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Psicologia

versão impressa ISSN 0874-2049

Psicologia vol.18 no.1 Lisboa jan. 2004

https://doi.org/10.17575/rpsicol.v18i1.409 

Transformations des représentations de la violence dans le cadre scolaire : De la définition des experts à la définition des élèves

Transformações das representações da violência no contexto escolar: da definição dos especialistas à definição dos alunos

Changes of violence representations in the school context: from experts" definition to pupils" definition

 

Alain Clémence1

1Université de Lausanne, Institut des Sciences Sociales et Pédagogiques; BFSH2; CH, 1015 Lausanne, e-mail: alain.clemence@issp.unil.ch


 

RÉSUMÉ

Nous présentons une recherche sur la violence dans le contexte scolaire réalisée en Suisse romande. L'orientation théorique est fondée sur la transformation de la représentation sociale de la violence dans les analyses expertes et ordinaires de l'agression. Différentes définitions de la violence sont discutées dans une perspective développementale de l'identité sociale et des dynamiques des relations scolaires. Les résultats montrent que la représentation de la violence et des actes d'agression différencie clairement les élèves et les enseignants. Ces distinctions sont particulièrement importantes dans l'évaluation des actes d'agression "faible" dans la vie quotidienne et dans le caractère légitime et illégitime de l'usage de la force. Les agressions commises sur ou par les élèves dépendent en grande partie de la légitimité conférée à l'usage de la force par les auteurs des actes. Nos résultats permettent de défendre l'hypothèse que les relations violentes sont ancrées dans le cadre plus général des relations scolaires. Dans la mesure où les élèves se distancient des enseignants à cause de difficultés avec le travail scolaire, la famille ou l'intégration, ils soutiennent des positions et des actions qui s'écartent ou s'opposent aux modèles prônés par les enseignants et les adultes. Dans ce sens, la représentation de la violence devient plus complexe et plus polémique dans la société, en particulier lorsque les enfants sont pris en considération comme sujets ou objets des agressions.

Mots-clés Agression, changements, dynamique, contexte scolaire, relations sociales, représentation.


RESUMO

Apresentamos uma investigação sobre a violência no contexto escolar realizada na Suíça francófona. A orientação teórica fundamenta-se no processo de transformação da representação social da violência no contexto das análises que os especialistas e os leigos fazem da agressão. Diferentes definições da violência são discutidas na perspectiva desenvolvimentista da identidade social e das dinâmicas das relações escolares. Os resultados indicam que a representação da violência e dos actos de agressão diferencia claramente os alunos e os docentes. Estas diferenças são particularmente importantes na avaliação dos actos de agressão "fraca" na vida quotidiana e na percepção do carácter legítimo e ilegítimo do uso da força. As agressões cometide sobre os, ou pelos, alunos dependem em grande parte da legitimidade conferida ao uso da força pelos autores dos actos. Os nossos resultados apoiam a hipótese d que as relações violentas são ancoradas no quadro mais geral das relações escolares. Na medida em que os alunos se distanciam dos docentes por causa das dificuldades com o trabalho escolar, a família ou a integração, eles adoptam posições e acções que se afastam dos modelos defendidos pelos docentes e os adultos ou se opõem a esses modelos. Neste sentido, a representação da violência toma-se mais complexa e mais polémica na sociedade, particularmente quando ai crianças são consideradas como sujeitos ou objectos de agressões.


ABSTRACT

We present a study on violence in school conducted in French-speaking part of Switzerland. The theoretical orientation is based on the transformation of the social representation of violence in expert and everyday analyses of aggression. Different definitions of violence are discussed ir a developmental perspective of social identity, and the dynamics of school relations. Our results show that the representation of violence and the acts of aggression clearly differentiates pupils and teachers. Such distinctions are particularly important in evaluating everyday "low aggression acts", and the legitimate and illegitimate use of force. Aggression from or on pupils depends to great extent on the positive standpoint regarding the use of force of the offenders. Our results allow us to sustain the hypothesis that violent relations are establish^ within the more general framework of school relations. To the extent that pupils distance themselves from teachers, because of difficulties with school work, famil or integration, they convey positions and actions which differ from, or are oppose to, models advocated by teachers or adults in general. In this sense, the representation of violence is becoming more complex, more polemic, in the societ in particular when children are taken into consideration as subjects or objects of aggression.

 


Comme représentation sociale, la violence évolue constamment du fait qu'elle est l'enjeu de débats pour en définir les contours. En effet, il est difficile d'interpréter de manière consensuelle des comportements qui initient une dynamique de violence. Car il ne suffit pas d'observer pour définir, comme nous pourrions le faire dans le cas de l'usage de tabac ou de drogues, encore moins d'utiliser une définition scientifique, comme nous pouvons le faire lorsque nous conduisons une expérience scientifique. Certes, il existe une forme d'agression qui paraît aisément qualifiable car elle atteint de manière visible l'intégrité corporelle. Mais même dans ce cas, des divergences d'interprétation émergent très vite: par exemple, les blessures corporelles causées par une automobile qui roule trop vite ou par l'administration de médicaments relèvent-elles d'actes de violence? Faut-il distinguer la violence, comme un concept général, de l'agression, comme concept limité aux actions intentionnelles? Encore une fois, cette discussion a certainement un sens dans un laboratoire scientifique, mais elle est moins pertinente dans la vie quotidienne, où ces concepts circulent de manière souvent indifférenciée pour désigner les actes les plus divers (voir Clémence, Rochat, Cortolezzis, Dumont, Egloff & Kaiser, 2001).

La représentation de la violence et son contexte

En fait, une distinction subtile est présente dans la représentation sociale de la violence. Elle prend appui sur l'affirmation que la violence est une composante naturelle de l'être humain, affirmation étayée par le développement de théories populaires, issues notamment de la vulgarisation des idées darwiniennes sur la lutte pour la survie et de fragments de la psychanalyse sur l'ambivalence des relations (Moscovici, 1961/1976). La violence serait en quelque sorte un virus inné, que l'on peut nommer agressivité, qui s'exprimerait chez ceux qui doivent se défendre ou même combattre dans une situation de compétition. Encore faut-il bien sûr qu'elle soit canalisée et exercée dans des lieux et selon des modalités définis. Dans ce cas, l'agression est justifiée, voire même valorisée. Le contrôle de la violence, sa civilisation pour reprendre les termes d'Elias (1982), a induit un processus de légitimation d'une forme particulière d'agression, celle exercée par une autorité. Cependant, nous sommes loin d'une acceptation consensuelle de ce processus de civilisation. L'autodéfense, voire la vengeance, sont (encore) largement reconnues comme des agressions légitimes, surtout chez ceux qui estiment que les sanctions (en d'autre terme la violence) des institutions sont insuffisantes ou injustes (Clémence & Doise, 1995). La distinction entre bonne et mauvaise agressivité, entre violence légitime et illégitime, est donc aussi un enjeu social, un débat qui oppose des points de vue et, par conséquent, varie.

Un consensus plus grand se dégage pour qualifier la "mauvaise" violence. Il s'agit précisément de celle qui relève de la brutalité impulsive, irrationnelle et destructrice, celle qui met en cause la civilisation (voir, par exemple, Héritier, 1996). Sont particulièrement visées les agressions sournoises, clandestines, surtout lorsqu'elles ne semblent pas justifiées par un but. On pourrait relever des actes de ce genre à des niveaux très différents, depuis les affrontements militaires aux relations interpersonnelles. Pour ne donner que quelques exemples qui concernent notre thème, il suffit de penser que mordre est plus détestable que donner un coup de poing, que se moquer de la taille d'une personne est plus grave que de lui dire qu'elle est incompétente, ou qu'injurier un automobiliste est plus acceptable qu'injurier une personne dans un autobus.

Dans le domaine scolaire, la définition de la violence est particulièrement problématique du fait qu'elle désigne le plus souvent des comportements d'enfants. La distinction entre le jeu et/ou l'agression, importante en particulier chez les garçons, est souvent ignorée (Durkin, 1995). Ainsi, Eron, Huesmann, Lefkowitz et Walder (1972), dont l'étude sur les méfaits de la télévision fait encore autorité, ont qualifié la violence par le biais de jugements des pairs à propos d'actes pour le moins ambigus. Considérezvous des comportements tels que "ne pas obéir au maître", "regarder de travers" ou "tirer la langue", comme des signes d'agression? Et quel est l'avis de vos enfants ou de vos élèves? Malgré l'évocation de la question, peu de travaux se sont intéressés à la définition que les élèves donnaient eux-mêmes de la violence. Allons même plus loin, peu de chercheurs se sont interrogés sur le changement de la représentation de la violence. H semble pourtant évident que la gifle, avant elle la férule, aujourd'hui certains mots, ont changé de sens, passant d'un outil pédagogique à une agression répréhensible (Caron, 1999).

Dans le même temps, des relations autrefois jugées naturelles sont devenues contestables. Si le mobbing (incluant toutes les formes de harcèlement), et sa variante scolaire, le bullying, sont devenus des problèmes de notre société, c'est parce qu'ils consacrent une forme de relations sociales entre des personnes supposées s'être débarrassées d'attaches sociales qui empêchaient leur épanouissement. Mais dans le même temps, elles deviennent isolées et vulnérables ou sont perçues comme telles. Ainsi, après avoir combattu le contrôle social et ses avatars (autoritarisme, paternalisme, etc.) durant les années soixante et septante, nous nous trouvons aujourd'hui plus libres (dans notre famille, dans notre école, dans notre vie en général) mais plus fragiles. Les groupes sociaux qui ont ainsi imposé ces nouvelles normes—principalement les mouvements issus des classes moyennes centrées sur la relation et fortement féminisées du côté social, des universitaires masculins adeptes des courants antiautoritaires du côté économique—imposent aujourd'hui une redéfinition de la violence fondée principalement sur un modèle de l'épanouissement individuel, entre le développement personnel et la gestion des relations (voir, par exemple, Ehrenberg, 1991; Boltanski & Chiapello, 1999).

Une dynamique relationnelle implique la participation de soi dans des rapports individuels ou collectifs. La distinction entre ces deux niveaux est néanmoins parfois difficile à établir. Nous pouvons en effet agir en tant que membre ou représentant d'un groupe. Une littérature considérable a documenté cette question en psychologie sociale notamment (pour une revue, voir, par exemple, Doise, Dubois & Beauvois, 1999). C'est en particulier le cas lorsqu'une relation est étroitement codifiée par l'environnement. Le cadre scolaire fait partie de ce cas de figure. Lorsqu'un enseignant s'adresse à un élève en particulier, la relation est toujours sous-tendue par la place respective assignée à chacun d'eux. Il en découle un certain nombre de normes explicites (programme scolaire, règlement de l'établissement, par exemple) ou implicites (détention du savoir, relation pédagogique, par exemple). Une même approche peut être adoptée en ce qui concerne les relations entre enfants et parents. Par ailleurs, ces relations sont orientées par une asymétrie entre les positions qui conditionnent les perceptions et les comportements entre les partenaires (voir Clémence, Lorenzi-Cioldi & Deschamps, 1998). Les relations entre pairs, en particulier entre adolescents, prennent aussi des formes collectives lorsqu'un critère d'appartenance est évoqué dans un contexte particulier, comme le sexe, l'ethnie ou la filière scolaire, par exemple. La définition de soi dépend fortement de cet ensemble de relations. Les adolescents sont, à cet égard, dans une situation sinon particulière, du moins difficile, du fait qu'ils doivent affirmer une identité, se préparer à prendre une place dans une société qui à la fois les prépare et les décourage.

Psychanalyse, frustration et imitation: les explications savantes dans le sens commun

Il existe un discours fort et répandu, que l'on doit à la diffusion des idées psychanalytiques, selon lequel la structure de la personnalité nécessite la confrontation au père et l'affection de la mère pour se développer harmonieusement. Dans cette optique, la violation des règles se renforce lorsque la figure du père, à la fois comme représentant de la loi et objet d'identification, s'érode. L'expression de la violence devient patente, selon cette logique, lorsque le corps se transforme à la puberté, révélant la dureté d'une force incontournable. L'adolescent réagirait à cette violence en la détournant vers un autre objet lorsque son identité n'a pu et ne peut se structurer grâce à la confrontation avec une figure paternelle, réelle ou symbolique, constante et consistance (Golse, 1995). Chez les garçons, la recherche d'une résistance nécessaire à la construction identitaire induirait alors des agressions face à autrui. Du côté des filles, la violence se retournerait contre elles-mêmes ou contre la mère, du fait que l'absence du père trahirait une incapacité à séduire l'être désiré. La perspective psychanalytique et son extension systémique apparaissent presque évidentes pour expliquer la violence à l'école. En somme, un virus de la violence couve ici dans la famille et se transmet, dans certaines conditions, aux enfants qui vont l'exprimer ailleurs. Après avoir circulé entre pairs, il contaminera ensuite les relations avec des adultes, puis celles entre adultes. Cette idée est fortement ancrée dans une vision génético-familiale des comportements et a reçu un support scientifique dans des études centrées sur le développement (Olweus, 1979; Zahn-Waxler, Cummings & lannotti, 1986) ou la répétition intergénérationnelle (Huesmann, Eron, Lefkowitz & Walder, 1984; Lahey, Russo, Walker & Piacentini, 1989).

Les études analytiques ont d'abord porté sur l'excès d'autorité des figures paternelles et ont contribué, dans ce sens, à la légitimation des mouvements antiautoritaires. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'elles s'apparentent à l'explication classique de la violence qui reste encore très prégnante dans l'analyse quotidienne du phénomène: la théorie de la frustration/ agression (Dollard, Doob, Miller, Mowrer & Sears, 1939). Si ses racines reposent sur l'idée de la lutte pour la survie, ce modèle permet une explication large des phénomènes grâce à sa souplesse opératoire. C'est presque un réflexe de chercher la frustration lorsque nous constatons une agression, en particulier lorsqu'il s'agit de réactions brutales et soudaines. Le virus est donc inoculé par un besoin insatisfait qui va déclencher une réaction agressive susceptible de l'endormir ou, au contraire, de le rendre plus virulent en augmentant la frustration. Il faut d'emblée relever que cette approche se fonde sur une représentation de l'homme aux prises avec une tension entre des instincts biologiques et des régulations sociales, ou dit autrement entre son versant animal et son versant civilisé. Les travaux de Lorenz (1963) constituent le socle de la réflexion (voir Hacker, 1972). Pour le dire rapidement, cette approche met l'accent sur des besoins vitaux comme l'espace ou la nourriture, et plus généralement la sécurité, dont l'insatisfaction induit des réactions de défense ou d'attaque d'autrui. Ce modèle a été revisité dans un cadre cognitif et émotionnel plus complexe. Pour que la frustration se transforme en agressivité, il serait nécessaire qu'elle produise un sentiment de colère, et qu'elle soit inscrite dans des relations qui favorisent une résolution agressive du conflit engendré (voir Berkowitz, 1974; Mummendey, 1984). D'une manière générale, les travaux qui se sont développés selon cette perspective débouchent, pourrait-on dire, sur une issue plus optimiste que l'approche analytique, dans le sens où le virus de l'agressivité peut se transformer plus facilement selon les circonstances.

La théorie de l'imitation/agression (Bandura, Ross & Ross, 1961) offre un modèle encore plus directement lié avec l'idée de la contamination qui est particulièrement prisée dans les explications de sens commun. L'imitation a été reprise principalement pour évaluer l'impact de la télévision et des jeux vidéos sur le comportement, des enfants surtout. Même si les résultats des recherches montrent qu'il y a peu d'effets directs (cf. Decnaeck, 1998; Durkin, 1995), il semble avéré pour beaucoup que le contenu télévisuel explique largement les actes de violence. Cette croyance est souvent confortée par la mise en exergue de cas individuels dont on souligne la consommation de films violents. Le problème, comme dans toutes analyses de cas, est qu'on oublie ceux qui ont la même consommation et ne commettent pas d'actes agressifs. Le processus d'imitation-identification paraît se développer lorsqu'il peut s'ancrer dans une réalité favorable à l'expression de la violence. Et ici, nous rejoignons la question des figures parentales absentes comme condition de circulation du virus.

Nouvelles perspectives: logique de la souffrance et régulation chimique

C'est dans le cadre de l'affaiblissement des figures de l'autorité qu'il faut situer les approches actuelles qui se centrent sur la souffrance des victimes. H s'agit ici d'une perspective théorique qui met l'accent sur les effets psychologiques négatifs de toute forme d'agression et les identifient à partir des émotions. Elle peut se déployer d'un niveau interpersonnel (par exemple, Olweus, 1993) à l'impact de l'environnement social en intégrant le sentiment de justice (par exemple, Bourdieu, 1993). Elle ouvre ainsi un domaine dont la frontière peut être repoussée toujours plus loin. Dans ce sens, elle peut être associée à l'idée d'une épidémie qui contamine, à des degrés divers, tout le corps social. La souffrance peut en effet résulter d'une agression intentionnelle d'une personne particulière mais également d'une démarche institutionnelle ou individuelle sans volonté de nuire. Il suffit de penser à l'obligation d'aller à l'école qui cause une souffrance non négligeable à nombre d'enfants ou, encore plus loin, à la souffrance imposée par la nature.

Paradoxalement, une approche très différente émerge aujourd'hui sur le même terrain en offrant une perspective de transformation plus radicale, non pas des relations sociales mais de l'adaptation individuelle. Il s'agit de ce que l'on pourrait appeler la régulation chimique. Basée sur une explication théorique biologique qui est en plein essor grâce à la popularisation des découvertes de la génétique, cette perspective doit être brièvement évoquée. Il n'est pas nouveau de chercher l'explication des comportements dans le biologique, en somme de chercher une sorte de virus au sens littéral du terme. Ainsi, la différence entre hommes et femmes dans l'usage de la violence fut souvent expliquée par les testostérones (voir Durkin, 1995). Dans le même sens, l'hyperactivité, qu'elle soit comprise comme déficit attentionnel ou relationnel, est également expliquée depuis plusieurs années par un problème de neurotransmetteurs, même si cette explication est (encore) hypothétique. H est d'ailleurs nécessaire de noter ici que l'impact de la Ritaline (un médicament à base d'amphétamines) s'exerce surtout sur l'attention et les résultats scolaires, alors que son influence sur les comportements "pro-sociaux" est plus faible (voir la méta-analyse de Crenshaw, Kavale, Fomess & Reeve, 1999). Une explication d'ordre génétique fait l'hypothèse que les variations de comportement relèvent en fin de compte d'une différence génétique. Il en résulte que la circulation des comportements inappropriés socialement, comme l'agression, peut être bloquée biologiquement. Mais, bien entendu, il reste à construire les relations sociales comme le montre bien Harris (1999), qui est l'une des rares chercheuses à avoir comparé ces deux champs séparés de l'étude du développement, celui de la génétique et celui d'ordre psychosocial.

Les perspectives centrées sur la régulation de la souffrance encadrent une large part des analyses et interventions dans le champ de l'enfance. Elles offrent notamment une réponse à l'insécurité engendrée par l'affaiblissement de l'autorité sans viser à son rétablissement. Leur impact dans le champ éducatif est particulièrement fort et a un retentissement important sur la définition de la mission de l'école. La fonction d'apprentissage est ainsi étendue au domaine général de l'éducation, avec parfois une forte accentuation de la construction de compétences relationnelles plutôt qu'instrumentales. Le problème de cette tendance est souvent d'occulter le cadre institutionnel qui définit les relations. En personnalisant les relations, on finit par ne plus voir qu'elles ne sont pas toutes du même ordre, que les relations de pouvoir sont d'abord des relations asymétriques avant d'être des relations interpersonnelles . Cette remarque, banale, est nécessaire pour rappeler qu'un enfant face à un adulte, un élève face à un enseignant, tout comme un enseignant face à un directeur, sont dans une position subordonnée, ce qui implique qu'ils doivent exécuter un certain nombre d'obligations. Bien entendu, il est possible d'envisager la forme que prennent les injonctions de celui qui les donne. Mais la focalisation sur ce point de vue amène à l'idée que les exécutants devraient en quelque sorte se gouverner tout seuls, par exemple décider des sanctions qu'ils s'administrent en cas de non-respect de règles qu'ils n'ont pas définies (voir Le Goff, 1999). Dans le même sens, la focalisation sur la souffrance empêche de considérer que les relations, interindividuelles ou sociales, nécessitent des capacités de résistance aux blessures physiques et psychologiques. Ce point est d'ailleurs un des enjeux cruciaux de nos sociétés, du fait que, dans le même mouvement, cette résistance est exacerbée, surtout dans les domaines masculins de l'économie et du sport, et dénoncée, surtout dans les domaines scolaires et familiaux, voire dans les secteurs subalternes de l'économie. Les adolescents doivent aujourd'hui composer avec cette tension dont l'analyse est certainement une clé de compréhension des comportements considérés comme des incivilités (Debarbieux & Montoya, 1998; Debarbieux, 1999).

Significations et dynamique de la violence dans les établissements

scolaires: Une étude empirique

La réflexion que nous venons de présenter a orienté l'élaboration d'une étude empirique réalisée entre 1997 et 1999 sur les significations et les dynamiques de la violence dans l'environnement scolaire d'adolescents entre 12 et 15 ans. Nous avons collecté des données auprès des directions des établissements de la Suisse romande du secondaire I (collèges) et d'un échantillon d'élèves (N=1265) et d'enseignants (N=194) de 12 écoles sélectionnées selon leur taille et le degré de problèmes relatés par les directions.1 En outre, nous avons également sollicité différents organismes intervenant dans le champ scolaire (associations de parents d'élèves, services de type psychopédagogique et polices cantonales) et effectué 120 entretiens avec des élèves, des parents et des enseignants. Nous présentons ici quelques résultats qui permettent de discuter les idées, les théories et les interventions en fonction des facteurs qui régulent les situations de violence. Pour alléger le texte, nous avons omis les analyses statistiques utilisées pour organiser les données.2

Définition: points de vue des élèves et des enseignants

De façon générale, les enseignants3 englobent dans le registre de la violence un nombre d'actes plus nombreux que ne le font les élèves. Cette différence révèle deux points de vue différents sur la violence et montre les limites de leur circulation dans les échanges entre les deux groupes. Néanmoins, nous observons une similarité de points de vue sur la fixation des pôles extrêmes de la définition. L'impolitesse n'est assurément pas de la violence alors que le racket et la gifle en relèvent clairement.

C'est à propos d'actes que les élèves situent à un niveau intermédiaire que la circulation des points de vue prend d'autres directions. Les agressions entre pairs (tels que "donner un coup de pied à un élève qui se moque", "déchirer une photo d'un élève") et les agressions verbales ("insulter un prof" ou "rabaisser un élève devant toute la classe") sont perçues comme de la violence par les enseignants alors que les élèves présentent des évaluations contrastées. Les élèves adhèrent à une définition de la violence orientée principalement par des agressions intentionnelles, en particulier les atteintes physiques aux personnes de statuts différents. Les actions d'opposition aux enseignants et surtout à l'école, ne seraient pas à considérer comme de la violence; elles semblent plutôt proches de jeux dont les conséquences sont sans grande importance. Considérés sous l'angle de leur gravité, les jugements des deux groupes se rapprochent. Les atteintes à l'intégrité psychique des personnes ("impolitesse" et "insultes") sont jugées plus graves que violentes, en particulier par les élèves. Le plus frappant est toutefois de constater que l'appréciation des agressions entre pairs sépare à nouveau clairement élèves et enseignants. Ainsi, les élèves jugent plus grave "d'être impoli avec un enseignant" que de "donner un coup de pied à un élève". La représentation de la violence, comme un ensemble étendu d'atteintes à l'intégrité, non seulement de la personne mais aussi de la personnalité, s'est largement diffusée et imposée au sein des enseignants. En revanche, elle circule moins parmi les élèves qui lui donnent un contenu limité aux actes liés au statut des protagonistes. Enfin, les élèves acceptent davantage l'usage de la violence, légitime ou non, dans la régulation des interactions, comme le montre la figure 1.

Une telle divergence introduit une question fondamentale sur l'appréciation de la violence factuelle et par conséquent sur l'intervention. Faut-il en effet s'appuyer sur la définition des enseignants ou sur celle des élèves pour l'évaluer? L'ampleur de la violence scolaire dépend en effet directement des critères utilisés pour l'évaluer.

Violence entre pairs

Les bagarres représentent une part considérable des relations d'incivilités à l'école. Elles concernent deux fois plus souvent les garçons, mais la différence selon le sexe est moins nette du côté des victimes. Si, logiquement, elles préoccupent peu les élèves qui les estiment souvent peu graves, pour les enseignants elles occasionnent leurs interventions les plus nombreuses et apparaissent donc comme un problème préoccupant. Les directions se situent dans une position intermédiaire. Les actes graves, tels que le racket, sont les moins fréquents (environ 3% des élèves). Une analyse plus fine montre en outre que les bagarres ont tendance à être les plus fréquentes dans les établissements situés dans les petites agglomérations. A l'inverse, le racket est plus présent dans les grands établissements des zones urbaines. Notons que la menace avec usage d'une arme ainsi que le harcèlement sexuel concerne un taux d'élèves comparable au racket. Ici aussi les auteurs et dans une moindre mesure les victimes sont plus souvent des garçons.

Si les auteurs de coups ont déclaré trois fois sur dix également les subir, les auteurs et les victimes du racket sont bien différenciés. Exprimé en pourcentage, le phénomène est marginal mais, traduit en nombre absolu, il touche plusieurs centaines d'élèves (si nous le rapportons à l'ensemble des élèves de Suisse romande, nous arrivons à un nombre de l'ordre d'un millier de victimes!). Cependant, nous constatons que le nombre d'élèves qui disent connaître un racketteur parmi leurs copains d'école dépasse largement le nombre d'auteurs. Les enseignants sont encore plus nombreux à déclarer une telle connaissance, phénomène que nous n'observons pas pour les bagarres. Si les coups circulent plus facilement entre les élèves, nous pouvons penser que pour le racket, ce sont surtout des narrations qui circulent. La diffusion médiatique de ce phénomène repose en grande partie sur les récits de témoins qu: enflent considérablement le problème si on pense au nombre effectif de cas signalés. Les récits des élèves, tout comme certaines études conduites sur les conflits scolaires (cf. Johnson & Johnson, 19%), montrent qu'un nombre non négligeable de situations portent sur des rumeurs.

Violence entre ëèves et enseignants

La circulation des incivilités n'est pas cantonnée aux relations entre pairs. Elle peut aussi se développer entre enseignants et élèves. Il apparaît que les élèves sont les seuls à être victimes de coups: 7% d'entre eux ont déclaré avoir été frappés durant le dernier trimestre par un enseignant, acte que 2% d'enseignants ont reconnu avoir commis. L'inverse ne s'est jamais produit durant le dernier trimestre, une seule fois durant l'année précédente. La tendance est la même maisen moins nette en ce qui concerne les injures (22% de victimes parmi les élèves contre 14% parmi les enseignants). Ici encore, la confrontation dépend largement du sexe des acteurs et dessine une dynamique inquiétante. Les échanges les plus vigoureux opposent dans un sens des erseignants à des garçons et dans un autre ces derniers aux enseignantes. Il faut aussi relever que les enseignants doivent essuyer également des griefs venant d'ailleurs. Ainsi, 8% d'entre eux ont été importunés à leur domicile par des parents. Les conflits avec d'autres enseignants ou avec la direction semblent plus rares en Suisse romande ou prennent des formes plus indirectes.

Dynamique et circulation des incivilités

Penchons-nous sur le profil des auteurs d'incivilités dont l'examen permet de situer des éléments des dynamiques qui s'installent. Il est important de préciser que nous avons adopté un modèle qui vise à expliquer l'intensité des actes commis ou subis. Une telle perspective s'écarte de l'idée d'une classification des élèves qui aboutit souvent à la conclusion que le problème est réduit à une petite minorité de perturbateurs. En se focalisant sur des cas, comme nombre d'études cliniques, on s'expose en outre à mettre en évidence des caractéristiques dont on oublie qu'elles peuvent s'appliquer à me grande partie des adolescents. Dès lors que nous abordons les situations comme une dynamique relationnelle, il est important d'échapper à un point de vue classificatoire.

La comparaison des profils des auteurs et des victimes fait apparaître un glissement intéressant lorsque nous distinguons les relations entre pairs et les relations entre les élèves et les enseignants ou l'institution scolaire. Nous observons en effet que plus les élèves commettent d'incivilités face aux autres élèves, plus ils deviennent les victimes de l'institution. Certes, nous pouvons considérer ce résultat comme le fait que les directions d'établissement réagissent heureusement face aux violences entre élèves. Nous ne pouvons toutefois exclure qu'il y a aussi un mouvement inverse et donc que les victimes de l'institution sont ceux qui sont le plus portés à commettre des actes répréhensibles face à leurs camarades. En effet, les réactions des enseignants qui usent de la gifle montrent bien qu'ils considèrent cet acte comme une intervention appropriée face à l'incivilité d'un élève. Mais certaines incivilités d'enseignants peuvent justement introduire une dynamique relationnelle d'échanges d'agressions et porteuse d'insécurité. Il est ainsi frappant de voir que les élèves les plus sanctionnés par l'institution se sentent davantage en sécurité que les autres lorsqu'ils s'éloignent de l'école.

Arrêtons-nous sur le profil des auteurs d'agressions. Nous observons que l'acceptation de l'usage de la violence et l'impulsivité exercent un impact considérable sur la fréquence des actes d'agression les plus graves (figure 2), quel que soit le sexe des protagonistes. H s'agit de variables qui renvoient principalement aux pratiques de socialisation. H apparaît en effet que l'impulsivité, mesurée par l'intensité déclarée de la contestation des remarques ou ordres émanant de pairs ou d'adultes, dépend en particulier du temps passé devant la télévision et avec des pairs alors que les normes en matière de violence sont étroitement liées à la pratique religieuse. Comme on pouvait s'y attendre, la marginalisation scolaire a également pour effet d'accentuer la propension à commettre des incivilités, surtout face aux enseignants. Il est également important de souligner que la situation familiale exerce uniquement un impact dans les rapports avec les enseignants et l'institution. Les élèves issus d'un milieu parental divisé ou éclaté sont à la fois plus souvent auteurs et victimes dans cette situation. Enfin, il est intéressant de constater que l'origine nationale (ou culturelle) intervient en interaction avec le sexe des élèves. Les garçons d'immigrés européens de la seconde ou troisième génération ou ceux plus récents de l'ex-Yougoslavie commettent davantage d'actes répréhensibles que les élèves suisses mais également portugais ou les élèves originaires du Moyen Orient. Nous ne notons aucune différence chez les filles.

Légende: Violence illégitime: 1 : pas du tout normal à 5: tout à fait normal; impulsivité: 1 : jamais à 5: très souvent.

Conflits identitaires et relations entre pairs

Ces quelques résultats incitent à mettre en évidence un contexte favorable à la diffusion de conflits dans le cadre scolaire, conflits dont l'intensité serait provoquée par la socialisation différenciée de groupes d'adolescents face aux normes scolaires. Nous avons vu que la définition normative de la violence opposait élèves et enseignants. Le fait que les tensions entre élèves et enseignants augmentent avec la grandeur de l'établissement, alors que les bagarres entre élèves tendent à baisser, montre que la taille de l'école rend plus saillante la séparation catégorielle "adolescents/ adultes". Et d'autres phénomènes de groupes émergent dans ce contexte; il en est ainsi de la proximité d'autres établissements scolaires. La confrontation avec un hors-groupe d'élèves plus jeunes ou plus âgés entraîne davantage de conflits que lorsque ce hors-groupe est intégré dans l'établissement. Bien entendu, d'autres clivages que celui les opposant aux adultes peuvent apparaître chez les élèves. Des tensions basées sur l'origine ethnique ou socioéconomique peuvent prendre le pas sur le climat entre générations, notamment là où la répartition spatiale marginalise des groupes ethniques ou socioéconomiques. C'est par exemple le cas dans de nombreuses cités urbaines des USA ou des cités suburbaines françaises et probablement aujourd'hui en Suisse alémanique (voir Eisner, Manzoni & Ribeaud, 2000). Mais il est probable que ces clivages découlent au moins partiellement de la sélection scolaire ou du moins que celle-ci l'aiguise (voir à ce sujet l'étude de Felson, Liska, South & McNulty, 1994). La division en filières scolaires ou en degrés constitue ainsi des sous-groupes d'élèves. L'avance en âge a pour impact d'accentuer les actes d'opposition aux enseignants. La filière est encore plus problématique du fait qu'elle ne crée pas seulement une division entre bons et mauvais élèves mais également entre des élèves qui possèdent le plus souvent les caractéristiques les plus proches du modèle adulte — Suisses issus de catégories sociales moyennes ou élevées — et ceux qui s'en éloignent le plus — étrangers venant d'un milieu familial maîtrisant mal la langue et économiquement précaire.

Un autre résultat doit être mis en évidence pour comprendre les dynamiques d'opposition entre pairs et entre générations. H existe une corrélation positive entre l'intensité des activités réalisées avec des pairs à l'extérieur du domicile familial, et les actes d'agression en général. La corrélation s'inverse pour des activités impliquant une relation avec les parents. Il est important de souligner le fait que les différences entre ces ensembles de corrélations sont très fortes lorsque l'on considère les actes perpétrés contre l'institution scolaire et diminuent lorsque l'on considère les actes d'agression entre pairs. Les normes de violence et l'impulsivité varient avec ces indicateurs dans le même sens et limitent l'impact de l'expérience familiale surtout lorsque nous considérons les rapports entre camarades. Ces résultats confirment l'hypothèse selon laquelle les actes d'agression dans le cadre scolaire sont marqués par une tension normative entre adolescents et adultes qui se renforce dans des groupes de pairs où se créent des normes spécifiques aux adolescents.

Sur cette dynamique, les travaux de Emler etReicher (1996) sur la délinquance juvénile mettent en évidence un phénomène identitaire important, celui de la cristallisation de représentations entre groupes qui convergent avec la théorie de la socialisation par les pairs de Harris (1999). Les adolescents qui appartiennent à des groupes de pairs, dont l'adhésion suppose une forte différenciation des modèles adultes et enfantins, construisent, en même temps qu'une identité adolescente forte, une réputation auprès d'autrui qu'ils doivent ensuite maintenir. Cette allégeance identitaire oriente les comportements des adolescents dans une sorte de spirale qui les amène à se différencier de plus en plus du monde adulte, mais également de leurs pairs. Cette analyse permet également de comprendre pourquoi des adolescents qui manifestent des comportements de rébellion contre le monde adulte peuvent ensuite évoluer sur des voies différentes. Certains, ayant conservé des liens avec l'univers adulte par le biais notamment d'activités diverses, peuvent traduire les actes d'agression sous une forme valorisée dans le monde adulte. H peut s'agir d'une insertion dans le domaine sportif ou économique où la violence est régulée dans des comportements acceptables. D'autres, plus éloignés du monde adulte, peuvent s'appuyer sur leur rébellion pour introduire de nouvelles normes comme nous pouvons l'observer dans le domaine artistique ou vestimentaire (voir Yonnet, 1983).

La circulation de la peur et le climat scolaire

Une dimension plus inquiétante de la violence scolaire concerne l'émergence et la circulation de l'insécurité, même si ce phénomène déborde le cadre scolaire. Ce fait est banal mais il est utile de dire que les enseignants, qui sont les plus inquiets face aux incivilités, se sentent totalement en sécurité à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments scolaires. Les enseignantes le sont un peu moins lorsqu'elles sortent de

Légende: Sentiment de sécurité: 1: pas du tout en sécurité à 5: tout à fait en sécurité. L’échelle de la notation est de 1 à 6.

l'école. Chez les élèves, en revanche, le sentiment de sécurité est nettement plus bas et varie considérablement. Si le sentiment moyen est assez bon dans l'école, plus d'un élève sur vingt a néanmoins dit qu'il ne se sentait pas du tout en sécurité. Dans la cour de récréation, c'est un élève sur treize et aux alentours de l'école un élève sur neuf!

Globalement, le sentiment de sécurité est meilleur à l'intérieur des bâtiments dans les établissements les plus petits. A l'extérieur et particulièrement aux alentours de l'école, il est plus mauvais dans les établissements dont les directions avaient indiqué le plus de problèmes de violence. Une analyse plus fine des données permet de constater que la baisse du sentiment de sécurité en sortant de l'école est particulièrement forte dans des établissements où la violence factuelle est relativement basse.

De quoi dépend le sentiment de sécurité chez les élèves? Comme on pouvait s'y attendre, plus les élèves sont victimes d'incivilités de leurs camarades, plus ils éprouvent un sentiment d'insécurité (figure 3). Cet impact est des plus nets à l'extérieur de l'école. En outre, il dépend du niveau général des actes subis au sein d'une classe, en particulier en ce qui concerne le sentiment d'insécurité à l'intérieur des bâtiments scolaires. Cependant, le rapport à l'école contribue fortement au sentiment de sécurité. Les élèves qui obtiennent les meilleures notes en français et en mathématiques se sentent davantage en sécurité que les autres (figure 3), non seulement à l'intérieur de l'école mais également aux alentours et sur le chemin de l'école. Au niveau de la classe, le sentiment de sécurité est plus élevé à mesure que la filière devient plus prestigieuse. Cet impact est significatif à l'intérieur de l'école, mais il est partiellement absorbé par l'effet individuel de la note.

On observe également un effet de la norme en matière de violence illégitime. Les élèves qui s'opposent le plus à la violence illégitime sont ceux qui se sentent le moins en sécurité dans l'école. Rappelons qu'ils participent moins aux incivilités, comme auteurs et comme victimes, que les autres. En somme, ce sont les élèves les plus proches des normes scolaires portées par les enseignants. Il est intéressant finalement de noter que le sexe et l'âge interviennent uniquement sur l'insécurité éprouvée sur le chemin de l'école. Ce sont les filles et les plus jeunes qui affichent la moins grande sérénité ici alors qu'il n'y a aucune différence à l'intérieur de l'école.

Dans l'ensemble les directions scolaires estiment que le climat de leur établissement est encore assez bon et elles sont divisées quant à son évolution ces cinq dernières années. Le climat de violence à l'école et son évolution sont en revanche jugés sévèrement par les enseignants et surtout les enseignantes. Si le climat actuel leur paraît encore satisfaisant, il s'est dégradé pour eux de manière significative ces dernières années. Nous observons par ailleurs, que les appréciations des enseignants sont, encore une fois, assez homogènes selon les établissements considérés et donc ne dépendent pas de l'intensité des actes graves (comme le racket) commis dans l'établissement. Cet élément confirme une nouvelle fois que pour les enseignants, la question de la violence scolaire paraît moins se focaliser sur les actes les plus graves que sur les incivilités quotidiennes.

Intervenir dans la circulation des agressions

Il existe déjà en Suisse romande des moyens pour affronter les problèmes d'incivilités, surtout lorsqu'ils sont graves. Une grande majorité d'établissements peuvent et font appel à des services médicopédagogiques, d'un côté, à la police et à la justice de l'autre, pour régler des questions difficiles. Nous constatons cependant que les problèmes traités dans le cadre de l'établissement donnent pour les directeurs et les enseignants de meilleurs résultats que ceux qui nécessitent une intervention extérieure. Les mesures prises pour faire face de façon plus globale aux incivilités qui minent le climat scolaire et le moral des enseignants restent plus limitées même si certains établissements ont déjà mis en place ou expérimenté différents projets. L'orientation à prendre pour implanter des interventions donne lieu à de nombreuses tensions, notamment au sein des établissements, du fait que la vaste question de la place de l'éducation dans l'école est aujourd'hui fortement débattue. Nous soulignerons ici un enjeu qui a trait à la circulation des actes et des informations. Il existe une forte tentation, pour certains, à réclamer une imposition stricte de règles en rétablissant une forte autorité statutaire. D'une certaine manière, il s'agit dans ce sens de fixer dans le cadre scolaire des modèles d'identification qui seraient défaillants dans le cadre familial. Cette optique peut s'appuyer sur une traduction du discours psychanalytique. Les données que nous avons présentées, mais également l'évaluation de cette forme d'intervention (Gottfredson, 1998), indiquent que cette perspective néglige les relations qui se sont installées depuis plus de vingt ans et conduit à des résultats négatifs en accentuant les rapports de force. Il est donc nécessaire de mettre l'accent sur les Hens, ce que la plupart des intervenants prônent par ailleurs. Toutefois, les interventions ponctueUes qui visent à favoriser ces Hens par la participation des élèves ont des effets très limités si eUes ne sont pas accompagnées ou mieux précédées par un projet global d'établissement. En quelque sorte, il s'agit moins de bloquer des dynamiques conflictuelles que de les réguler dans un cadre différent. Un tel cadre suppose une définition commune des droits et des obligations avant de prévoir des sanctions. Bien entendu, l'important est de suivre une procédure qui permette une circulation des points de vue de tous à des rythmes réguliers. C'est une procédure certainement coûteuse, mais c'est celle qui produit les meilleurs résultats, du fait qu'elle ne cristallise pas un virus dans des individus ou des contextes particuliers mais établit des relations qui modifient son expression. Nos résultats montrent que les seules mesures qui présentent des résultats positifs, lorsque nous comparons les établissements, sont celles où les élèves participent à des conseils de classe ou d'école. Ces mesures ont visiblement été prises pour faire face à des problèmes sérieux et nous constatons qu'elles entraînent un jugement plus positif de l'évolution du climat scolaire .lorsqu'elles sont établies que lorsqu'elles sont prévues ou jugées inutiles.

L'instauration d'un cadre général s'avère nécessaire pour éviter un sérieux problème que posent des mesures ponctuelles qui ne sont pas intégrées dans l'institution. Nous constatons en effet que ce sont les élèves qui n'ont pas et ne posent pas de problèmes qui sont les plus enthousiastes pour rédiger un journal ou participer à une intervention ponctuelle. En revanche, ceux qui éprouvent le plus d'insécurité, qui subissent le plus d'agressions, sont plus favorables à obtenir le droit à la cigarette ou à l'absentéisme; ils acceptent davantage de pouvoir donner leur point de vue dans la classe et les... punitions collectives. Ainsi, les interventions préventives qui misent trop sur une forme d'expression conforme aux pratiques scolaires habituelles apparaissent particulièrement adéquates pour ceux qui les maîtrisent le mieux, mais malheureusement ce ne sont pas ceux qu'elles visent!

Ce paradoxe a une assise plus large dans la dynamique de socialisation que nous avons évoquée plus haut. Plus l'avis des adultes (parents et enseignants) est important pour eux, plus les élèves acceptent les punitions et les interventions auprès des parents pour réguler les perturbations dans la classe. Ces élèves sont également plus favorables à dénoncer les agressions auxquelles ils assisteraient et plus opposés à l'absentéisme. Un point de vue différent apparaît chez les élèves qui tiennent davantage compte de l'avis de leurs pairs (copains ou copines, frères ou sœurs) surtout lorsqu'ils les rencontrent lors de sorties à l'extérieur de la famille. Ces élèves valorisent davantage les possibilités de contester l'ordre scolaire, non seulement en réclamant le droit de fumer pendant les pauses mais également en plaidant pour l'expression de leurs idées durant les cours.

Nous avons affaire à deux dynamiques différentes. D'un côté, la construction d'une bonne entente avec les adultes est liée avec une attitude favorable à la collaboration avec les enseignants et le respect des normes scolaires. De l'autre, une socialisation plus forte avec les pairs est liée avec des positions de confrontation avec les adultes, et dans une moindre mesure avec les élèves qui en sont proches, et d'opposition à l'institution scolaire. Les premiers sont bien entendu plus réceptifs aux droits proposés par les adultes que les seconds, qui les considèrent plutôt sous l'angle d'obligations supplémentaires. Faut-il pour autant considérer ces derniers sous un angle pathologique comme trop d'approches théoriques, notamment sous la forme vulgarisée que nous avons évoquée en introduction, tentent encore trop souvent de le démontrer? Ou faut-il plutôt, comme nous avons essayé de le faire, montrer qu'il s'agit de dynamiques en évolution qu'il faut réguler dans un cadre, qui lui-même doit être renouvelé?

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Notes

1Cette étude a bénéficié du subside n.° 4040-45167 du Fonds national suisse de la recherche scientifique (Programme national de recherche 40) et a été réalisée avec la collaboration de Caroline Cortolezzis, Patricia Dumont, Michèle Egloff, Claude Kaiser et François Rochat.

2Pour des résultats détaillés, voir Clémence et al. (2001).

3Sans autre précision, les termes utilisés comprennent le masculin et le féminin.

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