à San le 17 juin 2011).

Par l’intermédiaire de son frère qui le soutient financièrement, Harouna a obtenu un emploi lui rapportant peu et l’obligeant à travailler sans repos. Toutefois, cet emploi lui permet d’avoir des projets comme l’ouverture d’une boutique où il espère gagner plus d’argent afin de pouvoir se marier. On voit bien comment Harouna entend faire un parcours dont le départ est un emploi peu rentable et fatigant, qui pourrait cependant lui permettre d’accéder à un autre emploi moins fatigant et plus rentable comme une boutique. Tenir une boutique permettrait de réaliser son rêve de se marier.

Les vendeurs ambulants

De nombreux jeunes qui disent se débrouiller difficilement sont des vendeurs ambulants. C’est le cas de Yacouba T., 31 ans. Il fait le récit de son parcours et exprime son désespoir et sa vie précaire après avoir abandonné l’école :

J’ai arrêté la médersa en 5e année pour des raisons financières. J’étais alors obligé d’errer dans la rue durant 8 ans. C’est ainsi que l’idée m’est venue d’entreprendre une activité. Ce qui s’offrait à moi tout de suite, c’était la vente de thé. Les gens se moquaient de moi, surtout les jeunes qui ne travaillent pas. Mais je ne faisais pas attention aux ragots car quand je décide de faire quelque chose, je m’y donne corps et âme sans tenir compte de ce que peuvent penser les autres. Je me débrouille avec ma femme et mes enfants. Comme j’ai beaucoup de charges sociales (les dépenses de la famille et des proches), je suis souvent paniqué. Il m’arrive alors souvent de penser à migrer. Souvent, la vie me dégoûte et je me demande faut-il partir, faut-il rester ou mourir ? Je me demande à quoi sert-il de mettre des enfants au monde et d’être incapable de les entretenir. Je suis inutile dans la vie. Ce n’est pas facile de vivre à Bandiagara. Pendant les foires hebdomadaires, je peux gagner 25000f, mais ça ne suffit pas pour les frais de la ration alimentaire journalière de la famille. Avec ça, on ne peut rien entreprendre. Quelque fois, on n’a pas à manger. La scolarisation des enfants exige des dépenses. Je regrette d’avoir abandonné l’école, car c’est à cause de cela que je suis dans ma situation actuelle (Entretien réalisé à Bandiagara le 12 novembre 2011).

Yacouba T. se trouve dans un « immobilisme social » et un désespoir. Il ne dispose pas de moyens de mener une autre activité que de vendre du thé, ce qui ne lui permet pas de sortir de la précarité, bloqué par la responsabilité familiale dont la charge est lourde et difficile à supporter. Yacouba T. se retrouve pris dans un dilemme : abandonner sa famille dans cette misère en migrant et en espérant trouver un ailleurs meilleur, ou bien continuer à vivre dans les conditions actuelles et désirer mourir. Face à la complexité de sa situation et au manque de perspectives, il remet en cause son utilité sociale dans la mesure où il est incapable de satisfaire les besoins alimentaires de sa famille et d’éduquer ses enfants. Dans sa dure réalité, il manque d’espoir malgré son envie d’entreprendre ; son parcours est pour l’instant bloqué.

Tout comme Yacouba T., Korga (40 ans) se « débrouille » dans le maraîchage. Il est toujours célibataire ; faute de moyens, il n’a pas pu se marier :

J’ai abandonné les études en 4e année. Je faisais la maçonnerie mais j’ai arrêté pour le jardinage, il y a de cela plus de vingt ans. Je vends les trois pieds de salade à 50 francs CFA. Le jour où ça marche, je gagne au maximum 3000 francs CFA. Ce n’est pas un travail qui nourrit son homme (Entretien réalisé à Bandiagara le 11 novembre 2011).

La débrouillardise est caractérisée par une situation où les jeunes qui la vivent souhaitent changer d’activité au profit d’une autre pour satisfaire leurs besoins fondamentaux (mariage, nourriture). Ceux qui n’ont pas obtenu de diplômes regrettent d’avoir monnayé leurs études contre un métier qui ne leur permet pas de vivre dignement. Dans les villes dotées d’infrastructures pour faire des études, on trouve une jeunesse qui a pu surmonter ses difficultés pour arriver à une situation bien meilleure. D’initiatives en initiatives, avec courage et persévérance, ces jeunes adultes sont devenus des exemples de réussite aux yeux d’un grand nombre qui souhaite suivre leur exemple ; en bref, il s’agit de parcours modèles.

Les parcours modèles

Un « parcours modèle » correspond à un itinéraire professionnel qui, graduellement, aboutit à la réussite d’un jeune adulte. Les jeunes qui empruntent un parcours modèle ont en commun l’auto-entrepreneuriat. Ce qui caractérise le parcours modèle, c’est que ce sont des jeunes qui décident de mobiliser leurs ressources pour réaliser leur projet. Ils sont engagés et déterminés à poursuivre leurs démarches entrepreneuriales pour aboutir aux résultats qu’ils escomptent : faire fonctionner, grandir leurs entreprises et gagner leur vie sans compter sur l’aide de l’État. Il ne s’agit pas d’entrepreneurs formels au sens d’une certaine formalisation de leurs entreprises avec tout ce que cela implique comme montants investis, chiffres d’affaires, nombre d’employés et tenue d’une comptabilité, nous parlons des jeunes qui décident de prendre des initiatives professionnelles afin de répondre au problème d’emploi. Le second facteur qui caractérise le parcours modèle, est la croyance de ces jeunes porteurs de professionnels en la réussite, ce qui fait qu’ils sont persévérants et résilients face aux difficultés qui surviennent. Certains emploient même d’autres jeunes. Dans la majorité des cas, ils n’ont pas bénéficié d’appui financier leur permettant de constituer un fonds de départ. En mobilisant leur imagination, et à force de vouloir avancer, ils se sont forgé des itinéraires qui les ont conduits sur le chemin de la réussite. Il faut noter que notre rencontre avec les jeunes exemplaires d’un parcours modèle a été motivée par le fait que d’autres jeunes les ont cités en exemple. Voici les extraits d’entretiens décrivant ces parcours de réussite.

Mme Din du restaurant « Dinette » à la ZRNI en commune VI du district de Bamako

Diplômée, avec la possibilité de travailler dans un bureau, Mme Din a choisi la voie de l’entrepreneuriat avec peu de moyens. Sans être contrainte de mener cette activité, elle a tenu bon face au regard démoralisant et souvent moqueur de ses camarades. La particularité de cette jeune dame est qu’elle a renoncé à un travail d’employée dans une administration pour se lancer dans la transformation et la vente de produits alimentaires. Contrairement à d’autres qui considèrent que ce genre d’activité est réservé aux analphabètes, elle n’a pas tenu compte de son diplôme, comprenant que celui-ci ne constituait pas une garantie de travail.

J’ai fait mes études en Côte d’Ivoire jusqu’en classe de 8e année. Je suis venue au Mali pour continuer en 9e année. Après le Diplôme d’études fondamentales (9e année) je suis partie à l’École Centrale pour l’Industrie, le Commerce et l’Administration où j’ai fait un stage de fin de cycle à la Société Malienne de Piles Électriques. Par la suite, j’ai effectué une formation en informatique et j’ai obtenu un stage à la direction commerciale de la Société des Télécommunications du Mali (SOTELMA). De là, j’ai obtenu un contrat de travail pour 50.000 francs CFA. Pendant que je travaillais, je vendais du jus de fruits et la crème de mil mukudji [crème de mil en langue bamana], à la descente [fin de journée de travail] au terminus de Banankabougou vers le petit soir [fin d’après-midi], entre 16h et 17h. Je faisais en moyenne 3000 francs CFA de bénéfice par jour. Quand je me suis rendue compte que je gagnais beaucoup plus dans cette activité, et en si peu de temps, j’ai arrêté d’aller à la SOTELMA avant même la fin de mon contrat pour me consacrer à la vente de la crème de mil. Avec le petit fonds que j’avais gagné dans la vente de la crème, j’ai ouvert mon restaurant avec l’appui de mon mari. J’ai d’abord commencé avec le poulet ; à la demande de certains clients, j’ai ajouté le riz et d’autres aliments. Je peux dire que j’ai réussi. Au début, quand je préparais les jus, mes amies se moquaient de moi ; elles disaient : « toi tu préfères le soleil au climatiseur ». Mais je ne les ai pas écoutées, parce que ce travail me permettait de gagner ma vie. Je n’aurais jamais gagné autant dans un bureau. En plus, on est plus libre quand on travaille pour soi. Aujourd’hui, mon mari et moi avons acheté des terrains pour la famille dont certains sont en construction ; des terrains pour mes sœurs dont nous préparons le mariage. Nous avons acheté une voiture (Entretien réalisé à Bamako le 9 mars 2012).

Peu de jeunes disposant d’un contrat dans une société de télécommunication par exemple oseraient s’adonner à un tel travail. Le parcours de Mme Din nous permet de considérer qu’elle pourrait être un modèle, bien qu’elle fît l’objet de moqueries de la part son entourage à ses débuts.

L’exemple d’Aly K., entrepreneur à Faladié

Aly Diallo continue d’aller au lycée mais enchaîne depuis plusieurs années les échecs au baccalauréat. Finalement, il ouvre un salon de coiffure et devient ainsi entrepreneur. Voici son récit :

Je suis bloqué au niveau du baccalauréat que j’ai passé à plusieurs reprises et je continue toujours à le faire comme candidat libre. Lorsque j’étudiais, j’ai appris à coiffer. J’ai continué à coiffer et j’ai ouvert mon salon de coiffure. Avec les revenus que j’ai gagnés, j’ai ouvert une boutique. J’ai ainsi construit un restaurant. Cela fait deux ans que je suis là. J’emploie sept jeunes. C’est très rentable, parce qu’actuellement j’ai ouvert encore un dépôt de boisson. Je vole de mes propres ailes sans le soutien ni des banques ni des parents. Maintenant, j’envisage beaucoup d’autres projets comme la transformation du restaurant en hôtel. L’emploi à Bamako n’est pas du tout facile, mais il faut être courageux ; ne dit-on pas qu’il n’y a pas de sot métier ? Il faut seulement avoir quelque chose à faire. Les jeunes qui restent à la maison sans rien faire en disant qu’ils ont des diplômes dans tel ou tel domaine et qu’il leur faut un emploi dans ce domaine, c’est un manque de compétence, une faiblesse de leur part (Entretien réalisé à Bamako le 10 mars 2012).

Par son courage, Aly est parvenu à transformer son échec scolaire en réussite professionnelle. Il a réalisé ses projets sans le concours d’autrui. Il a pu relever le défi tout en se prenant en charge et en devenant indépendant. Ses petites entreprises lui rapportent de l’argent. En outre, il a créé des emplois pour d’autres jeunes qui travaillent dans son restaurant. Contrairement à l’idée selon laquelle il faut de l’argent pour entreprendre, il a montré que ce qui importe c’est le courage et l’esprit de créativité. Une autre leçon à tirer de son cas de débrouillardise, c’est qu’il faut commencer petit avant de réaliser de grands projets. Cela montre que, par la créativité et le courage, on peut partir de rien et devenir chef d’entreprise.

Bocary Sagara, figure du jeune entrepreneur BTP

Bocary est cité comme un exemple de jeune ambitieux qui a réussi. Les lycéens et les guides que nous avons rencontrés ont affirmé que Boucary servait de figure de « jeune qui réussit ». Sa vie professionnelle a commencé par l’enseignement. Contrairement à Mme Din, c’est sur les conseils d’une tierce personne qu’il revient à sa qualification scolaire pour créer une entreprise dans le BTP :

J’ai fait des études de bâtiment. Quand j’ai fini en 2001, je suis venu à Bandiagara. Comme je ne parvenais pas à avoir un emploi dans le domaine du bâtiment, je suis parti dans l’enseignement. Deux ans après, je me suis dit : bon, il faut revenir à la formation initiale que j’ai eue à l’école. C’est ainsi que je suis revenu à ma première formation. Ma première expérience a été le suivi de la construction du palais Aguibou Tall. C’est à partir de là que j’ai eu l’idée de créer mon entreprise. Mon vœu a été exaucé grâce à l’aide d’un ami français qui m’a beaucoup encouragé. Il m’a dit qu’en France, si on travaille dans le bâtiment, il est facile de créer une entreprise, et qu’au Mali ça doit être le cas aussi. Je lui ai dit que j’allais me renseigner. C’est comme ça qu’il m’a poussé. Et petit à petit, j’ai fait, et voilà comment j’ai créé mon entreprise en août 2006. Mon premier marché a été la construction de la salle des professeurs du lycée de Bandiagara en 2006. Dès lors, j’ai fait environ 150 chantiers, entre autres la construction des magasins de stockage d’échalotes dans les petits villages et construction de vingt logements sociaux de Bandiagara (Entretien réalisé à Bandiagara le 8 novembre 2011).

Bocary inspire les jeunes qui ont fait des études dans le domaine professionnel et qui cherchent à être employés. Les jeunes diplômés en recherche d’emploi que nous avons rencontrés le citent comme exemple de réussite sociale. Ils s’imaginent que s’ils parviennent à forger la volonté et l’esprit d’organisation dont a fait preuve Bocary, ils réussiront dans le secteur libéral avec les opportunités de marché qui sont de plus en plus nombreuses (État, collectivités, privé).

Gaoussou, vendeur d’habits à San

Gaoussou D., 32 ans, est un commerçant que les jeunes de son entourage prennent pour modèle. Son parcours leur sert de leçon sur la capacité de chacun à surmonter les difficultés pour améliorer sa situation. Voilà son histoire :

J’ai été obligé d’arrêter mes études à la médersa en 9e année, faute de moyens financiers. Toutefois, ma famille dispose d’une grande superficie dans la zone rizicole où des dizaines de tonnes sont récoltées chaque année. Après le décès de mon père, je cohabitais avec mes quatre grands-frères dans la grande famille. Au début, j’ai fait un emprunt et j’ai commencé à voyager à Lomé pour acheter des CD de vidéos et des tissus que je venais placer auprès de mes clients à Bamako et à Koulikoro. Avec ces économies, j’ai ouvert une boutique de vente d’habits pour hommes et dames au marché de San. Je fais en moyenne un voyage à Lomé tous les deux mois, et une fois par mois à Bamako pour acheter des habits. Bien qu’il y ait de la place dans la grande famille, j’ai loué une maison où je me sens plus libre. Comme projet, j’ai acheté un terrain sur lequel je construis actuellement. J’ai déjà investi plus de quatre millions de francs CFA dans la construction. Je ne me plains pas (Entretien à San, 14 juin 2011).

Après l’arrêt de ses études, Gaoussou n’a pas voulu devenir agriculteur comme ses frères aînés malgré le potentiel agricole que le père leur a légué. Il a très tôt épousé l’esprit entrepreneurial grâce à un prêt lui permettant d’acheter des CD de vidéos et des tissus dans un autre pays, à Lomé au Togo, pour les revendre à Bamako et à San en les plaçant chez des détaillants. Son projet est clair au départ. La méthode de placement est une première étape qui doit lui permettre d’ouvrir une boutique dont il sera à terme le gérant. Avec le succès de sa boutique, il obtient une autonomie financière : il est en mesure de louer son propre logement en dehors de la résidence familiale paternelle, tandis qu’il a acheté une parcelle de terrain où il a déjà investi pour sa propre maison. Gaoussou est cité par plusieurs jeunes que nous avons rencontrés comme un modèle de réussite dont ils souhaitent s’inspirer pour leur propre parcours.

Abdoulaye, gérant d’hôtel et chauffeur

Abdoulaye Ouologuem habite le 7e quartier de Bandiagara. Il est gérant d’hôtel et chauffeur. Il raconte son parcours fait d’initiatives et d’embûches. Voici les étapes marquantes de son parcours :

Je suis né à Abidjan. C’est à l’âge de 26 ans que je suis venu à Bandiagara. Je parle relativement bien français, parce qu’à Abidjan on le parle dans la rue. J’ai très tôt arrêté avec les études en 6e année car mes amis gagnaient de l’argent et faisaient la fête. À l’âge de 14 ans, mes parents m’ont coupé tout soutien du fait que j’ai abandonné les études. J’ai fait la sculpture durant 8 ans. Après, j’ai travaillé dans une société de fabrique de sacs et de bâches. Ensuite, je suis allé travailler dans un abattoir comme fermier. Quand j’ai pu économiser 25000 francs CFA, j’ai commencé à acheter le bois de sculpture à mon propre compte. J’organisais, avec mes amis, la sous-traitance des marchés que je n’étais pas capable d’assumer seul. J’étais très fort dans la finition (cirage, coloriage). Quand l’insécurité a commencé à prendre de l’ampleur au nord, notre clientèle composée essentiellement de Blancs est rentrée en Europe. Je suis retourné à la fabrique de sacs où je suis resté pendant 8 mois. L’année 1999 a été un tournant avec le retour de mon père au Mali. Puis, ce fut le tour de ma mère et de ma nièce. Suite au décès de mon père, je me suis rendu à Bandiagara pour les condoléances, et je suis resté. Cinq mois plus tard, j’ai passé le test pour obtenir un permis de conduire, car mon grand frère possédait un véhicule avec lequel je transportais des touristes. Mais c’est un véhicule qui n’était pas toujours en bon état, il tombait très souvent en panne. Mon frère et moi avons vendu l’ancien pour en acquérir un autre en bon état. Actuellement, on les met en location pour des tours avec des touristes. Ça nous permet de gagner de l’argent et de subvenir aux besoins de la famille. Nous envisageons d’ouvrir une boutique actuellement (Entretien réalisé à Bandiagara le 9 novembre 2011).

Abdoulaye faisait preuve dès l’enfance d’un esprit entrepreneurial. Très tôt, un désir d’indépendance s’est chez lui manifesté. Arrivé à Bandiagara pour des raisons familiales, il s’est rapidement engagé sur le plan professionnel en s’appuyant sur les ressources générées par le véhicule de son frère. Conscient de la situation de précarité dans laquelle se trouvait sa famille, il tire profit de l’entraide fraternelle et travaille pour améliorer les conditions de vie de ses proches.

À travers ces différents récits, on observe que lorsque les jeunes possèdent une vision professionnelle et que celle-ci s’inscrit dans une démarche auto-emploi, leurs projets sont susceptibles d’aboutir. La création, la persévérance et le don de soi conduisent à la réussite. Cette réussite est d’autant plus possible que leur objectif est partiellement motivé par le souhait de contribuer à réaliser un projet individuel pour une édification familiale.

De la réalité de l’emploi au Mali : vers la fin d’un imaginaire du salarié ?

Tout parcours professionnel a pour objectif la réussite sociale. L’expression « réussite sociale renvoie à une mobilité sociale ascendante que connaît un individu ou un groupe d’individus dans la hiérarchie des positions sociales » (Manga, 2012, p. 42). Le modèle de réussite basé sur le diplôme se caractérise par des jeunes qui réussissent dans l’administration publique. C’est le cas, à Bandiagara, du coordinateur local du Conseil National de la Jeunesse du Mali et du chargé de communication du bureau qui sont des enseignants (salariés). À San également, le coordinateur local et certains membres du bureau exercent le métier d’enseignant. Lorsqu’ils sont à l’école, les jeunes rêvent de devenir des fonctionnaires. C’est pourquoi la majorité des guides que nous avons rencontrés regrettent d’avoir abandonné si tôt leurs études : ils perçoivent leur parcours comme monotone et court. Il faut noter qu’à Bandiagara, l’activité principale des jeunes est le travail de guide touristique. Cette activité est considérée comme la première cause d’abandon scolaire dans la ville. De ce fait, de nombreux jeunes guides se trouvent piégés dans une activité précaire avec de faibles revenus. Une minorité de guides arrive à réaliser des projets grâce à l’appui de certains touristes. Cette minorité exerce une influence sur les tout petits à l’école qui n’ont pas encore conscience des limites de ce métier. Des guides m’ont raconté comment ils ont pu être influencés par ceux qui les ont précédés dans la profession ; or les parcours dans ce métier n’ont pas abouti à la réussite sociale esperée, c’est-à-dire débouchant sur des revenus réguliers.

Suivre un parcours scolaire et universitaire normal et obtenir un diplôme ne représente cependant plus une garantie d’emploi. La probabilité de trouver un travail stable grâce au diplôme devient de plus en plus faible. Gérard (1997) qualifie le diplôme de « quête obsolète » pour l’accès à l’emploi. Les concours d’intégration à la fonction publique ne sont pas organisés régulièrement ; et lorsqu’ils le sont, le nombre de places reste très limité. Le potentiel d’emplois se situe ailleurs, dans le secteur privé ou dans l’auto-entrepreneuriat. Cette situation est connue de tous depuis l’école. Les élèves du lycée que nous avons interrogés ont exprimé leur inquiétude face au chômage de leurs aînés qu’ils voient en famille ou dans les quartiers. « Les figures de l’intellectuel diplômé, du diplôme de l’enseignement supérieur, de l’enseignant, ou encore du fonctionnaire qui hier incarnait le pouvoir, le prestige et la réussite sociale, sont aujourd’hui concurrencées par d’autres pôles d’identification sociale » (Manga, 2012, p. 215).

Un des pôles dominants à Bandiagara et à San est l’auto-emploi et l’entrepreneuriat qui sont le fruit simultané d’une accumulation de difficultés et d’expériences professionnelles formatrices. Nous avons qualifié ce type d’expérience de « parcours modèle ». Le parcours modèle se caractérise par le fait que les acteurs parviennent non seulement à créer un emploi pour eux-mêmes, mais également pour d’autres jeunes. Très vite, ils ont compris qu’il ne fallait pas compter seulement sur l’État pour s’insérer professionnellement, surmontant, pour ce faire, les blocages et les difficultés à devenir indépendant et autonome. Par leurs itinéraires, leurs actions et leurs idées d’auto-emploi, ces acteurs de la jeunesse participent pleinement au développement de leur localité. Cela montre que de nouveaux agents de développement émergent au niveau local. De par leurs initiatives personnelles, ils sont devenus matériellement et financièrement indépendants et autonomes. Ils ont surtout démontré que le salariat tue les initiatives personnelles. Ces nouvelles figures incarnent des sources d’inspiration efficaces pour les plus jeunes générations qui vivent essentiellement de la débrouille (N’Diaye, 2009).

Pour une culture entrepreneuriale chez les jeunes

Aujourd’hui, pour nombre de jeunes l’éducation ne semble être plus le « passeport pour la modernité » ainsi que l’avait formulé il y a une vingtaine d’années Paul Richards (1996, p. 138). Ainsi que l’ont souligné Gough et Langevang (2015), c’est désormais plutôt l’entrepreneuriat qui permet de s’intégrer au marché du travail (voir Ungruhe & Esson, 2017). Le système éducatif actuel n’est pas encore arrivé à se libérer des fondements sur lesquels il a été bâti depuis l’indépendance du Mali, lorsque les besoins prioritaires étaient de former des cadres de l’administration. Aujourd’hui, les réalités ont beaucoup changé, les besoins ne sont plus les mêmes. Les formations doivent elles aussi évoluer vers l’accompagnement des jeunes scolaires et universitaires vers les initiatives entrepreneuriales qu’ils ont eux-mêmes prises afin s’adapter à la situation actuelle, sachant que la fonction publique ne peut absorber qu’un petit nombre de diplômés sortant des écoles et des universités. En outre, les opportunités d’auto-emploi et d’entrepreneuriat sont multiples à condition d’oser prendre des initiatives qui aillent dans ce sens. Au sortir de l’école, les jeunes adultes se retrouvent dans une situation à laquelle ils ne sont pas préparés. Ils espèrent être employés alors que le marché leur demande de s’auto-employer. Durant leur parcours scolaire et universitaire, les étudiants ne reçoivent aucune formation à l’auto-emploi ou l’entrepreneuriat, alors que cela fait partie de la réalité du marché du travail. Et si l’État offre des possibilités de financement à travers de nouvelles structures ad hoc, ces politiques publiques pour l’insertion professionnelle imposées aux jeunes (Loncle, 2003; Mbembe, 1985) sont devenues hélas des leurres au niveau local. L’inefficacité de ces politiques réside dans leur conception, leur orientation, leur fonctionnement et leur gestion. Gérées par des fonctionnaires bureaucrates qui ne connaissent pas de l’entrepreneuriat, ces politiques visant à réguler l’auto-entrepreneuriat ne tiennent compte ni de la capacité ni de la volonté des jeunes, encore moins de la viabilité des projets financés.

Conclusion

Dans un contexte où les dispositifs institutionnels se sont révélés inefficaces face au problème de l’emploi, nous avons tenté de décrire et d’analyser le parcours professionnel des jeunes au Mali à travers des entretiens individuels conduits à Bamako, à San et à Bandiagara. Les résultats montrent qu’obtenir un emploi salarié dans la fonction publique de l’État ou dans une ONG est une espérance partagée par les lycéens et les jeunes diplômés sans emploi. L’auto-entrepreneuriat commence à faire bouger les lignes et les mentalités ; il devient de plus en plus une alternative aux modèles de réussite par le salariat.

Deux facteurs expliquent les conduites actuelles des jeunes face à l’emploi : le travail salarié devient difficile à obtenir ; la possibilité de gagner sa vie et de s’épanouir par l’auto-entrepreneuriat. La conjugaison de ces facteurs ouvre une nouvelle perspective qui est celle de l’autonomisation professionnelle par l’entrepreneuriat. Sur le terrain, nous avons observé deux catégories de jeunes émergents dont les parcours ont en commun l’école comme point de départ. Il y a d’abord ceux qui travaillent à leur compte sans avoir la possibilité de changer d’activité. Ceux-ci restent dans la catégorie de « l’immobilisme professionnel » et de la précarité. Nous les avons qualifiés de « jeunes dans la débrouillardise ». On observe une seconde catégorie de travailleurs dont la caractéristique principale est d’avoir multiplié les expériences et les activités, et qui sont parvenus à une indépendance financière et une réussite sociale. La cause de cette réussite est qu’ils ont refusé la dépendance, ils ont cru à l’auto-emploi et l’auto-entreprise à travers une détermination d’atteindre leurs objectifs. Diplômés ou non, ces jeunes ont cru en leur capacité à surmonter les difficultés malgré les risques d’échec. Nous assistons là à une situation similaire analysée par Christian Ungruhe et James Esson (2017) au sujet de la jeunesse ghanéenne qui utilise la migration par le sport comme un moyen pour réussir professionnellement et socialement. Bien que l’entrepreneuriat sportif des joueurs se fasse toujours au prix de risques de précarité et d’échecs, les auteurs rapportent qu’il s’agit aussi d’une négociation sociale de l’espoir. Les jeunes ne sont pas dans une situation de victimes passives du manque d’opportunités dans leur société. Bien que nombre d’auto-entrepreneurs échouent, les jeunes continueront de tenter leur chance afin de surmonter l’immobilité sociale (Ungruhe & Esson, 2017). Au Mali, les jeunes pensent qu’il faut créer un emploi afin de subvenir à leurs besoins et éviter par-là la dépendance professionnelle. Car travailler comme salarié laisse peu de place aux initiatives privées. C’est également rester dépendant des ordres hiérarchiques et manquer de liberté individuelle. Même si pour le moment ils ne sont pas encore très nombreux à emprunter cette voie, ces jeunes pionniers servent de modèles.

Nous assistons à l’émergence d’un nouvel esprit dans la jeunesse, celui du développement de l’auto-entrepreneuriat qui devient un moyen certain de créer des emplois et de la croissance, et de garder ainsi les jeunes sur place. C’est un atout de premier plan pour le développement local (OCDE, 2005). Dans le cas échéant, on assiste aux prémices d’un changement réel et profond de mentalité sur la question de l’emploi au Mali. C’est la fin d’un imaginaire, celui du rêve d’intégrer la fonction publique de l’État. Si elle s’amplifiait, cette donne devrait favoriser la réussite sociale et professionnelle des jeunes.

 

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Recebido: 29 de julho de 2018

Aceite: 06 de maio de 2019

 

 

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