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Faces de Eva. Estudos sobre a Mulher

versão impressa ISSN 0874-6885

Faces de Eva. Estudos sobre a Mulher  no.37 Lisboa jun. 2017

 

DIÁLOGOS

L’Histoire des Femmes et du Genre aujourd’hui: Qu’en pensent deux protagonistes?

Anne Cova*, Françoise Thébaud**

* Historiadora e investigadora, Université de Lisbonne, Institut en Sciences Sociales

** Université d’Avignon, professeure émérite Codirectrice de la revue Clio, Femmes, Genre, Histoire


 

En mai 2016, s’est déroulé à l’École Française de Rome un colloque international intitulé Vingt-cinq ans après/Vent’anni dopo: Les femmes au rendez-vous de l’histoire, hier et aujourd’hui, à l’occasion du XXVe anniversaire de la publication de l’Histoire des femmes en Occident et du XXe anniversaire de la publication de la Storia delle donne in Italia. Ce colloque « se propose de dresser un bilan international sur les évolutions d’un champ d’études qui a connu un développement très important dans les dernières décennies et a profondément renouvelé les méthodes historiographiques ».

Quelle place y occupent l’histoire comparée des femmes et/ou l’histoire transnationale du genre ? 

Françoise Thébaud : Ce colloque fut tout à fait réconfortant, car il a montré l’extraordinaire développement du champ disciplinaire depuis vingt-cinq ans. Première synthèse des recherches effectuées dans les décennies 1970 et 1980, l’Histoire des femmes en Occident lui a assuré une légitimité intellectuelle jusqu’alors contestée dans certains pays d’Europe et a permis son approfondissement.

Aux directrices de chaque volume – pour moi, le tome 5 consacré au XXe siècle –, il était demandé d’en expliciter le caractère novateur à l’époque et d’imaginer la façon dont on l’écrirait aujourd’hui. L’ouvrage m’apparait novateur d’abord par son contenu. D’une part, contre une histoire au masculin prétendument universelle, il insérait dans le récit historique les nouveaux objets de recherche promus par vingt ans d’histoire au féminin : le travail des femmes bien sûr, mais aussi la maternité, l’avortement, le quotidien, la vie privée, les relations familiales, les féminismes ; tout en proposant une relecture des grands événements du XXe siècle (guerres, révolution russe) et des régimes politiques. D’autre part, il intégrait les premières approches de genre, notamment autour du concept de « système de genre ». Ensemble de rôles socio-sexués et système de pensée et de représentation définissant le masculin et le féminin, ce concept permettait de réfléchir aux chronologies du siècle et de souligner que, pour les femmes, le tournant n’est pas 1945 mais les années 1970.

La réception de l’ouvrage, comme de l’ensemble de la série, fut également novatrice. L’Histoire des femmes en Occident, qui parait au même moment en Italie et en France, est une des œuvres les plus globalisées du champ de recherche avec de nombreuses traductions qui, pas toutes à l’identique, reflètent les cultures et les historiographies nationales. La série a suscité des entreprises parallèles, comme la Storia delle donne in Italiaet, plus récemment, l’Histoire des femmes d’Espagne et d’Amérique latine en quatre volumes sous la direction d’Isabel Morant.

Il avait été demandé aux auteur.e.s, qui n’ont pas tous respecté cette demande, de proposer une histoire comparée. Qu’en pense Anne qui, dans ses recherches, privilégie cette approche ?

Anne Cova : Je pense que l’histoire comparée des femmes et/ou l’histoire transnationale du genre sont en plein essor. En effet, dans un ouvrage que j’ai coordonné intitulé Comparative Women’s History (traduit en espagnol, français et portugais) paru en 2006, des historiennes américaines proposaient de nouvelles perspectives sur comment écrire une histoire comparée des femmes en concentrant leurs regards sur l’Europe et les États-Unis, du XVIIIe à la fin du XXe siècle. L’introduction à cet ouvrage qui portait sur les promesses de l’histoire comparée des femmes soulignait l’idée selon laquelle l’histoire comparée et l’histoire transnationale avancent dans la même direction lorsqu’elles sont à leur meilleur niveau. En rédigeant cette introduction qui effectuait notamment une analyse de l’état actuel des connaissances en histoire comparée des femmes et/ou en histoire transnationale du genre, j’ai constaté la vitalité de ce champ de recherche. Depuis la parution de cette Histoire comparée des femmes, dix années se sont écoulées durant lesquelles de nombreux travaux comparatifs et/ou ayant une perspective transnationale de genre n’ont cessé de paraître. Il me semble que ce dynamisme est attesté par la place occupée par la dimension comparative ou transnationale dans les revues historiques les plus prestigieuses. À l’heure actuelle, la globalisation nous pousse à explorer de nouvelles pistes afin d’affiner notre compréhension du passé, et à écrire une histoire comparée des femmes et/ou une histoire transnationale du genre.

L’analyse des bénéfices de la conduite d’une recherche comparée en histoire des femmes montre combien elle est enrichissante. Ainsi, les études comparant plusieurs cas posent des questions différentes et souvent nouvelles que n’auraient pas soulevées des études consacrées à des cas uniques. L’adoption d’une approche comparative aide aussi à distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. Le plaisir intellectuel que procure la compréhension d’une question dans un contexte plus large est important.

Dans la nouvelle introduction au volume sur le XXe siècle de l’Histoire des femmes en Occident, paru en 2002, Françoise insiste sur le fait que « l’histoire des femmes, devenue phénomène international, se nourrit d’échanges croissants ». Je partage ce point de vue et demande à Françoise comment elle composerait le volume aujourd’hui.

Françoise Thébaud : De ce volume qui m’avait passionnée, je ressentais déjà les limites en 1992. J’écrivais ainsi en fin d’introduction, avant de lister une série de questions et d’espaces à aborder dans l’avenir : « c’est seulement une histoire occidentale des femmes occidentales, plus encore une histoire des femmes blanches natives d’Occident ». Aujourd’hui, j’insisterai d’abord sur une géographie élargie. Alors que notre Occident de 1992 était limité aux grands pays d’Europe occidentale et d’Amérique du nord, j’inclurai de petits États comme la Belgique, la Suisse ou la Grèce où maintes recherches ont été effectuées ; ainsi que l’Europe centrale et orientale qui a constitué le bloc de l’Est entre 1945 et le début des années 1990. Créée en 2007, la revue annuelle Aspasia présente de nombreux travaux sur cette période et son projet est d’introduire en histoire des femmes et du genre la perspective d’Europe centrale, orientale et sud-orientale. À cet égard, le volume XXe siècle devrait inclure l’histoire genrée des regroupements supranationaux : Komintern, Comecon, CEE/UE, ce dernier regroupement étant actuellement un objet d’étude de l’axe Genre du LabEx EHNE (Écrire une histoire nouvelle de l’Europe, avec une publication prévue en 2018).

Géographie élargie également aux empires coloniaux sur lesquels les recherches, en histoire générale et plus encore en histoire des femmes et du genre, ont été tardives en France, malgré le passé colonial. Derrière les collègues états-uniennes, britanniques, néerlandaises, australiennes, des chercheures françaises comme Pascale Barthélémy, Odile Goerg, Anne Hugon, Christelle Taraud et d’autres se sont intéressées aux femmes de part et d’autre de la barrière coloniale (femmes de colons ou d’associations militant pour l’Empire, colonisées) et au genre de la colonisation en termes de poids démographique, d’effets différenciés et d’images sexuées. Elles ont organisé à Paris en janvier 2012 un colloque international intitulé « Femmes et genre en contexte colonial ». Attentives aux circulations et aux migrations, ces recherches permettent d’envisager autrement l’histoire des métropoles.

Nouvelle géographie mais aussi nouvelle approche et nouveaux thèmes. D’une part, l’approche comparée devrait s’enrichir d’une approche transnationale et connectée, observant par exemple pour les féminismes ou d’autres phénomènes, les circulations, les transferts et les formes locales d’adaptation (que certains appellent hybridation). D’autre part, les sujets travaillés depuis 25 ans seraient inclus : les migrations, le colonialisme et les colonisations, les sexualités (dont les violences sexuelles en temps de guerre), les identités sexuées (dont les identités transgenre), les sciences et techniques, les organisations internationales (place des femmes et politiques de genre), et bien sûr les masculinités. Des auteurs seraient des historiens, alors qu’à l’époque en France on m’a reproché l’absence d’auteurs masculins, absence qui ne résultait pas d’une volonté d’exclusion mais de la situation de la recherche. Enfin, pour le XXe et XXIe siècles, le volume intègrerait les travaux récents en sociologie et sciences politiques, cette dernière discipline ayant largement développé depuis une vingtaine d’années des approches de genre. En France, derrière les pionnières qu’ont été Mariette Sineau (auteure dans le volume) et Janine Mossuz-Lavau.

Cet ouvrage imaginé est-il faisable ? À quelle échelle : européenne, mondiale ? Avec quel titre ? Qu’en penses-tu Anne ? Et pourrais-tu nous dire comment tu mets en œuvre de ton côté l’histoire comparée et/ou transnationale ?

Anne Cova : Cet ouvrage imaginé est une excellente idée. L’approche serait transnationale et engloberait des pays qui jusqu’à présent ont moins retenu l’attention de l’historiographie dont le Portugal. Quant à l’échelle, elle pourrait varier. Ainsi, plusieurs possibilités seraient à discuter : se concentrer sur l’Europe du Sud comme nous l’avions fait dans l’ouvrage dirigé avec Gisela Bock, Écrire l’histoire des femmes en Europe du Sud, XIXe -XXe siècles ; élargir aux pays de l’Europe centrale, de l’Est et du Sud-Est tel le dictionnaire coordonné par Francisca de Haan, Krassimira Daskalova et Anna Loutfi : A Biographical Dictionary of Women’s Movements and Feminisms. Central, Eastern, and South Eastern Europe, 19th and 20th Centuries ; ambitionner l’échelle mondiale en s’inspirant des remarquables volumes coordonnés par Bonnie G. Smith, Women’s History in Global Perspective. Le débat est ouvert et cela m’amène à mentionner brièvement ma recherche en cours.

En effet, je travaille depuis plusieurs années sur des associations de femmes intitulées « Conseils Nationaux de Femmes » fondés pendant la première moitié du XXe siècle. J’ai débuté par étudier ces conseils en France, en Italie et au Portugal. Puis les liens existants entre le Portugal et le Brésil m’ont conduite à inclure ce pays. La question d’une géographie élargie m’a donc interpellée et je fais mienne les paroles de Bonnie S. Anderson dans l’Histoire comparée des femmes : « Plus je creusais le sujet, plus je trouvais des connexions internationales ». Effectivement, les multiples circulations et transferts entre les conseils m’ont amenée à étendre ma recherche à d’autres pays dont la Grèce et à des pays du cône sud (Argentine, Chili et Uruguay). Sans entrer plus dans le détail, je me concentre sur l’Europe du Sud et l’Amérique Latine afin d’apporter un éclairage nouveau dans une perspective transnationale de genre en étudiant des pays qui ne sont pas toujours inclus dans les travaux comparatifs. Cette recherche est réalisable grâce aux monographies existantes. Dans le cadre étroit de ce dialogue, je ne peux pas les mentionner mais elles sont citées dans mes diverses contributions (par exemple le numéro spécial de Women’s History Review paru en 2010 consacré aux féminismes internationaux qu’Ann Taylor Allen, June Purvis et moi-même avons coordonné).

En guise de conclusion, je souhaiterais évoquer le dynamisme des recherches sur les femmes et le genre au Portugal. Celui-ci est attesté par la longévité de la revue Faces de Eva. Estudos sobre a mulher dont j’ai eu le plaisir de présenter en 2013 le 30e numéro. Derrière cette revue fondée par Zília Osório de Castro et codirigée avec Isabel Henriques de Jesus, se trouve un groupe de recherche très actif composé d’historien.ne.s dont une récente initiative qui s’est déroulée en mars 2017 est le lancement d’un ouvrage au titre révélateur des maints travaux réalisés pendant cette dernière décennie : Falar de mulheres. Dez anos depois. Un autre groupe extrêmement dynamique composé en majorité de sociologues est le Centro Interdisciplinar de Estudos de Género (CIEG) sous la direction d’Anália Torres. Le CIEG publiera prochainement un ouvrage intitulé Género, Direitos Humanos e Desigualdes, regroupant les communications présentées au premier grand colloque international de ce centre qui a eu lieu à Lisbonne en 2016. D’autres centres tel le Centro de Documentação e Arquivo Feminista Elina Guimarães (CDAFEG) sous la coordination de Manuela Tavares sont très entreprenants. La bibliothèque féministe Ana de Castro Osório, fondée en 2013 à l’initiative de Maria Antónia Palla, propose un programme annuel de sessions aux thématiques les plus diverses. Enfin, je terminerai en parlant de « La semaine du genre » qui aura lieu cette année du 22 au 30 mai 2017 à l’ICS-ULisboa. Avec plusieurs collègues - Sofia Aboim, Simone Frangella, Filipa Vicente et moi-même- de trois disciplines (Anthropologie, Histoire et Sociologie), nous organisons cette semaine du genre qui permet à des invité.e.s de venir partager leurs recherches dans une ambiance conviviale. Il s’agit de contribuer au développement des études sur le genre au Portugal.

La dernière question que je souhaite poser à Françoise porte sur les recherches qu’elle mène actuellement.

Françoise Thébaud : Oui, le Portugal est très dynamique dans ce champ de recherche et peut-être aurai-je le plaisir de rencontrer de nouveau ses chercheuses et chercheurs pour présenter l’ouvrage dont je suis en train d’achever la rédaction après un travail de longue haleine. J’ai souhaité expérimenter l’écriture biographique et m’intéresser à une trajectoire individuelle comme mode d’approche qui éclaire une période. Écrire la vie de Marguerite Thibert (1886-1982), fonctionnaire internationale au Bureau International du Travail puis experte missionnée dans le Tiers Monde, femme engagée tout au long de sa longue vie, m’a emmenée très loin. Comprendre la vie de cette femme, qui a traversé en y étant active sur le plan professionnel ou militant les quatre cinquièmes du XXe siècle, ouvre en effet sur des histoires multiples : l’histoire des communautés scientifiques de l’après-Grande Guerre et de la première génération de femmes diplômées, l’histoire des organisations internationales, de leurs politiques de genre et de leurs programmes d’assistance technique après 1945, l’histoire des féminismes et d’autres « ismes » du siècle dans leurs dimensions nationales et internationales et dans leurs configurations successives, l’histoire des mutations sociales et politiques de la France d’après-Seconde Guerre, l’histoire du monde global enfin, dont la protagoniste se sentait solidaire. Je tente dans cet ouvrage d’apporter des éclairages nouveaux par des approches multiples, dont deux sont cependant privilégiées : le genre, entendu comme la construction sociale de la différence des sexes et les rapports de pouvoir qui en découlent ; le transnational qui invite à observer les circulations de personnes et d’idées, ainsi que toutes les formes d’hybridation de cultures et de politiques. J’ai eu la chance de bénéficier, outre des archives publiques de différentes institutions, des archives privées conservées par la famille, dont plus d’un millier de lettres que j’ai transcrites et parfois traduites. Ce qui me permet de tisser l’individuel et le collectif, le local et le global…

Anne Cova : Sur cette heureuse perspective : la publication prochaine de cet ouvrage et son lancement au Portugal, peut-être même en avant-première comme l’avait fait Michelle Perrot lorsqu’elle est venue présenter à l’ICS-Lisboa en 2012 son livre Mélancolie ouvrière1, nous terminons ce dialogue en remerciant chaleureusement Faces de Eva. Estudos sobre a Mulher.

1Anne Cova, « Michelle Perrot », Faces de Eva. Estudos sobre a Mulher, n. º 29, 2013, pp. 147-154.