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Psicologia

versão impressa ISSN 0874-2049

Psicologia vol.18 no.1 Lisboa jan. 2004

https://doi.org/10.17575/rpsicol.v18i1.417 

La mobilité sociale comme forme socialement régulée de transgression

Social mobility as a social regulation of transgression

A mobilidade social como forma socialmente regulada de transgressão

 

Jean Viaud*

*Centre de Recherches en Psychologie (CRPSY). Université de Bretagne occidentale, 20 rue Duquesne, F-29200 Brest, France. Courriel: Jean.Viaud@univ-brest.fr

 


RÉSUMÉ

Cet article vise à rendre compte théoriquement des résultats d'une étude longitudinale sur la modification des représentations de l'économie de sujets corrélative à leur mobilité dans l'espace social (promotion sociale). Après avoir rappelé les principaux résultats de l'étude, nous considérons, à la suite des travaux de Doise, que le processus d'ancrage rend compte d'effets d'assignation et, plus généralement, d'une homologie entre groupes et représentations. À partir de là, le déplacement de sujets au sein de l'espace social peut être conçu comme une transgression socialement régulée qui, au cours du processus de changement, va permettre à l'individu de substituer aux représentations de son groupe celles du groupe d'appartenance qu'il a rejoint. Cette régulation doit ainsi être envisagée elle-même comme une représentation sociale dont les propriétés représentées concourent à son efficacité symbolique. Enfin, compte tenu des divergences qui peuvent être observées entre les prescriptions de cette régulation et les résultats auxquels elle aboutit, nous formulons l'hypothèse d'un lieu d'indétermination.1

Mots-clés Représentation sociale, homologie, régulation sociale, transgression, mobilité sociale.


ABSTRACT

This article aims to explain the results of a longitudinal survey on the modification of subjects' representations of the economy correlative to their mobility in the social space (upward mobility). Having summarized the main results of the study, we consider, following Doise's works, that the process of anchoring produces assignment effects between groups and representations and so the homology between groups and representations. From there, the change of subjects within the social space can be conceived as a socially regulated transgression which, during the process of change, is going to allow the individual to substitute the representations of its group by those of the group he joined. This regulation must be considered as a social representation itself, the represented properties of which contribute to its symbolic efficiency. Finally, considering the differences that can be observed between the prescriptions of this regulation and the results to which it leads, we formulate the hypothesis of a space of indétermination.


RESUMO

Este artigo pretende analisar teoricamente os resultados de um estudo longitudinal sobre a modificação das representações dos indivíduos acerca da economia em função da sua mobilidade no espaço social (promoção social). Após uma síntese dos principais resultados do estudo, consideramos, na sequência dos trabalhos de Doise, que o processo de ancoragem dá conta de efeitos de colocação (qssignation) e, mais geralmente, de uma homologia entre grupos e representações. A partir daí, a movimentação dos indivíduos no espaço social pode ser concebida como uma transgressão socialmente regulada que, no decurso da mudança, vai permitir ao indivíduo substituir as representações do seu grupo pelas do novo grupo de pertença que integra. Assim, esta regulação deve ser encarada como uma representação social, cujas propriedades representadas contribuem para a sua eficácia simbólica. Por fim, tendo em conta as divergências que podem ser observadas entre as prescrições desta regulação e os resultados a que ela conduz, formulamos a hipótese de um espaço de indeterminação.


 

Les études sur la question de la dynamique des représentations sociales suivent globalement deux directions distinctes. Selon la première direction, il s'agit de rendre compte de la manière dont un facteur initialement d'ordre environnemental conduit un groupe social à modifier ses pratiques relativement à un objet. Il s'ensuit, dans le cas où un ensemble d'individus est soumis de manière inconditionnelle et non réversible à ces pratiques, une "restructuration" de la représentation afférente à ce changement (Flament, 1994). Cette "restructuration" peut se produire selon différentes modalités processuelles et conduit à un état nouveau de la représentation, observable à partir de la comparaison entre les deux états de la représentation (Abric, 1994; Guirnelli, 1994, pour des ouvrages se rapportant à ces questions).

La seconde approche insiste, quant à elle, sur le fait que l'espace social peut être décrit en termes de champs structurés dans lesquels prévalent des antagonismes et, de manière générale, des hiérarchies entre groupes sociaux. Ces différenciations entre les positions occupées dans un champ étant au principe des différences observées entre représentations d'un même objet, la relation entre les groupes sociaux et les représentations peut être décrite selon les termes d'une homologie des positions. Ainsi, un des changements qui peut être examiné se rapporte au déplacement d'un individu au sein de l'espace des positions. Ce déplacement le conduit à adopter les représentations préexistantes dans le champ correspondant à la position qu'il a rejointe (Viaud, 1999; Tafani & Bellon, 2001).

Ces deux approches se différencient selon plus d'une caractéristique. Leurs fondements théoriques sont différents, puisque la première se réfère à la théorie du noyau central alors que la seconde s'inscrit dans le paradigme proposé par Doise. La méthodologie de ces études pour rendre compte du changement est également différente. Dans le premier cas, il s'agit toujours de comparaisons entre des groupes indépendants où ce qui est constaté sont des différences d'état de représentations rapportées ensuite à des différences de mise en œuvre de pratiques. La seconde approche, en revanche, fait pour partie appel aux études longitudinales où les mesures sont appariées. Enfin, la première approche vise à rendre compte exclusivement du changement social et la seconde, en l'état, ne s'est attachée à décrire que les effets de la reproduction sociale.

Dans le cadre de cet article, nous nous situerons dans le champ de la seconde approche décrite. Si nous avons présenté jusque-là l'idée qu'il existe une homologie entre les positions occupées dans un champ social et les positions exprimées par les individus (Viaud, 1999; 2003), une tentative d'explication de cette homologie doit être formulée. En d'autres termes, il s'agit de comprendre non seulement comment cette homologie est produite mais aussi de saisir la dynamique qui permet aux mêmes individus d'adopter des ensembles de représentations différenciées, et ce dans le sens attendu par leur déplacement positionnel. Cette tentative d'explication théorique étant suscitée par les résultats d'une étude que nous avons menée, il apparaît tout d'abord nécessaire de présenter la méthodologie de cette étude et de rappeler les principaux résultats obtenus.

Effets du déplacement positionnel sur les représentations de l'économie: résumé de l'étude

Le choix de l'économie, comme objet de représentation, a été effectué en raison de la possibilité d'établir l'homologie entre les discours tenus sur l'objet et les positions sociales des individus, envisagées comme des produits des rapports de production. On a disposé de la sorte d'un champ unique où il était a priori possible de rendre compte des relations entre l'espace des positions sociales et celui des représentations.

Les sujets sont des ingénieurs diplômés de l'Ecole nationale supérieure des Arts et Métiers (ENSAM) et sont interrogés à deux reprises: une première fois dans l'année suivant la fin de leurs études et une seconde fois l'année d'après.2 Les groupes sont constitués de manière rétrospective en fonction de la position sociale que les sujets occupent lors de la seconde mesure. Parmi les 182 sujets qui composent l'échantillon, trois groupes ont été distingués:

Le premier groupe, dit ECA, constitue un ensemble hétérogène composé d'Etudiants poursuivant leurs études deux ans après avoir été diplômés, de Chômeurs et d'Appelés du contingent.3 En raison de la diversité et du faible effectif associé à chacun de ces sous-ensembles, ils sont présents en tant qu'éléments du champ dans l'analyse sur les indicateurs de position (voir infra) mais absents de l'étude de la dynamique représentationnelle (n = 64). En tout état de cause, ils ne font pas l'objet d'une analyse distincte selon les sous-ensembles composant le groupe ECA.

— Le deuxième groupe rassemble des sujets socialement mobiles, c'est-à-dire dont la trajectoire indique qu'ils occupent une position supérieure à celle occupée par leur père en devenant cadres (groupe "Promotion", n = 60).

— Le troisième groupe, enfin, inclut des sujets qui proviennent de familles de cadres et le deviennent après leurs études, indiquant une absence de promotion sociale (groupe "Stable", n = 54).

L'étude s'est attachée, dans un premier temps, à recueillir, par une sollicitation sous forme de six questions d'évocation, des mots associés à différentes catégories économiques. Outre le mot-objet de la représentation lui-même, cinq autres mots-inducteurs étaient proposés aux sujets: argent, chômage, consommation, entreprise et marché. Une étude préliminaire, confirmée d'ailleurs par l'enquête définitive, avait en effet montré une sous-catégorisation des mots produits à partir de l'inducteur économie correspondant aux mots proposés comme inducteurs. Si les termes choisis peuvent être considérés comme des mots-objets de représentations distinctes, leur unité se réalise néanmoins au travers de l'objet économie et, dès lors, ils peuvent être appréhendés comme des segments de la représentation de l'économie. Ce recueil a été réalisé lors des deux mesures, le mot-inducteur économie étant toujours proposé aux sujets en premier et les inducteurs suivants étant présentés selon deux ordres différents.

L'ensemble du lexique produit par les sujets a fait l'objet, lors de la première mesure, d'un traitement global par le logiciel Alceste, visant à établir l'organisation générale de la représentation (Viaud, 2002). Cette première analyse confirme une relative distinction des segments entre eux ainsi qu'une délimitation entre les classes moins marquée pour les lexiques produits à partir des mots-inducteurs économie et marché. Compte tenu de ces premiers résultats, le lexique de chaque inducteur est analysé pour lui-même. Les résultats obtenus mettent en évidence, pour chacun des segments, une ventilation du lexique selon deux ou trois classes, et permettent de définir pour chacune de ces classes les mots caractéristiques sur la base de leur contribution au %2 3, du nombre d'occurrences de la forme dans la classe, et enfin, du rapport entre ce nombre et le nombre total d'occurrences de la forme dans le corpus.

Chaque classe est tenue pour référentielle, au sens où les mots qui contribuent à sa construction constituent des thèmes ou des préconstruits culturels (Harré, 1989; Semin, 1989), servant de soubassement aux sujets pour élaborer leurs discours, ici et maintenant. Les sujets évoluant au sein d'un même espace de positions, on peut supposer que l'ensemble des thèmes se rapportant à un segment de la représentation de l'économie leur seront connus, au même titre d'ailleurs qu'ils disposent d'une certaine connaissance de l'espace des positions au sein duquel ils se situent.

De la sorte, plutôt que d'envisager que les thèmes (ou de manière opératoire, les classes) soient rigoureusement spécifiques à tel groupe de sujets ou à tel autre, il nous est apparu plus logique de considérer l'investissement différentiel des sujets dans les thèmes d'un segment. En d'autres termes, la fréquence d'utilisation des mots caractéristiques de chaque classe, mentionnés comme réponses aux questions d'évocation proposées, peut servir d'indicateur de l'investissement des sujets dans le thème. Partant, la distribution de mots caractéristiques utilisés par les sujets entre les thèmes d'un segment fait l'objet de comparaisons entre les groupes. Ainsi, pour chaque segment de la représentation, on compare entre les thématiques associées à un segment le nombre de mots caractéristiques cités par les sujets 1) entre les groupes et 2) entre les mesures.

Les résultats de ces analyses montrent tout d'abord que des différences entre les groupes et les mesures ne se produisent que pour deux des segments étudiés, à savoir chômage et argent, c'est-à-dire que les autres segments n'indiquent pas de différence ni entre les groupes ni entre les mesures.

Ensuite, le schéma des différences suit une logique comparable. Comme indiqué dans la figure 1), les groupes "Promotion" et "Stable" se différencient initialement entre eux selon le nombre de mots employés entre les différentes thématiques d'un segment.4 Lors de la seconde mesure, la distribution des évocations entre les thématiques d'un même segment est identique pour le groupe "Stable", alors que les différences de distribution sont significatives pour le groupe "Promotion". Enfin, la différence initiale entre les groupes "Stable", et "Promotion" disparaît lors de la seconde mesure (pour les détails chiffrés voir Viaud, 1999).

Cette première analyse met donc en évidence un investissement différentiel des sujets dans les thématiques liées à l'argent et au chômage, produit de leur position sociale initiale qui est, en raison de leur origine sociale, historiquement différente. L'accès au monde du travail et au salariat ne produit pas les mêmes effets selon la trajectoire sociale des sujets. Pour les sujets du groupe "Stable", dont les positions qu'ils rejoignent sont identiques aux positions dont ils proviennent, aucune différence d'investissement ne peut être observée. En revanche, pour les sujets mobiles, pour lesquels l'institution éducative ne reproduit pas l'origine sociale, des différences sont notables entre le moment où ils ont terminé leurs études et celui où ils accèdent aux positions de cadre. De surcroît, l'installation dans des positions de cadre indique une modification de ces investissements dans le sens des sujets non mobiles.

Parallèlement à ces analyses sur la dynamique représentationnelle, une analyse des correspondances multiples (ACM) visant à examiner la trajectoire des sujets dans l'espace des positions a été réalisée. Compte tenu de l'utilisation des données strictement numériques, il est possible de réintroduire l'ensemble des sujets ayant répondu aux deux mesures, y compris ceux qui ont différé leur entrée sur le monde du travail (continuation des études ou service national) ou qui n'ont pas, à la date de la mesure, encore trouvé d'emploi (chômage).

L'ACM intègre onze indicateurs de position différents: indicateurs formels et factuels (série du baccalauréat, statut matrimonial, âge, appartenance confessionnelle, pratique religieuse, niveau de pratique économique et revenus appréciés à partir de l'échelle d'Oxford),5 et subjectifs (deux indicateurs sur le sentiment d'appartenance aux salariés vs étudiants, orientation politique en termes de parti, positionnement gauche-droite du parti). L'origine sociale et le statut professionnel actuel sont traités en variables supplémentaires.

Les trois premiers facteurs de l'analyse rendent compte de 54,91% de la variance des données. Le premier facteur (28,80% de l'inertie) a été interprété principalement comme un facteur de position dans le cycle de vie, mettant en rapport une situation avant l'entrée dans la vie active avec une configuration une fois entré dans la vie active et/ou à l'installation dans des vies de couple. Le deuxième facteur (14,63% de l'inertie) reproduit et affine des oppositions présentes sur le premier facteur auxquelles s'adjoignent des variables auparavant peu ou pas contributives. Ce facteur, tout en rendant compte de la position dans le cycle de vie, peut être considéré à partir d'une opposition entre des valeurs comme le conservatisme à d'autres valeurs relevant de la gauche. Enfin, le dernier facteur analysé (11,48% de l'inertie) prolonge les oppositions précédemment identifiées (Viaud, 2003).

En considérant l'espace des sujets et non plus seulement celui des variables (voir figure 2), on constate un déplacement effectif des sujets dans l'espace des positions tendanciellement identique à celui observé dans l'espace des représentations.

Une analyse de variance à partir des scores factoriels portant sur les trois groupes de sujets et les deux mesures a été réalisée pour chacun des trois facteurs analysés. Cette analyse confirme le déplacement positionnel des sujets sur le premier facteur de l'ACM et montre des différences significatives entre groupes et entre mesures. Les comparaisons partielles effectuées indiquent que les sujets des groupes "Promotion" et "Stable" se différencient entre eux lors de la première mesure de même que les sujets des groupes "Stable" et ECA (étudiants, chômeurs et appelés du contingent). Pour la seconde mesure, on note une absence de différence entre les groupes "Stable" et "Promotion" qui se distinguent tous deux significativement du groupe ECA.

Ces résultats montrent que les différences sociales initialement inscrites dans les deux groupes de sujets salariés s'estompent lors de leur entrée dans la vie active du point de vue des variables qui contribuent le plus à les distinguer. En ce sens, les résultats de l'analyse de la configuration prise par les différents indicateurs de position correspondent aux évolutions relevées lors de l'étude de la dynamique représentationnelle affectant deux des segments de la représentation de l'économie. Mais, les analyses réalisées indiquent également des différences significatives entre les deux mesures pour le groupe de sujets "Stable", d'une part, et celui des sujets "Promotion", d'autre part. Il existe donc un déplacement généralisé dans l'espace des positions qui n'entraîne pas de différences du point de vue des représentations de l'économie des sujets. Les sujets du groupe "Stable" connaissent ainsi une modification de leur position sans pour autant que leurs investissements dans les représentations se modifient. On ne note pas de déplacement positionnel pour le dernier groupe de sujets étudiants, chômeurs et appelés du contingent et, enfin, les autres facteurs ne montrent aucune différence significative entre les groupes ou les mesures.

L'ensemble de ces résultats, compte tenu par ailleurs de la comparabilité des groupes de sujets examinés, peut être appréhendé en mettant en relation l'espace des positions sociales des sujets et celui des représentations. Comme le montre la figure 3, dans un champ donné, un principe de différenciation socialement valué détermine des relations d'opposition entre groupes sociaux. Ces oppositions sont également présentes dans l'espace des représentations, puisque les sujets s'investissent différemment dans les thèmes de la représentation et vraisemblablement tiennent des discours qui sont au moins partiellement distincts.

Lors de la seconde mesure, des sujets qui appartiennent à des groupes ordinairement dominés dans ce champ se déplacent dans l'espace des positions, ce que confirment les différentes analyses conduites sur cet espace. Parallèlement, leurs investissements dans les thèmes de la représentation de l'économie se modifient dans le sens du groupe qu'ils ont rejoint et auxquels ils appartiennent dorénavant. Nous pouvons faire l'hypothèse (en pointillés sur le graphique) que l'expression de leurs représentations de l'économie diffère à présent de celles d'individus appartenant à une cohorte comparable mais restés dans des positions identiques à celles qu'ils ont eux-mêmes connues et dont ils proviennent.

Ce déplacement qui est comparable dans les deux espaces intervient à partir du moment où les sujets sont devenus cadres. En d'autres termes, bien que leur devenir soit d'une certaine manière inscrit dans le diplôme d'ingénieur qu'ils ont préparés et bien qu'ils aient fréquenté la même institution éducative (même formation et mêmes individus) durant cinq années, on ne peut rendre compte des résultats ni par l'anticipation ni par la socialisation seules.

De ce fait, nous proposons à présent d'essayer de comprendre ce qui s'est produit en confrontant nos données à un certain nombre de résultats empiriques provenant d'autres études et à des éléments théoriques à disposition en psychologie sociale ou ailleurs. En premier lieu, il convient d'essayer de rendre compte de la situation initiale et finale des sujets, c'est-à-dire de l'homologie groupes et représentations.

Effets d'assignation de l'ancrage

La question de l'homologie entre groupes et représentations peut être examinée en se référant aux premiers travaux sur les représentations sociales et particulièrement à l'ouvrage de Moscovici (1961/1976) sur la psychanalyse. En effet, dans cette étude, les différences observées selon les différentes dimensions de la représentation de la psychanalyse sont rapportées aux différences existant entre les groupes, distingués à partir du champ des professions ou selon certains indicateurs des positions occupées par les sujets: politique, religion et, enfin, dans le champ de la presse.

Cependant l'analyse de l'homologie entre groupes et représentations n'est pas en tant que telle objet de l'étude même si, dans la version de son texte en 1961, Moscovici pose "sous la forme d'une hypothèse fondamentale" que "la représentation sociale est déterminée par la structure de la société où elle se développe" (p. 337).

La disparition de cette hypothèse "fondamentale" dans la version de 1976 peut être comprise de différentes manières. Tout d'abord, le travail de Moscovici se pose comme distinct de ceux conduits en matière de sociologie de la connaissance: il s'agit d'une certaine manière de légitimer une approche psychosociologique des productions collectives symboliques.6 Ensuite, les instruments d'analyse développés dans l'étude sont principalement bivariés et conduisent à une impossibilité d'établir un espace comportant plus de deux dimensions. Enfin, la formalisation donnée en 1961 pour expliquer l'incidence des déterminations sociales sur les représentations n'est ni très explicite ni très productive.7

C'est en réalité le processus d'ancrage qui, sur un plan à la fois descriptif et partiellement explicatif, va permettre de rendre compte non de la correspondance en tant que telle mais des effets en termes de différences observées. Dans la perspective génétique développée par Moscovici, la question de l'ancrage est avant tout celle de l'incorporation de nouveaux objets dans la pensée constituée. En d'autres termes, il s'agit bien de savoir comment un objet inconnu va être rapporté à des catégories préexistantes, ce que Moscovici puis Doise ont explicité en faisant référence à des processus cognitifs divers comme l'assimilation et le contraste (Shérif & Hovland, 1952; Doise, 1990a), l'étiquetage (Moscovici, 1981; Becker, 1985) ou encore la référence au prototype (Rosch, 1978; Moscovici, 1981; Doise, 1990a). Ces différents processus conduisent à faire prévaloir le déjà existant même si un effet en retour, dont l'importance n'est pas estimée, est supposé conduire à modifier la catégorie de référence à laquelle le nouvel objet à été assimilé.

D'autre part, les différences observées entre groupes indiquent une autre manière de l'ancrage où le travail des groupes sur les significations s'effectue à partir du langage, des normes et des valeurs de ce groupe. Il s'ensuit que les représentations constituent des systèmes d'explication de l'environnement et d'orientation des conduites propres aux groupes sociaux et signent, d'une certaine manière, l'identité des individus et, partant, celle des groupes sociaux (Jodelet, 1984).

Ainsi, l'ancrage produit des effets d'assignation entre groupes et représentations, dont l'intériorisation chez l'individu est rendue possible par les différents processus d'ordre cognitif que nous avons évoqués. Doise (1990b; 1992), en reprenant et en prolongeant les analyses de Moscovici, fournit urne explication sur ces effets d'assignation en systématisant la relation entre groupes et représentations. En effet, la prise en considération d'un champ social, entendu à la fois comme un espace relationnel de positions sociales hiérarchisées, impliquant une concurrence entre acteurs du champ et se traduisant par des oppositions structurées et des enjeux de lutte et comme un espace de représentations différenciées, permet de rendre compte de ces assignations et partant de l'homologie entre groupes et représenta tions (Viaud, 2000).

Les différentes dynamiques relationnelles à l'œuvre dans un champ von constituer pour Doise (1990ab) un métasystème, au sens où ce sont ces relations es sentiellement d'ordre symbolique et normatif qui construisent mais aussi condi tionnent et actualisent l'expression des représentations sociales. Les principe organisateurs, concept qu'il propose en 1985 (Doise, 1986), permettent de saisi dans quelle mesure les oppositions et les hiérarchies peuvent également se traduir dans les représentations tout en rendant compte de la variété phénoménale des re présentations individuelles et de la diversité expressive des représentations lors qu'elles s'actualisent dans des contextes particuliers (Doise, 1992).

La question générale posée par Doise est bien alors de saisir dans quels con textes particuliers le métasystème de régulations sociales vient module l'expression des représentations sociales d'un même objet. De là, les études sur le représentations sociales doivent "(...) montrer comment différentes dynamique sociales modulent le fonctionnement cognitif, en conditionnent l'actualisation, ei renforcent ou en affaiblissent les effets" (Doise, 1994, p. 256) ou, en d'autres termes répondre à la question de savoir "(...) quelles régulations sociales actualisent quel fonctionnements cognitifs dans quels contextes spécifiques?" (Doise, 1990a p. 115).

L'étude des transitions

Si une homologie entre groupes et représentations peut rendre compte, dan l'étude que nous avons présentée, des effets initiaux et partiellement finaux des as signations entre groupes et représentations, en revanche, le processus d'ancrage en tant que tel n'est pas suffisant pour analyser la dynamique de changement que s'opère chez l'individu. Même si les positions d'origine et acquise e l'investissement dans les représentations correspondantes sont interprétable: comme un effet logique de l'assignation, en revanche, ni le déplacement d'un individu d'une position sociale à une autre, ni les modalités processuelles de ce dépla cernent ne reçoivent un début d'explication théorique.

La proposition faite par Doise, et la voie ainsi ouverte, peut permettn d'engager une réflexion visant à comprendre la mobilité au sein d'un espace socia à partir des régulations sociales qui s'appliquent à ces situations. Mais en adoptan ce point de vue, l'étude des dynamiques représentationnelles qui sont consécuti ves pour le sujet de son déplacement positionnel n'est, contrairement à ce que lei études sur les représentations sociales laissent à penser jusque-là, non pas le poin sur lequel doit se focaliser la recherche mais seulement un des effets d'une régulati on sociale qui s'y applique plus généralement. Par ailleurs, en se centrant sur les seules modifications des représentations et sur les modalités processuelles de cei changements, une partie du phénomène échappe lui-même à la description. Déjî Merton et Kitt (1950/1965) soulignaient que le fait de quitter son groupe d'appartenance n'était pas Sans conséquence pour l'individu qui prend le risque d'en être considéré comme un traître ou un déserteur et parallèlement de ne pas être accepté à part entière par le groupe rejoint. En somme, le déplacement positionnel de l'individu peut présenter une tension et donc un coût psychologique pour l'individu dont l'étude des régulations devrait pouvoir rendre compte. Enfin, comme l'ont souligné déjà nombre d'auteurs, le déplacement positionnel s'accompagne d'un effet "magique", dont il y a lieu de s'étonner, où l'individu substitue une attitude, un cadre de référence voire un système de pensée à un autre, à deux moments parfois immédiatement successifs.

Les recherches actuelles sur les questions de mobilité au sein d'un espace social peuvent être subsumées par l'étiquette générique des "processus de transition". Comme le montrent Dupuy et Le Blanc (2001), les études actuelles sur la transition présentent une grande hétérogénéité. On peut néanmoins considérer qu'elles départagent deux types de recherche visant à décrire deux phénomènes et donc deux processus différents:

— Les processus s'inscrivant dans une forme de mobilité sociale entendue dans un sens non limité à la mobilité professionnelle. Cette forme de "transition" suppose fondamentalement l'existence d'un champ social structuré et consiste en des déplacements d'individus d'une position sociale à une autre au sein de cet espace. Il semble, en l'état, que ce soit l'effectivité du changement de position qui constitue un point de différenciation entre ces différentes études.

— À ces processus qui s'inscrivent dans le cadre général de la reproduction sociale, on peut opposer ceux qui conduisent à un changement social, c'est-à-dire qui impliquent une modification des rapports entre groupes sociaux. Pour Godelier (1987), seuls ces derniers justifient d'ailleurs d'être qualifiés de "processus de transition", puisque "[...] tout changement social et culturel n'appartient pas à la catégorie des processus de transition. En sont exclus tous les changements dont la finalité est de reproduire l'ancien système de production et d'organisation sociale en l'adaptant aux changements internes ou externes issus de son évolution" (p. 506).

Malgré ce découpage assez net, les études sur les processus liés à la mobilité sociale supposent de faire une autre distinction. En effet, certaines études entendues dans le premier sens présenté ne permettent pas de décrire de manière satisfaisante l'ensemble du processus lui-même. Ainsi, par exemple, Mègemont et Baubion-Broye (2001) s'intéressent à la manière dont des techniciens vont être conduits, au cours de la formation qu'ils reçoivent, à adopter un cadre de référence différent du leur. Dans ce but, ils interrogent trois groupes de techniciens à différents moments de la préparation, en deux ans, d'un diplôme d'ingénieur. Les sujets doivent notamment estimer, à partir d'un inventaire des activités caractéristiques des cadres, dans quelle mesure ils les mettent eux-mêmes en œuvre et faire la même estimation pour les ingénieurs en général. Les distances calculées entre les réponses pour eux-mêmes et celles attribuées aux cadres tendent à diminuer au cours du parcours de formation sans pour autant que la différence entre les réponses données au début de la formation et celles en fin de formation soient significative” ment différentes. Les auteurs en concluent que la "relative stabilité du positionnement à l'égard des ingénieurs, va, nous semble-t-il, à l'encontre des théories fonctionnalistes de la socialisation [...] qui privilégient les processus d'une adaptation du sujet aux normes et valeurs du groupe social dans lequel il s'insère" (p. 23).

Si les résultats empiriques peuvent être admis sans réserve, en revanche, le processus étudié n'est pas celui supposé par les auteurs, pour la simple raison que recevoir une formation de cadre n'est pas être cadre. De sorte que la distance entre les techniciens et les cadres, appréhendée ici sous la forme d'une absence de distance par rapport aux positions de techniciens, demeure entière tant qu'ils ne sont pas devenus effectivement cadres. Quant à la référence critique implicite à l'étude de Merton et Kitt (1950/1965), elle met en évidence que l'étude sur le groupe de référence est quant à elle longitudinale et met en rapport de manière rétrospective et différentielle la plus ou moins grande mobilité des individus dans l'espace des positions sociales à partir de leur conformité avec les représentations prévalant dans le groupe qu'ils ont rejoint. En d'autres termes, s'il y a tout lieu de parler de transition, c'est dans la mesure où ce mot lui-même masque le processus soumis à l'étude: on ne peut envisager de transition que dans la mesure où le passage d'une position à une autre n'est pas effectif.8 L'effet "magique" d'adoption d'un autre cadre de référence ne s'est donc pas produit. De ce fait, ces "processus de transition" ne relèvent pas des régulations sociales telles que nous nous proposons de les étudier dans cet article.

La considération des transitions selon l'angle du passage est ancienne et prend sa source dans les travaux du folkloriste Van Gennep (1909). Dans la collation d'études qu'il a réalisée, les passages sont examinés en tant que formes rituelles. Van Gennep s'emploie à décrire les différents stades de ces rituels, de même qu'il produit une taxonomie des rites de passage les plus fréquents et relativement communs à différentes sociétés. Mais en insistant sur la question dupassage et ses différentes phases, comme d'ailleurs dans la reformulation actuelle en termes de transition,9 il occulte la caractéristique phénoménale fondamentale de ceux-ci qui réside dans le fait de franchir une limite où l'individu tient successivement et durablement deux positions différenciées. H est donc nécessaire, pour comprendre en quoi le passage est avant tout le franchissement d'une limite, de montrer tout d'abord comment cette limite elle-même est établie.

Une régulation de la transgression sociale

Dans un champ social donné, des ensembles d'individus s'identifient et sont distingués selon des traits qu'ils ont en commun. Ils ont le même sexe, partagent les mêmes conditions d'existence, ont le même type d'emploi, mettent en œuvre des pratiques que d'autres réalisent également, voire qu'ils accomplissent ensemble, etc. Ces traits définissent, selon une configuration plus ou moins complexe, une position dans un espace social donné. Cette position existe comme position d'un champ à partir du moment où elle est reconnue en tant que telle, c'est-à-dire qu'elle reçoit une dénomination distinctive: on est ouvrier, femme, homosexuel, noir, chasseur, par exemple. Cette position constitue un lieu, un topos, c'est-à-dire également une condition d'existence du sujet dans la mesure où elle lui permet de donner une référence ou, si l'on préfère, d'ancrer les discours qu'il énonce. D'ailleurs, toute communication serait rendue incompréhensible si les individus produisaient des discours qui ne pouvaient être référés à des positions particulières. Non seulement, les discours produiraient des effets d'inattendu mais rapidement des quiproquos s'instaureraient (Laurens, 2002).

Ce qui accrédite la distinction des positions sociales les unes des autres est produit et corroboré par les discours tenus par les groupes sociaux.10 11 Car la réalité sociale est, comme le remarque Bourdieu (1982),11 fondamentalement continue, et les discours ont pour fonction de produire une discrétisation du monde social en classes, catégories ou groupes. Les différences objectives entre groupes servent ainsi à accréditer les différenciations opérées sur le plan des discours, particulièrement en rapportant à des différences de fait des différences de positions.

Le caractère performatif de ces discours est particulièrement apparent lorsque aucune différence objectivement observable ne peut servir non pas à instituer la différence mais à la signifier. Elias et Scotson (1997) montrent ainsi que, dans le village anglais de Winston Parva, coexiste un même ensemble d'ouvriers qui ne se distinguent entre eux par aucune des caractéristiques soutenant ordinairement les distinctions. Ni les salaires, les lieux de travail, les loisirs, et plus encore la langue, la nationalité ou l'origine ethnique ne les différencient les uns des autres. Seule l'ancienneté d'habitation, la zone d'habitation au sein de la ville et quelques coutumes et traditions les distinguent objectivement: un groupe d'ouvriers est présent depuis la création de la ville dans les années 1880, alors que le second, fuyant le: bombardements sur Londres, s'est installé au début des années 1940 dans des logements demeurés vacants. Cependant en dépit de cette absence de différence, le: commérages, c'est-à-dire le langage en actes performatifs, établissent la distinction: les ouvriers nouvellement installés sont l'objet d'une relégation et d'uns assignation sous une forme stéréotypée les désignant sous les noms d'" immigrés" d'" étrangers" ou encore de "péquenots". Les critères employés pour naturalisa cette différence sont habituels s'agissant de groupes dominés: accusation de la saleté, de la délinquance, par exemple. Ainsi, les discours font advenir dans la réalité ce qu'en dit la représentation, à tel point que les membres du groupe d'ouvrier: nouvellement installés ont, tout en en soulignant l'inanité, intériorisé cette différence comme légitime. Les discours font donc advenir dans la réalité la limite qu'ils construisent comme si la différenciation avait pour principe des différences naturelles. Le rapport d'homologie entre groupes et représentations peut dès lors être conçu à partir d'un principe de différenciation sociale très général dans son application qui est au principe des différences observées entre les groupes sociaux.

La limite ayant été établie, les différences entre groupes étant perçues comme des différences naturelles, le déplacement d'une position à une autre ne peut donc apparaître que comme impossible. Comme le montrent d'ailleurs les études sur les rôles sociaux (Newcomb, Turner & Converse, 1965/1970), le fait de tenir une position particulière implique le jeu d'un rôle ajusté à cette position. Par exemple, il n'est pas socialement possible pour une femme qui n'aurait pas d'enfant de tenir un discours de mère. De même, bien que chaque adulte connaisse les discours et les manières d'être de l'enfance, qu'il ait lui-même des enfants lui rappelant sans cesse ce qu'il fut, il ne peut, sauf de manière parodique, tenir les discours de l'enfance sans encourir le risque de se voir relégué, défait ou déchu de la position occupée en tant qu'adulte. Les qualifications d'immaturité, de régression et plus généralement toutes celles visant à lui signifier la non-correspondance entre sa position actuelle et les discours qu'il énonce sont autant de rappels à l'ordre d'un déplacement positionnel qui est socialement représenté comme non légitime. Pourtant, rien n'empêche objectivement que nous nous exprimions comme des enfants si ce n'est l'arrêt produit par le regard de l'autre, c'est-à-dire la manière dont nos représentations constituent une limite intériorisée de notre position.

Ainsi, il est alors possible de concevoir que la mobilité au sein d'un espace social consiste dans le franchissement d'une limite ou d'une frontière entre des positions distinctes et incompatibles et que le déplacement d'une position à une autre dans un espace ordonné, où prévaut le maintien à des positions prescrites, relève à proprement parler d'une transgression sociale; c'est-à-dire littéralement de "passer outre "l'interdit de la limite (Bourdieu, 1982).

Pourtant les situations de mobilité sociale se produisent ordinairement dans la société. La langue dénote nombre d'entre elles comme le mariage, la majorité, le deuil, la promotion sociale, l'investiture d'un candidat ou d'un élu, la retraite ou encore la conversion religieuse et par extension d'autres formes de conversion. Ces déplacements positionnels sont suffisamment récurrents et connus pour pouvoir être distingués d'autres types d'événements. Il existe donc un paradoxe entre deux dynamiques différenciées relatives aux positions dans un espace donné: celles qui concourent à l'établissement des assignations et celles qui autorisent des transgressions au sein de cet espace.

Nous proposons pour résoudre ce paradoxe d'envisager ces deux dynamiques psychosociales comme des régulations sociales. L'effet principal produit par la régulation sociale qui s'applique aux transgressions sociales est de permettre ce qui est tenu d'ordinaire pour impossible, à savoir adopter successivement et parfois de manière directement consécutive dans le temps, deux ensembles de dispositions différenciées, voire opposées. Comme le souligne Bourdieu (1982), à propos des rituels, le franchissement de la limite a un effet performatif immédiat qui est de transformer profondément l'individu, et en ce sens ces régulations sociales ont Lin effet "magique'-. Laurens (2002), en étudiant les conversions religieuses, fait un constat comparable en notant à la fois une absence de conflit interne chez l'individu et une adoption très rapide, voire "instantanée", de deux ensembles de dispositions relevant de deux positions différentes.

De même, dans l'étude que nous avons réalisée, l'individu qui connaît une promotion sociale investit davantage les représentations du groupe qu'il a rejoint au point où ses investissements se confondent, dans les cas que nous avons mentionnés, avec ceux de ce groupe. Or, si les processus de maintien de l'ordre social sont d'ordinaire aussi puissants, permettant l'efficacité des interactions sociales courantes dans la méconnaissance des principes de leur fonctionnement, la transgression sociale ne peut qu'obéir à un mécanisme d'autant plus efficacité qu'elle constitue un moment particulièrement faillible du jeu social. En effet, le déplacement d'une position à une autre rend explicite que l'espace des prises de position est socialement construit et que l'individu est soumis, selon la logique propre à chaque champ social, à des effets d'assignation qui peuvent apparaître alors pour ce qu'ils sont. Cette difficulté est redoublée et d'autant plus saillante que l'individu doit, lors de son déplacement positionnel, concilier d'un moment à l'autre, deux modes d'être, d'agir, de penser et de parler différents tout en étant pareil à lui-même ou littéralement indivis.

La question principale qui se pose à présent est de savoir comment cette transgression est psychologiquement possible, c'est-à-dire comment l'individu peut concilier ce qui relève d'une identité, produit d'un passé, et la même identité comme non produite par ce passé? S'il est évident que tout changement de position n'implique pas une rupture avec le passé au sens d'une opposition par rapport à celui-ci,12 en revanche tout changement de position implique une discontinuité entre le présent comme produit du passé et ce qui est à venir. Si cette discontinuité tend à se résoudre après le déplacement positionnel, dans la mesure où elle est réintégrée comme partie prenante de ce même déplacement, elle est problématique au cours du déplacement lui-même. C'est ainsi que l'on peut, à notre avis, comprendre que les groupes de référence décrits initialement par Hyman (1942; 1960) et convoqués dans l'étude de Merton et Kitt (1950/1965) ne constituent pas seulement une prévision de ce qui va advenir mais ont pour principale fonction de guider l'individu au cours de son déplacement positionnel et de lui indiquer une sorte de chemin à suivre. C'est en ce sens aussi que l'on peut considérer que ces régulations socialement normées ont une fonction d'exemplarité qui constitue pour l'individu autant de repères dans un moment où, par définition, les repères ordinaires fondant la distinction sont abolis. En d'autres termes, la discontinuité qui se manifeste au plan social et psychologique est palliée par l'utilisation de modèles, de cadres ou d'exemples qui se situent en dehors du groupe auquel appartient l'individu et lui permettent d'adopter une position différente de celle qu'il avait jusque-là. Il en est de même des événements fortement codifiés qui sont associés à ces régulations, comme les pots de départ, les cadeaux de bienvenue, les remises de rubans ou de décorations. Ces différents événements ont pour fonction à la fois d'accompagner l'individu lors son déplacement positionnel et de l'instituer dans la position qu'il a acquise.

L'individu ne peut, en effet, dans cette situation faire appel à son origine, puisque c'est précisément cette origine qui se trouve remise en cause lors du déplacement de position. Tl lui est donc nécessaire d'avoir recours à des exemples qui se situent en dehors de lui-même, de ce qu'il a connu, du groupe même auquel il appartient, et de ce qui constitue l'ordinaire de son environnement. La mémoire exemplaire (Viaud, 2002), qui est littéralement faite d'exemples, lui permet de trouver des précédents, c'est-à-dire matière à fonder un passé, dans la discontinuité créée par la transgression positionnelle. Comme le rapporte Laurens (2002) dans le cas des conversions religieuses, "les exemples fournissent des voies à suivre, ils proposent des traces, des pistes dans lesquelles peuvent s'engouffrer ceux qui sont proches de la conversion" (p. 80). Par exemple, saint Augustin se remémore au moment de sa propre conversion celle de saint Antoine et son exemple appuie et donne sens à ce qu'il est en train de vivre (397-401/1998, livre VIII, XII).

Une des hypothèses que nous avons formulées dans d'autres travaux (Viaud, 2002), c'est que les groupes s'emploient à former deux types de mémoires: une mémoire qui renvoie à l'origine, qui correspond à la construction d'une continuité entre le passé et le présent, et une mémoire exemplaire dont la vocation est plus universelle.13 Dans le cas des conversions religieuses, l'Eglise elle-même comme institution a contribué au début du XXe siècle à édifier cette mémoire exemplaire. Comme le relève Pouderon (1997), la formalisation des récits de convertis "répondait] à un souci d'édification, d'exemplarité qui dégag[e] le récit de la simple confidence autobiographique pour lui donner une portée universelle" (cité par Laurens, 2002, p. 83).14 L'enjeu est en effet d'importance puisque les exemples ont pour fonction de constituer littéralement des garde-fous au moment de la conversion, c'est-à-dire non seulement garantir que l'application conduise au résultat escompté mais plus directement protéger le sujet contre une mauvaise voie, en l'occurrence celle de la folie. Le recours à cette exemplarité de la mémoire permet de faire face à la discontinuité que constitue la transgression, c'est-à-dire aussi de permettre à l'individu de penser ce qui n'est pas pensable.

Ainsi, l'appel à des groupes servant de référence, la convocation d'éléments de mémoire et particulièrement celle que nous avons dénommée d'exemplaire sont consubstantiels de cette régulation. Ce faisant, malgré les exemples et les prescriptions qui sont partie prenante de ces régulations, il n'y a pas de déterminisme absolu de la régulation elle-même et donc de son résultat.

L'hypothèse d'un lieu d'indétermination

En effet, les régulations présentées laisseraient à penser que l'adoption par l'individu de dispositions différentes de celles qu'il avait auparavant s'effectue de manière assurée. Ainsi, en se référant aux travaux des sociologues fonctionnalistes, l'adoption d'un rôle conforme à la position acquise, au moins pour ce qui concerne les caractéristiques prescriptives du rôle, va de soi. A partir du moment où l'individu dispose d'un statut particulier, il met en œuvre le rôle correspondant à ce statut. Cette prise de rôle est même conçue de manière réversible, comme le montre Lieberman (1956) évoquant le cas où des ouvriers devenus délégués du personnel puis à nouveau ouvriers adoptent puis délaissent les attitudes des délégués du personnel. De sorte que, selon cette perspective, l'application de cette régulation sociale serait à la fois linéaire, progressive et systématique. Or, il est aisé de montrer que cette régulation est loin de toujours produire les effets escomptés, ce qui, au passage, pose question sur l'épistémologie du changement tel qu'il a été décrit jusque-là par les chercheurs.

Dans notre propre étude, nous avions laissé de côté plusieurs observations pour mettre en lumière ce que nous tenions pour la caractéristique fondamentale et donc supposée suffisante du phénomène étudié. Cependant, nous avons constaté que l'homologie n'est pas complète entre l'espace des représentations et celui des positions, dans la mesure où le déplacement positionnel des individus mobiles ne s'accompagne pas d'un réinvestissement dans tous les segments de la représentation. Plutôt que de considérer que les décalages observés par rapport aux hypothèses posées n'ont pour raison d'être que des questions techniques liées aux mesures effectuées, ou qu'ils ne sont que des artefacts, considérons qu'ils sont également partie prenante du phénomène lui-même. Il s'agit alors d'essayer d'en comprendre les raisons. De ce fait, si dans un précédent article (Viaud, 2003), nous avons présenté les résultats obtenus au travers de la théorie des rôles sociaux qui, à certains égards, peut figurer comme origine de ces recherches sur les modifications relatives aux statuts sociaux (voir par exemple Jodelet & Moscovici, 1990), cette explication nous semble devoir à présent être révisée, car cette généralisation n'est possible qu'en éludant nombre de phénomènes qui ne sont pas conformes au schéma général proposé.

Ainsi, en premier lieu, la linéarité de cette régulation doit être interrogée. En effet, certains chercheurs montrent que la discontinuité qui caractérise cette régulation de la transgression persiste au point où l'individu ne parvient pas finalement à restaurer son indivision. En d'autres termes, deux ensembles de représentations ou plus généralement de dispositions attachées aux positions ante et post vont être convocables simultanément par l'individu face à une situation donnée. Comme le montre Gaulejac (1987), dans l'étude qu'il a conduite sur des individus en situation de "descension" ou de promotion sociale, les déplacements des sujets dans la structure sociale peuvent parfois conduire à des conflits d'identification. Selon cet auteur. l'individu en situation de déplacement social doit faire face à un double risque qui est l'isolement et le dédoublement. Ce risque peut conduire à un syndrome particulier qu'il décrit comme étant une "névrose de classe", définie par un "tableau clinique qui caractérise les conflits psychologiques vécus par des individus qui changent de position dans la structure sociale" (p. 139). Cette névrose "se caractérise par des conflits d'identification qui opèrent à un niveau intra-psychique dans des tensions entre instances (Moi — Idéal du Moi — Surmoi), tensions qui sont d'autant plus fortes qu'elles sont liées à un déplacement social entre deux positions conflictuelles, conflit produit par les antagonismes sociaux qui se développent entre certains groupes, certaines classes, certaines ethnies à des moments historiques particuliers" (p. 182).15 Les travaux de Gaulejac (1987) montrent ainsi que l'issue de cette transgression sociale est particulièrement incertaine et que si elle se résout de manière générale par l'adoption de dispositions conformes à celles de la position rejointe, ü advient cependant qu'elle aboutisse à une impossibilité ou à une difficulté de reconstituer le système de différenciation sociale. Ce que montrent a contrario ces études, c'est que cette régulation consacre en définitive les différences, c'est-à-dire au bout du compte contribue à les renforcer.

Deuxièmement, le caractère progressif de cette régulation doit également être interrogé. Les régulations sociales de la transgression sont représentées comme procurant le bénéfice d'un pouvoir supérieur ou spécifique ou fonctionnellement adapté, de sorte que l'attractivité pour la recherche de celui-ci peut constituer une raison d'agir pour celui qui s'engage dans un processus dont la linéarité n'est par ailleurs pas assurée. Ainsi, sauf dans le vocabulaire de la recherche, n'est-il jamais question de "déconversion religieuse" ou de "descension sociale",16 et si l'évolution est un terme du langage courant, l'involution n'en fait guère partie; les antonymes d'évolution fournis par un dictionnaire courant étant immobilité, permanence ou fixité!17 Le fait que les régulations de transgression en sens contraire soient socialement si peu visibles, de même que la rareté des dénominations de sens commun qui dénotent des trajectoires "régressives" ou descendantes, sont autant d'indicateurs de cette représentation.

Les régulations sociales de transgression peuvent ainsi être comprises comme des formes de contrepartie au maintien de l'ordre social, dans la mesure où la domination ordinaire de certains groupes sur les autres apparaît socialement déjouée, tout en ne remettant pas fondamentalement en cause son principe même. De la sorte, le changement de position dans un espace social donné est-il valorisé et permet, sous le joug ordinaire d'un ensemble de contraintes, de ne pas faire apparaître les effets d'assignation pour ce qu'ils sont.

Troisièmement enfin, le caractère systématique des régulations de transgression doit aussi être interrogé. Là encore, dès lors que l'individu est engagé dans le processus lui-même du déplacement, le résultat attendu est représenté comme inconditionnel, c'est-à-dire que les individus ne peuvent pas s'y soustraire.18 Pourtant, on peut montrer que l'individu peut rejoindre une autre position que celle prévue par la régulation.

C'est ce qui peut se produire par exemple lorsqu'une femme qui vient d'accoucher ne se comporte pas comme une mère, un employé nouvellement promu comme un cadre, etc., produisant autant de comportements, de discours qui sont jugés inadaptés. Mais le caractère non systématique de l'application sous-tendant la régulation de la mobilité est particulièrement patent lorsque l'individu investit une position relevant d'un autre champ social. L'exemple des conversions religieuses est à cet égard particulièrement éloquent. Le converti se trouve en effet face à des positions homologues relevant de champs différents: la figure du converti d'une part et celle du fou d'autre part, délirant mystique ou encore possédé selon le champ à partir duquel le sujet se positionne ou il est appréhendé. En ce sens, le régulations qui s'appliquent aux transgressions légitimes ne sont donc incondi tionnelles que dans la mesure où cette inconditionnalité contribue à leur efficaciti symbolique (Lévi-Strauss, 1958).

En somme, pour nous résumer, les régulations sociales de la mobilité peuven être conçues comme des représentations normées, et en ce sens sociales,19 des trans gressions sociales. Leur efficacité symbolique réside dans la représentation asso ciée au déplacement positionnel, représentation qui contribue à ce que l'individi le perçoive comme linéaire et progressif, c'est-à-dire aussi irréversible, et systéma tique, c'est-à-dire enfin inconditionnel. C'est ainsi nous semble-t-il qu( l'hypothèse que nous avons formulée précédemment d'une reconstitution d( l'opposition entre groupes de sujets et entre représentations est possible et qu'c l'issue du déplacement positionnel l'opposition entre les individus mobiles et les individus appartenant au groupe d'appartenance antérieur est à nouveau restaurée.

De plus, elles sont normées dans la mesure où toute transgression n'est pas représentée comme légitime dans un espace social donné. C'est particulièrement le cas de tous les déplacements où les individus ne possèdent pas les titres et les droits exigés pour accéder à une position: les termes de passe-droit, de piston ou les différentes formes du népotisme sont autant de manières d'indiquer que l'individu ne dispose pas des titres requis ou légitimes pour franchir la limite (âge, mérite, diplôme, par exemple). Bien que de tels déplacements s'inscrivent dans les régulations de la transgression, ils constituent néanmoins une forme illégitime de déplacement positionnel, indiquant a contrario le caractère normé des transgressions légitimes.

Néanmoins, l'existence d'une régulation comme représentation des déplacements positionnels n'épuise pas la question théorique des divergences par rapport à leur effectivité. H est donc nécessaire à présent de se demander comment ces divergences peuvent être théoriquement appréhendées.

Le moment de la transgression, comme nous l'avons souligné, présente fondamentalement une discontinuité entre l'origine de l'individu et la position qu'il rejoint dans l'espace social. Ces divergences par rapport à la représentation de cette régulation, de même que le recours à l'exemplarité comme garant de l'application de dispositions jusque-là inusitées par l'individu, ont pour conséquence que malgré ces multiples déterminations, le moment de la transgression est fondamentalement un espace d'indétermination ou, si l'on préfère, un non-lieu ou atopos.20 Pour étayer cette proposition théorique, prenons le cas d'une régulation autre que celles évoquées jusque-là et qui correspond au déplacement de la position de bien portant à celle de malade, au moment où l'annonce de la maladie est faite ("vous avez un cancer").

Comme le montrent les travaux d'Herzlich (1969/1996), les représentations des maladies graves peuvent donner lieu à trois représentations différentes à partir du critère de l'inactivité qui signe l'état de malade. La maladie peut alors être envisagée comme "destructrice" mettant l'accent sur la désocialisation du malade et la déstructuration de ses liens avec autrui, c'est-à-dire l'impossibilité pour l'individu d'assumer son rôle social à part entière. Lorsque le malade investit cette représentation, l'individu peut aller jusqu'à nier la maladie, ce qui peut se traduire par le non-recours au médecin ou par un refus des soins. La maladie peut également être appréhendée comme "libératrice", ce qui est l'envers de la représentation précédente dans la mesure où le malade retrouve alors "des possibilités de vie et de liberté" (p. 152) par rapport à son rôle social ordinaire. Enfin, la maladie peut être représentée comme un "métier". Dans cette dernière forme, le sujet endosse d'emblée le rôle à part entière du malade dont la lutte contre la maladie constitue la prescription majeure.

Au-delà de la question du "choix" que peut faire un individu de telle ou telle représentation, il apparaît que la transgression constituée par l'annonce delà maladie ne présage pas de la représentation que l'individu va investir: la transgression de bien portant à malade n'implique pas en tant que telle une représentation plus qu'une autre. De plus, l'étude d'Herzlich (1969/1996, voir pp. 97-102) montre également que cet espace d'indétermination est lui-même l'objet de représentations. La limite entre l'état de bien portant et celui de malade est par essence un "état intermédiaire" entre santé et maladie. La "fatigue" qui est reconnue pour signifier cet espace est, sauf dans les cas où elle s'inscrit dans la durée, fondamentalement indéterminée. Selon Herzlich (1969 /1996) "tous les sujets sont unanimes pour affirmer que l'état intermédiaire n'est ni l'un [la santé] ni l'autre [la maladie]; on n'est ni tout à fait malade ni tout à fait bien portant" (p. 100).21 La fatigue ne présage donc aucunement du fait que l'on soit malade ou bien portant mais elle est vécue comme le lieu de la rupture entre les deux.22

Cet espace d'indétermination est donc un non-lieu et n'est un espace déterminé a priori que par les prescriptions attachées à cette forme de régulation et a posteriori lorsque la continuité entre ce que l'individu a été et ce qu'il est devenu est rétablie. Dans ce dernier sens, cet espace d'indétermination peut être conçu comme une "zone intermédiaire", mais cette référence topologique n'a de sens que rétrospectivement, si le changement s'est effectivement produit dans le sens attendu par la régulation pour l'individu.

C'est cette indétermination qui est source d'incertitude pour l'individu, ce qui peut se traduire par de l'inquiétude ou de l'angoisse. Ainsi, en raison de la nature très particulière de cet espace, nous pensons que les transgressions ainsi conçues n'ont pas pour effet mécanique d'aboutir au résultat auxquelles elles préparent.

Conclusions

Le cas de régulation présenté, à partir des résultats de l'étude que nous avons réalisée, et à propos duquel une tentative d'explication a été formulée est, d'une certaine manière, le plus simple et nous nous sommes volontairement placé dans un cadre balisé par le langage et dans des situations socialement circonscrites et reconnaissables, voire institutionnalisées, c'est-à-dire objectivées. L'intérêt de l'étude des transgressions envisagées comme des formes socialement régulées réside, d'une part, dans l'opération "magique" à laquelle elles aboutissent et, d'autre part, dans l'espace d'indétermination qu'elles créent, source d'imprévisibilité par rapport au résultat attendu.

Le lecteur nous permettra en guise de conclusions de poser quelques éléments plus spéculatifs, mais qui nous semblent pouvoir enrichir la réflexion à propos des régulations sociales et élargir leur champ d'application.

En effet, on pourrait s'interroger pour savoir si les régulations de la transgression sociale, qui s'inscrivent initialement dans les rituels, ne peuvent pas être appréhendées comme des applications de portée plus générale. Il s'agirait alors de saisir la dynamique psychique conduisant un individu à investir des réalités successivement différentes selon des formes qui, pour nombre d'entre elles, ne seraient que partiellement codifiées. D'autres exemples pourraient ainsi êtres examinés sous cet angle comme le moment de ces fêtes déguisées où les femmes prennent la place des hommes et vice-versa, chacun revenant après la fête à son état initial. Le moment de la fête n'est-il pas celui qui échappe à tout contrôle où tout donc semble possible, même si l'ensemble est socialement réglé?

Ces différentes considérations supposeraient, d'une part, une étude qui étaye d'un point de vue historique la constitution des formes ritualisées comme instances paradigmatiques et leur existence sous la forme d'une régulation sociale et, d'autre part, de saisir dans quelle mesure la dynamique psychique qu'on pressent plus générale dans son application puisse constituer un analogon de ces rituels et de ces régulations sur le plan individuel. Il resterait de fait à pouvoir convoquer des instruments pertinents permettant de rendre compte du passage des formes individuelles aux formes collectives.

Ensuite, il nous semble que l'étude des régulations sociales permet de considérer à nouveau ce qui est désigné sous le nom de processus d'ancrage et de l'appréhender également sous ces termes. De la sorte, des types de régulations sociales différenciées pourraient être identifiées: celles qui relèvent de l'assignation, celles qui relèvent des transgressions socialement réglées, et enfin, celles qui pourraient conduire à des formes représentées du changement social. La question du changement social, qui serait, à notre avis, la seule question pertinente pour qui s'intéresse à la modification des représentations sociales elles-mêmes, reste entière mais peut, eu égard aux éléments déjà posés, avoir une possibilité opératoire d'exister.23

Enfin, il faut prendre, à notre avis, au sérieux le fait que ces régulations existent également comme des représentations sociales de la mobilité. Ce qui a freiné, selon nous, la recherche à leur sujet a consisté à inclure comme éléments objectifs ce qui n'était que partie prenante de la représentation elle-même, c'est-à-dire à avoir confondu le phénomène lui-même et sa construction théorique. Deux conséquences de la méconnaissance de la position du chercheur en ont résulté: d'une part, nous avons pris pour des variables objectives ce qui relevait de constructions symboliques et, d'autre part, nous avons privilégié dans la description du phénomène ce qui était seulement conforme au schéma attendu.

 

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Notas

1Les idées exposées dans cet artide doivent beaucoup aux nombreuses discussions très stimulantes que j'ai eues avec Gabrielle Poeschl lors de son séjour à Brest en 2002.

2La même étude conduite auprès d'élèves ingénieurs interrogés l'année suivant la fin de leurs études montre, d'une part, que peu d'entre eux ont une activité salariée et, d'autre part, que les modifications concernant leurs représentations de l'économie sont, à ce moment-là, inexistantes.

3Les appelés du contingent regroupent l'ensemble des jeunes hommes qui, au moment de l'étude, devaient effectuer leur service national dans les armées.

4Deux thématiques ont été identifiées pour le segment chômage: la première se réfère à une "description institutionnalisée" de celui-ci et la seconde à "l'exclusion sociale" en termes de conséquences diverses pour le chômeur. En ce qui concerne le segment argent, une première thématique a trait aux "formes matérielles" de l'argent, la seconde à ses "fonctions" dans la gestion quotidienne et enfin la troisième à la "distance élective" que la possession d'argent permet de prendre par rapport aux nécessités ordinaires de l'existence.

5Pour plus de détails sur les niveaux des différents indicateurs et la construction de ces deux dernières variables, voir Viaud (2003).

6Cette intention énoncée en teint que telle sur la distinction avec le projet sociologique s'inscrit en premier lieu dans le nom donné au phénomène étudié puisqu'il ne s'agit plus de "représentations collectives" mais de "représentations sociales".

7Cette répartition des causalités correspond en fait, selon la formalisation que Moscovici en a donnée en 1961, à deux types de déterminations. Le premier type concerne les déterminations dites "centrales". Celles-ci s'observent par un "état" de la représentation sociale, lorsqu'il est possible de rendre compte des produits représentationnels à partir de l'ensemble des conditions sociales et historiques dans lesquels elle prend place. En outre, des segments de la représentation peuvent être également déterminés par des "systèmes d'orientation", c'est-à-dire des attitudes, des expériences personnelles ou collectives, des normes avec lesquelles ils entrent particulièrement en résonance. Le second type de détermination est qualifié par Moscovici de "latérale". Cette détermination est celle des éléments expressifs et cognitifs de la représentation, qui dépendent également à la fois de facteurs sociaux et des systèmes d'orientation. Au-delà de la distinction formelle entre détermination centrale et détermination latérale, Moscovici (1961) inscrit à la fois les processus et les produits représentationnels dans l'ordre de la société ou dans des sous-ensembles de celle-ci.

8L'ensemble du numéro de Connexions est consacré à la question des "transitions" et ne traite, du point de vue des études de psychologie sociale, précisément pas du sujet annoncé. Dans aucune de ces études se rapportant à cette discipline, il n'est question de ce qui est le propre de la transition elle-même, c'est-à-dire le "passage" effectif d'un état à un autre. Outre l'étude de Mègemont et Baubion-Broye (2001) déjà citée, Alaphilippe, Gana et Bailly (2001) enquêtent auprès d'actifs, futurs retraités, et Cohen-Scali (2001) d'apprenties, futures diplômées. De sorte que le point de vue énoncé par le sujet doit nécessairement être rapporté à sa situation au moment de l'enquête elle-même et que les non-différences observées ne peuvent avoir que pour principe les différences existantes entre les groupes de sujets sans pour autant permettre d'établir comment ces pré-visions pourront se réaliser une fois le changement de groupe effectué. Ce faisant, ces études manquent la caractéristique phénoménale principale de l'objet étudié. Voir également, dans cette même perspective, Dupuy (1998) ou Mègemont (1998).

9Étymologiquement passage et transition sont équivalents, puisque ce dernier mot provient du latin transitio, qui signifie précisément passage. Il faut accoler un qualificatif à ce mot pour en spécifier une détermination comme brutale, progressive, etc. Enfin, précisons que le domaine d'application du mot est à l'origine de son usage purement rhétorique.

10Une autre manière d'exprimer la même idée est de dire qu'un rôle n'existe que par rapport à un rôle complémentaire: il est difficile d'imaginer un père qui n'aurait pas de fils, un instituteur sans élève, un curé sans ouailles ou un chasseur sans gibier (Newcomb, Turner & Converse, 1965/1970).

11Voir également Bourdieu (1980), plus particulièrement pp. 227-231.

12C'est une semblable proposition que fait Laurens (2002), lorsqu'il indique que les conversions les plus spectaculaires, au sens d'immédiates, sont précisément celles qui consistent en l'adoption d'un rôle opposé (voir particulièrement p. 233 et sq.).

13Nous avons insisté dans le travail précédent sur les situations où la mémoire exemplaire se don ne à voir particulièrement au travers du "devoir de mémoire", mais il apparaît assez évident que les cas d'application sont plus nombreux que la seule manière qu'un groupe a de composer avec un traumatisme qu'il a vécu. À la lumière des régulations sociales, certaines propositions faites alors dans ce travail pourraient être pour partie reformulées.

14La place nous fait défaut pour examiner dans quelle mesure, comme nous l'avons proposé, l'exemplarité de la mémoire peut être rapportée à des enjeux de concurrence entre groupes sociaux. Dans le cas des conversions religieuses, on peut remarquer qu'historiquement le renforcement de l'exemplarité des conversions est un moyen pour l'Eglise de ne pas tomber sous le joug de la psychiatrie naissante. En effet, les mystiques "stigmatisés" sont traités par la psychiatrie comme des malades. Il s'agit donc de limiter les risques inhérents aux situations de discontinuité sociale en renforçant la régulation sociale s'appliquant à la conversion et de proposer une définition légitime de la conversion. Cette objectivation de la régulation est à l'œuvre, par exemple, lorsque Janet (1898) examine une première fois le cas d'Achille qui a tous les stigmates du possédé, c'est-à-dire une catégorie transgressive issue du Moyen Age. Or, trente ans plus tard, Janet (1929) est.conduit à rectifier son diagnostic initial en le qualifiant de "pseudo-possédé", c'est-à-dire une manière de substituer à la nosographie de la religion celle de la psychiatrie (voir Laurens, communication personnelle, à paraître). Janet s'est trompé en 1898, mais de bonne foi pourrait-on dire, c'est-à-dire en ignorant la position à partir de laquelle il se devait de diagnostiquer.

15Les mots soulignés le sont par l'auteur.

16Un autre terme technique pour décrire le déplacement opposé est la "démotion sociale" qui ne figure pas comme une entrée des dictionnaires usuels. Selon Gaulejac (1987, p. 124), ce mot est d'utilisation courante dans les entreprises belges. Il est assez étonnant que ce type de déplacement soit dénommé pour ce qu'il est, faisant partie des plus rares trajectoires a priori non "progressives" socialement nommées.

17Dictionnaire électronique Le Robert (1996).

18De manière plus générale, notre approche rompt avec toutes les tentatives d'un sujet libéré du poids des déterminismes sociaux et qui visent à le placer au cœur des transformations qu'il initie et qu'il reconstruit. En effet, c'est oublier que les parcours de vie ne sont la plupart du temps pas choisis, ou sur la marge, et que les "transitions" sont elles-mêmes imposées par la société. On ne choisit pas, par exemple, d'être à la retraite. C'est en prenant la part des déterminismes sociaux que l'on peut, à notre avis, examiner la question de l'autonomie du sujet.

19II nous semble qu'il faudrait établir une distinction entre différents types de "représentations sociales" afin d'en saisir les traits différentiels et communs. À cet égard, il est nécessaire de rappeler que le projet de Moscovici visait principalement à comprendre les effets de la socialisation des sciences, des techniques ou des théories dans le sens commun, et de constituer dans le contexte intellectuel de l'époque une alternative à l'emprise supposée des idéologies sur l'individu (Moscovici & Dibie, 2002). Ce projet s'est vu certes élargi à des objets très différents, mais la théorie ne s'applique d'autant mieux que la société est confrontée à un objet dont la nouveauté pose question à la science.

20Dans des travaux précédents, nous évoquions d'ailleurs l'opération produite par le déplacement positionnel comme celle d'une "catalyse sociocognitive", c'est-à-dire comme permettant l'adoption de dispositions différenciées tout en n'étant pas définies par elle (Viaud, 1996; 1999).

21Herzlich conçoit d'ailleurs cet espace dans un sens topologique, comme un "état intermédiaire" ou, comme elle le formule, à partir des propos des sujets, comme une "zone frontière" (1969/1996, p. 101) qui en elle-même peine à être définie.

22Une semblable analyse pourrait être faite pour rendre compte du changement d'attitudes politiques accompagnant la mobilité sociale. Blau (1956) identifie ainsi trois possibilités: "l'acculturation progressive" au groupe d'appartenance, la "ségrégation sociale" et "l"hyperconformité". L'existence d'une pluralité de processus peut, à notre avis, être mise en rapport, avec l'hypothèse d'un espace d'indétermination.

23Nous sommes, sur ce point, en désaccord avec Laurens (2002) lorsque, distinguant les différents cas de conversion, il indique que celui qui conduit à un rôle non fourni par la société et qui ne peut ressortir que de son imagination est "finalement peu intéressant" (p. 207). C'est pour nous précisément un enjeu de lutte pour les groupes sociaux que de parvenir à faire reconnaître leur rôle comme un rôle propre. Ce processus a prévalu par exemple pour les cadres lors de la formation de ce groupe social (voir Boltanski, 1982) et de manière générale est à l'œuvre pour tous les groupes qui, définis par une déviance par rapport à un rôle déjà existant, tentent d'exister sur un mode légitime en créant la définition d'un rôle. La consécration qui s'en suit est de recevoir une dénomination distinctive dans l'espace social, comme ce fut le cas pour les "filles-riières" ou les "transsexuels".

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