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Ex aequo

versão impressa ISSN 0874-5560

Ex aequo  n.19 Vila Franca de Xira  2009

 

Nouvelles questions féministes féminisme radical, antinaturaliste et matérialiste: un project politique et scientifique

 

Patricia Roux et Christine Delphy

Rédactrices Responsables de NQF1

 

Résumé

L’article retrace la trajectoire de Nouvelles Questions Féministes, une revue internationale francophone qui existe depuis 1981 et qui a toujours produit des textes fondamentaux pour le mouvement et la recherche féministes. Il expose sa double spécificité, maintenue au fil du temps au-delà des changements que la revue a connus: celle-ci se situe clairement sur un terrain universitaire, mais elle refuse de l’opposer au domaine politique. Ainsi, elle fait appel à des savoirs universitaires retravaillés par des chercheuses dans un sens politique, et elle diffuse des savoirs militants dont la théorie et la recherche féministes ont besoin. Le projet intellectuel et de lutte auquel elle participe met en oeuvre une perspective féministe radicale, antinaturaliste et matérialiste.

Mots-clés féminisme matérialiste, système de genre, imbrication des oppressions, articulation des luttes.

 

Abstract

Nouvelles Questions Féministes. Radical, antinaturalistic and materialistic feminism: a political and scientific project

The article illustrates the evolution of Nouvelles Questions Féministes, an international francophone review that exists since 1981 and has produced some fundamental texts for the feminist movement and feminist research. It documents its dual specificity that has been maintained all along its existence and changes it has undergone: it is a clearly academic publication but refuses to oppose it to the political sphere. It, thus, calls upon academic knowledge re-elaborated by researchers in a political perspective and disseminates the militant knowledge which feminist theory and feminist research need. The intellectual and militant project in which it participates is an expression of a radical, antinaturalistic and materialistic feminist perspective.

Keywords materialistic feminism, gender system, intermingling of oppressions, articulation of struggles.

 

Resumo

Nouvelles Questions Féministes. Feminismo radical, antinaturalista e materialista: um projecto político e científico

O artigo descreve a trajectória de Nouvelles Questions Féministes, uma revista internacional francófona que existe desde 1981 e que tem produzido textos fundamentais para o movimento e investigação feministas. O artigo discorre sobre a sua dupla especificidade, mantida ao longo do tempo e para além das mudanças entretanto ocorridas, que a situa claramente num plano universitário, mas recusando ao mesmo tempo opô-lo ao domínio político. Assim, faz apelo a saberes académicos reelaborados pelas investigadoras numa perspectiva política e difunde os saberes militantes de que a teoria e a investigação feministas necessitam. O projecto intelectual e de luta em que participa dá corpo a uma perspectiva feminista radical, antinaturalista e materialista.

Palavras-chave feminismo materialista, sistema de género, imbricação das opressões, articulação das lutas.

 

Avec ses 28 ans d’existence, la plus ancienne revue féministe francophone a survécu aux transformations et au désarroi du mouvement féministe européen des années 80. Contre l’institutionnalisation de ce dernier qui a suivi l’effervescence et la combativité des années 70, et malgré l’éclatement des formes que l’engagement féministe a pris dans les années 90, Nouvelles Questions Féministes a maintenu sa double spécificité: elle se situe clairement sur un terrain universitaire, mais elle refuse d’opposer ce dernier au domaine politique. Ainsi, la revue fait appel à des savoirs universitaires retravaillés par des chercheuses (et quelques chercheurs) dans un sens politique. Elle développe un cadre théorique et un travail empirique qui tentent de répondre aux questions du mouvement féministe restées en suspens depuis des décennies, ainsi qu’à celles renouvelées qu’il se pose aujourd’hui. Le projet intellectuel, politique et militant qu’elle nourrit met en oeuvre une perspective féministe radicale, antinaturaliste et matérialiste.

La revue a toujours constitué une ressource importante pour la réflexion des militantes, des chercheuses et des enseignantes féministes. Mais certaines étapes ont marqué sa trajectoire, retracées à grands traits ici, pour ensuite se fixer sur sa réalité actuelle2.

 

Trajectoire (en bref) de Nouvelles Questions Féministes

Nouvelles Questions Féministes a été précédée par la revue Questions Féministes, créée en 1977 par Simone de Beauvoir, Christine Delphy, Colette Capitan- Peter, Emmanuèle de Lesseps, Nicole-Claude Mathieu et Monique Plaza. Cette première revue a publié des articles théoriques essentiels pour le mouvement féministe de l’époque, et ils restent fondamentaux pour l’élaboration d’une pensée féministe radicale matérialiste: quelle jeune étudiante intéressée par les questions de genre aujourd’hui n’a pas lu « Nos amis et nous. Les fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes » (Delphy, QF No1), « Masculinité/féminité» (Mathieu, QF No1), « Pratique du pouvoir et idée de Nature. (1) L’appropriation des femmes » (Colette Guillaumin, qui a rejoint le comité de rédaction un peu plus tard) et « (2) Le discours de la nature » (QF Nos 2 et 3 respectivement), « On ne naît pas femme » (Monique Wittig, QF No8) ? Questions Féministes a cependant cessé de paraître après avoir publié huit numéros, car le comité de rédaction n’était pas d’accord sur la place à accorder aux féministes hétérosexuelles ni dans ses rangs, ni dans le mouvement.

En 1981, Nouvelles Questions Féministes est fondée par Simone de Beauvoir, Christine Delphy, Claude Hennequin et Emmanuèle de Lesseps. De nombreuses féministes s’y investissent au fil du temps. Dans un contexte où le mouvement s’est transformé et n’a plus la visibilité des années 1970, elles maintiennent un cap « radical », ce qui, dans beaucoup de pays européens, signifie qu’elles ne sont ni différentialistes, ni de la tendance « lutte de classe », mais matérialistes et autonomes. Au cours de deux décennies d’engagement, NQF traite de thèmes variés, souvent à l’avant-garde de la réflexion féministe. Elle diffuse des recherches provenant du monde entier, et continue à publier des textes fondamentaux pour les études féministes qui sont absents du débat francophone. Elle présente également des luttes de femmes dans différentes régions du globe, intégrant toujours le militantisme dans ses questionnements plus théoriques. Cette interaction nécessaire entre la recherche et la lutte transparaît clairement des numéros qu’elle publie. Par exemple, « La contrainte à l’hétérosexualité » (1981), « L’esclavage sexuel » (1984), « Antillaises » (1985), « Le sexe du cerveau » et « Femmes, modes d’emploi » (1986), « Particularisme et universalisme » (1991), « L’avortement encore en question » (1992), « L’affaire Hill-Thomas et l’identité nationale française » (1993), « La parité “pour” » (1994) et « La parité “contre” » (1995), « Nations, nationalismes, privé et public » (1995), « Violences contre les femmes » (1997), ou « Féminismes d’Amérique latine et des Caraïbes » (1999), pour n’en citer que quelques-uns.

En 1999, un peu épuisé par le poids constant des tâches liées à la revue, et faute de moyens financiers, le comité de rédaction décide de suspendre la publication. Cette interruption a été plus courte qu’on aurait pu le craindre. La revue se réorganise en effet en 2001, avec le renfort d’une large équipe de femmes de Suisse romande. Le premier numéro de la nouvelle rédaction paraît le 14 juin 2002 (c’est le Vol.21, No1), jour choisi pour raviver la mémoire d’une grève générale des femmes qui avait paralysé les foyers et les entreprises suisses onze ans plus tôt.

 

Des changements qui n’ont pas oublié d’où ils viennent

Mais comment Nouvelles Questions Féministes a-t-elle atterri en Suisse? Par une touche de hasard. Patricia Roux avait été nommée professeure en Etudes Genre à l’Université de Lausanne, en 2000 (le premier poste libellé ainsi en Suisse, ouvert sous l’impulsion d’un mouvement d’étudiant·e·s revendiquant, entre autres, la création d’une chaire d’études féministes). Pour marquer le sens de cet événement et l’orientation à donner au poste, elle invita Christine Delphy à présenter une conférence sur le patriarcat. Débats, échanges entre nous et avec des amies militantes ou des collègues: ce furent trois jours de discussion durant lesquels l’idée d’une collaboration franco-suisse pour relancer NQF a pris forme.

Du côté suisse, la période offrait de nouvelles possibilités institutionnelles: les études féministes ou études genre s’inscrivaient formellement dans les cursus universitaires (en sciences sociales surtout), les moyens financiers dont elles disposaient augmentaient, la perspective de genre, aussi bien dans les disciplines qu’entre elles, gagnait en reconnaissance et légitimité scientifique. De plus, à partir d’un petit groupe déterminé à faire des études féministes une masse critique au sein des universités, un réseau de personnes impliquées dans ou par la recherche féministe venait d’être mis sur pied: le LIEGE (Laboratoire interuniversitaire en Etudes Genre). Le réseau, qui inclut aujourd’hui près de 700 membres, a beaucoup contribué à conquérir des espaces institutionnels favorisant la critique féministe des savoirs scientifiques et à renouveler la recherche dans ce domaine. Ce souffle d’air au sein des universités suisses ne s’y est cependant pas confiné, le réseau et NQF restent ancrés dans une dynamique politique qui dépasse les frontières académiques, en lien étroit avec des collectifs militants et mettant en question l’oppression des femmes dans tous les aspects de la vie quotidienne.

Du côté français, le souci était de maintenir la continuité théorique de la revue. L’accord fut facilement trouvé car le groupe lausannois approuvait depuis longtemps la ligne de NQF. Le comité de rédaction est alors devenu francosuisse, et nous en sommes les deux co-rédactrices responsables. La revue est éditée en Suisse (par Antipodes), le secrétariat de rédaction est rattaché au Centre en Etudes Genre LIEGE de l’Université de Lausanne3, mais NQF demeure une revue internationale francophone4. Le comité de rédaction, qui s’est considérablement élargi lors du redémarrage de la revue en 2002, comprend près de cinquante chercheuses et militantes féministes. Dans ces circonstances, chacun des trois numéros annuels est pris en charge par un groupe de coordination restreint, qui travaille pendant deux ans sur son numéro. Le groupe élabore un appel à contributions pour le dossier thématique (dit Grand angle) au centre du numéro, puis cet appel est discuté dans l’ensemble du comité de rédaction. Les articles eux-mêmes sont évalués par le groupe de coordination, et par deux lectrices anonymes. Le comité de rédaction discute le numéro après sa sortie, ce qui lui permet de repréciser collectivement, à chaque parution, les orientations de la revue.

Chaque numéro publie aussi un Champ libre, non relié au dossier thématique ; un Parcours, la plupart du temps sous forme d’entretien – par exemple, les deux derniers retracent les trajectoires de Paola Tabet (27/3, 2008) et de Carole Roussopoulos (28/1, 2009) ; et une rubrique Collectifs qui donne la parole à des associations militantes, des réseaux ou des groupes de recherche féministes, partout dans le monde. Dans le même ordre d’idées, pour diffuser le plus possible une réflexion féministe transnationale, la revue traduit régulièrement des articles dans toutes ses rubriques, surtout de l’anglais et de l’espagnol pour le moment.

Les thèmes traités dans le Grand angle, les axes d’analyse

Depuis 2002, NQF a publié 24 numéros et il serait fastidieux de donner les titres de tous les dossiers (mais il suffit d’aller sur le site de la revue: www.unil.ch/liege/nqf). Nous nous contenterons de mentionner ceux qui nous ont particulièrement marquées:

«Garde parentale, prostitution», « Les répertoires du masculin », « A contre-sens de l’égalité », « Famille et travail, une perspective radicale », « Féminismes dissidents en Amérique latine et aux Caraïbes », « Les logiques patriarcales du militantisme », « Sexisme et racisme: le cas français », « Sexisme, racisme, et postcolonialisme », « Migrations, genre et frontières », « A qui appartiennent nos corps ? Féminisme et luttes intersexes », « Féminismes autour de la Méditerranée ».

Sans entrer dans le détail, cette énumération très partielle met en évidence nos préoccupations principales: analyser les façons diverses dont le système de genre produit les catégories de sexe, rendre compte des différentes situations d’oppression que vivent les femmes, étudier les liens entre l’oppression patriarcale et les autres systèmes d’oppression comme ceux de race, de classe et de sexualité, ainsi que mettre en valeur les mobilisations et plus généralement les résistances que les femmes opposent à ces oppressions combinées. Ces axes d’analyse se fondent sur le refus d’expliquer la subordination des femmes aux hommes et leur discrimination par la nature et la biologie. La revue conçoit les « femmes » et les « hommes » comme des catégories sociales produites par et dans des rapports de pouvoir organisés en système, le système de genre. Malgré tous les discours actuels sur l’égalité des sexes, les positions sociales des femmes et des hommes demeurent hiérarchisées et contraignent les premières à entretenir une relation de dépendance matérielle et symbolique avec les seconds. Dans une perspective anti-essentialiste et qui vise à une transformation radicale des rapports sociaux, NQF veut déconstruire la division arbitraire des sexes qui structure l’ensemble de l’organisation sociale et légitime l’ordre patriarcal, partout, à chaque instant, et sous des formes diverses. C’est pourquoi elle diffuse des articles et des témoignages provenant des sociétés occidentales, mais aussi d’autres régions et sociétés. Les oppressions vécues par les femmes étant multiples, le genre doit être articulé avec d’autres systèmes de pouvoir qui construisent les catégories de classe, de race et de sexualité.

Cette énumération montre aussi qu’au cours des années, de nouveaux problèmes ou de nouvelles questions se sont posées à la recherche et à l’action ; et que tant le domaine du féminisme que celui du politique ne peuvent pas être définis une fois pour toutes, car leurs configurations et leurs frontières sont mouvantes. Par exemple, la question de l’imbrication étroite entre système de genre et système raciste s’est posée avec plus d’acuité dans les dernières années en Europe continentale, et a placé la recherche comme le mouvement féministe devant de nouveaux défis, auxquels les unes et les autres ont apporté des réponses différentes. NQF a pris le parti de considérer que les luttes féministes et les luttes antiracistes doivent être associées. De même, la revue peut parfois donner la parole à des mouvements qui ne se revendiquent pas explicitement du féminisme mais qui, d’une part, se vivent comme des mouvements de libération, et d’autre part déstabilisent, de fait, le système de genre. Par exemple, le numéro sur l’intersexualité met en évidence, à travers des témoignages, le refus d’être assigné·e à un sexe et les violences sur les personnes que produit cette assignation.

Ainsi, ce qui nous distingue aujourd’hui comme hier d’autres publications scientifiques sur le genre, c’est que, à nos yeux, la recherche scientifique n’a guère de sens si elle prend des distances avec les questions posées par les actrices et acteurs politiques qui, d’une manière ou d’une autre, mettent en cause le genre dans leurs pratiques. La conséquence de ceci est que l’excellence scientifique, tout en étant nécessaire, n’est pas suffisante tant qu’elle n’a pas de pertinence politique.

 

Notes

1 Christine Delphy est Fondatrice, Directrice de Publication et Rédactrice Responsable. Patricia Roux est Rédactrice Responsable.

2 Certains éléments de cet article sont repris de divers papiers écrits par des membres du comité de NQF: l’édito de Patricia Roux dans le 1er numéro de NQF publié depuis la Suisse en 2002 (“Questions féministes: des nouvelles de Suisse”, Vol. 22, No 1), la plateforme actuelle de NQF, un article de Gaël Pannatier et Roux (“Nouvelles Questions Féministes: Renouveau et continuité”) dans le Bulletin de l’Association nationale des études féministes qui rapportait une table ronde du 3ème Colloque international des recherches féministes francophones à Toulouse (2002), et une conférence de Jules Falquet présentant NQF au Brésil en 2003.

3 Ce centre est devenu une structure stable depuis 2008, intégrée dans le budget annuel de la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne, alors qu’auparavant le LIEGE était tributaire de subventions qu’il fallait tenter d’obtenir chaque année. Outre les perspectives de recherche qu’ouvre ce centre, il permet à NQF de financer son secrétariat de rédaction, tout en ne restreignant aucunement son autonomie.

4 Le tirage est de 1200 exemplaires par numéro.

 

 

Patricia Roux est Rédactrice Responsable de la revue Nouvelles Questions Féministes. Elle est chercheuse au Centre en Etudes Genre LIEGE (Laboratoire interuniversitaire en études genre), Université de Lausanne, Faculté des sciences sociales et politiques.

E-mail: Patricia.Roux@unil.ch

 

Christine Delphy est Fondatrice et Directrice de Publication de la revue Nouvelles Questions Féministes. Elle est Directrice de Recherche Émérite au CNRS, Paris.

E-mail: nqf@unil.ch

 

Artigo recebido em 30 de Março de 2009 e aceite para publicação em 30 de Abril de 2009.

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