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Psicologia

Print version ISSN 0874-2049

Psicologia vol.12 no.1 Lisboa Jan. 1998

https://doi.org/10.17575/rpsicol.v12i1.574 

Processus d'ancrage et representations sociales de Intelligence

Processo de ancoragem e representações sociais da inteligência

Anchoring process and social représentations of intelligence

 

Gabrielle Poeschl*

*Professora na Faculdade de Psicologia e Ciências da Educação, Porto.

 


RÉSUMÉ

Les études présentées ici ont pour objectif d'illustrer le caractère dynamique des représentations sociales. En faisant varier les contextes dans lesquels le concept d'intelligence est évoqué, nous cherchons à montrer que différentes situations de communication entrainent la formation de différentes représentations de l'intelligence. Nos résultats suggèrent en outre que les représentations formées en situation de comparaison sociale sont ancrées, d'une part, dans le système de pensée du groupe auquel les individus s'identifient, et, d'autre part, dans des dimensions perçues comme pertinentes pour différencier le groupe d'appartenance du groupe externe.

Mots-clef intelligence; ancrage; représentations sociales.


RESUMO

O objectivo dos estudos apresentados é ilustrar o carácter dinâmico das representações sociais. Ao fazer variar os contextos nos quais o conceito de inteligência é evocado, procuramos mostrar que diferentes situações de comunicação conduzem à formação de diversas representações da inteligência. Além disso, os resultados sugerem que as representações formadas em situação de comparação social são ancoradas, por um lado, no sistema de pensamento do grupo com que os indivíduos se identificam e, por outro nas situações percepcionadas como relvantes para difrenciar o grupo de pertença do grupo esterior.


ABSTRACT

The presente studies aim to illustrate the dynamics of social représentations. In varying the contexts in which the concept of intelligence is evoked, we attempt to show that different conununication settings lead to the formation of different représentations of intelligence. Moreover, our results suggest that the représentations which are formed in social comparison situations are anchored both in the thought system of the group with which individuais indentify, and in the dimensions perceived as relevant to intergroup differentiation.


 

Alors que les psychologues limitent souvent leurs travaux sur l'intelligence à l'étude des aptitudes cognitives, les recherches sur les théories implicites de l'intelligence révèlent que les définitions courantes incluent également de nombreuses compétences de nature sociale (Berry, 1984; Stemberg, Conway, Ketron et Bemstein, 1981). Les définitions recueillies montrent en outre que les conceptions des individus ne sont pas aléatoires mais qu'elles sont déterminées par leurs groupes sociaux d'appartenance (Goodnow, 1981; Fry, 1984; Poeschl, Doise etMugny, 1985). Ce sont des représentations sociales, c'est-à-dire des çonstructions mentales élaborées collectivement lors des interactions de groupe. A ce titre, les conceptions des individus ont de nombreuses conséquences: elles sont à Porigine d'attentes, de jugements spécifiques, elles expliquent et orientent les attitudes et les comportements, elles conduisent à valoriser des pratiques et des objectifs différents (Fry, 1984; Mugny et Carugati, 1985; Goodnow et al., 1985; Faria et Fontaine, 1993).

En considérant les conceptions de l'intelligence comme des représentations sociales, nous pouvons aussi chercher à montrer que les différences observées peuvent être attribuées au processus d'ancrage.

Représentations sociales et processus d'ancrage

La notion de représentation sociale développée par Moscovici (1961,1976) s'applique à la description de constructions mentales créées par le canal de la communication. Marquées par le système de valeurs du groupe social qui les élabore, elles contribuent à lui donner une identité qui le différencie des autres groupes (Herzlich, 1969; Chombart de Lauwe, 1984a; Emler et Dickinson, 1985). Dans la mesure ou elles permettent aux groupes de se positionner les uns par rapport aux autres, les représentations sociales révèlent et orientent les relations qu'ils entretiennent (Abric, 1984; Jodelet, 1984; Kaés, 1968).

Selon Moscovici (1961, 1976), le processus d'ancrage sous-tend la formation des représentations sociales. II nous permet de classer dans notre réseau de catégories une notion abstraite, dont la signification ne va pas de soi, en la rattachant àunou plusieurs éléments qui servent de points de référence. Ceux-ci déterminent non seulement la structure de notre représentation mais aussi la nature des liens que nous entretenons avec l'objet représenté. C'est parce que les éléments utilisés pour opérer la catégorisation sont sélectionnés en fonction des normes du groupe (Moscovici, 1984) que Forganisation de nos concepts est marquée par nos insertions sociales.

Les représentations que nous formons à propos de divers objets sociaux ne sont toutefois pas des constructions mentales stables et elles peuvent se modifier sous l'influence de différents facteurs. Guimelli (1988), par exemple, a mis en évidence l'effet qu'un changement dans les pratiques sociales d'un groupe entraine sur ses représentations (voir aussi Guimelli et Jacobi, 1990; Flament, 1989). Cet auteur a ainsi montré comment Tadoption, par un groupe de chasseurs, de nouvelles pratiques écologiques a modifié leur représentation de la chasse et de la nature.

Par ailleurs, Mugny et Carugati (1985) ont observé qu'une transformation de nos représentations peut résulter d'un conflit d'identification sociale. Ayant constaté l'effet de l'expérience parentale sur la représentation de l'intelligence, ils ont montré comment celle-ci est réorgânisée par des parents qui sont aussi enseignants, ou des mères qui sont aussi actives professionnellement. Pour Mugny et Carugati (1985; voir aussi Vala, 1993; Amaral, 1996), les représentations sociales se structurent pour remplir une double fonction: "Wune part la construction d'un univers social mentalement intelligible et cohérent, et d'autre part l'élaboration d'une identité sociale et personnelle gratifiante..." (p. 183).

Enfin, selon Doise (1985; 1990) nous transformons également nos représentations parce que nous appartenons à plusieurs groupes sociaux et qu'un même objet peut être évoqué dans des situations qui rendent Fun ou Fautre plus particulièrement saillant. Pour cet auteur, nous produisons des représentations spécifiques à chaque fois que nous sommes amenés à nous exprimer sur un objet socialement pertinent en nous identifiant à Fune des catégories sociales auxquelles nous appartenons.

Les études que nous avons réalisées ont eu précisément pour objectifs de montrer les variations qui interviennent dans l'organisation du concept d'intelligence lorsque celui-ci est évoqué dans différentes situations de comparaison sociale, et d'identifier les processus à l'origine de ces variations. Pour tenter de répondre à ce second objectif, il nous a paru judicieux d/examiner comment sont décrits, en psychologie cognitive et en cognition sociale, les processus qui soustendent l'organisation des catégories d'objets ou de personnes.

Processus cognitifs et organisation catégorielle

L'étude de l'organisation cognitive des catégories a attiré, depuis quelques artnées déjà, l'attention des chercheurs qui s'intéressent aux représentations sociales (Arcuri, 1985; Semin, 1989). Anotre connaissance, ceux-ci se sont cependant limites à intégrer dans leurs travaux les modèles de la prototypie issus des travaux de Rosch (1973; 1975, par exemple), en insistant complémentairement sur la nature socio-affective des facteurs qui déterminent la sélection des traits et des exemplaires prototypiques et sur les finalités de l'organisation de la connaissance sociale.

Les développements plus récents apportés aux théories cognitivistes proposent toutefois une série d'explications pour rendre compte des différences qui apparaissent dans l'organisation cognitive des catégories. Ainsi, les travaux sur l'instabilité des concepts suggèrent que ceux-ci sont formés de deux types de propriétés, qui constituent deux sources d'instabilité (Barsalou, 1982; 1987). Ils distinguent, d'une part, les "propriétés indépendantes du contexte" qui découlent de l'expérience des individus avec les éléments des catégories, et qui sont donc à borigine de différences aussi bien inter-individuelles qu'intra-individuelles, et, d'autre part, les "propriétés dépendantes du contexte", qui n'interviennent que lorsque le contexte les rend accessibles,1 et qui entrainent de ce fait des variations importantes dans l'organisation conceptuelle.

La notion d'accessibilité à laquelle ces auteurs se réfèrent est par ailleurs largement utilisée pour expliquer les différences qui résultent du traitement de l'information sociale: Pour les socio-cognitivistes en effet, un premier facteur de variabilité est lié aux expériences, aux attentes et aux buts de l'individu qui rendent une catégorie donnée plus rapidement apparente, ou accessible. Un second facteur de variabilité provient de la situation dans laquelle le traitement de l'information s'opère, puisque les caractéristiques situationnelles peuvent mettre plus particulièrement en évidence certains attributs d'un objet (Higgins et King, 1981).

Selon ces perspectives, l'organisation de la connaissance dépend donc aussi bien de l'individu que du contexte. En se référant aux études sur les concepts conjoints, Barsalou (1987) suggère que les concepts élaborés dans une situation donnée pourraient résulter de la combinaison de la représentation de la catégorie avec celle du contexte. Or, les travaux sur les combinaisons de concepts semblent indiquer qu'un concept (concept conjoint) qui résulte de la combinaison de deux concepts (concepts constituants)2 réunit les attributs importants de chacun des constituants, intègre les attributs nécessaires et exclut les attributs impossibles pour l'un ou l'autre des constituants (Hampton, 1987; 1988).

Dans la mesure ou les représentations sociales sont des formes d'organisation de la connaissance sociale, il nous parait légitime de considérer également que les différences qu'on peut observer dans les représentations formées à propos d'un objet social donné proviennent aussi bien des individus que des contextes dans lesquels l'objet est évoqué. Dès lors, en articulant les perspectives cognitivistes avec celle des représentations sociales, nous pouvons nous attendre à ce que la représentation d'un objet formée en situation de comparaison sociale résulte de la combinaison de la représentation de l'objet avec celle des groupes rendus saillants par la situation. Cette représentation devrait ainsi être marquée aussi bien par son ancrage dans le système de pensée du groupe auquel l'individu s'identifie que par son ancrage dans les dimensions qu'il perçoit comme pertinentes pour différencier le groupe d'appartenance du groupe externe.

Afin de vérifier ces prédictions, nous avons demandé à nos sujets de définir l'intelligence en induisant différentes situations de comparaison sociale (Poeschl, 1992). Nous présenterons ici deux études: dans la première, il a été demandé aux sujets de s'exprimer sur les définitions de l'intelligence de deux groupes qui occupent des fonctions dans le milieu scolaire: les psychologues et les pédagogues; dans la seconde, les sujets ont été invités à décrire les intelligences masculine et féminine.

Etude 1 / Représentations de l'intelligence en milieu scolaire

Dans cette première étude, nous avons demandé à quatre groupes de sujets (des apprentis, des élèves, des enseignants et des adultes non-enseignants) de nous donner leur définition de l'intelligence. La position de ces groupes dans la structure scolaire devait, à notre avis, entrainer des différences d'opinion à propos de certaines valeurs que l'école transmet, modulant leur représentation de l'intelligence. Par ailleurs, nous avons également demandé aux sujets de se prononcer sur les définitions qu'ils attribuent aux membres de deux groupes professionnels avec qui ils interagissent — ou ont interagi — dans le cadre scolaire: les psychologues et les pédagogues.

De façon générule, nous avons ainsi cherché à vérifier les trois points suivants:

a) les représentations des différents groupes sociaux sont ancrées dans leur système de valeurs, qui résulte de la position que ces groupes occupent dans la structure sociale;

b) l'adoption d'une opinion spécifique à propos d'un objet social donné n'implique nullement de considérer celle-ci comme imiversellement partagée. Au contraire, l'évocation de groupes particuliers peut induire un processus de catégorisation rendant saillantes certaines de leurs caractéristiques qui marquent la façon de penser qui leur est attribuée;

c) les différences qui ressortent d'une comparaison entre les représentations des individus et celles qu'ils attribuent aux membres d'autres groupes révèlent les stratégies adoptées pour différencier le groupe d'appartenance des groupes externes.

Méthode

Sujets

Notre échantillon se compose de 176 sujets de la région genevoise: 67 adultes, dont 40 enseignants et 27 non enseignants, et 109 jeunes, dont 56 apprentis et 53 élèves du niveau secondaire.

Questionnaire

L'étude a été effectuée par questionnaire. Celui-ci contenait une liste de 32 définitions, dont 28 provenaient de catégories obtenues lors d'une enquête préliminaire (Poeschl et al., 1985) et quatre du facteur verbal mis en évidence par Stemberg et ses collègues (1981). Pour chacun de ces items, il était proposé trois échelles allant de -3 (pas du tout important) à +3 (très important), recodées par la suite de um à sete. Les sujets devaient évaluer Pimportance des traits pour a) leur propre définition de l'intelligence, b) la définition de l'intelligence qu'ils prêtent aux psychologues,, et, c) la définition de l'intelligence qu'ils attribuent aux pédagogues. L'ordre de présentation des items était identique pour tous les questionnaires.

Procédure

Les adultes, recrutés de façon informelle, ont rempli les questionnaires à leur convenance, tandis que les jeunes ont complété leurs exemplaires pendant une heure régulière d'enseignement.

Résultats et discussion

Représentation des sujets

Une analyse factorielle en composantes principales a été effectuée sur les réponses des sujets relativement à leur définition de l'intelligence. Elle fait ressortir six facteurs principaux, qui ont une valeur propre supérieure à un. Le tableau 1 présente les intitulés de ces facteurs, le pourcentage de variance qu'ils expliquent, ainsi que les évaluations moyennes qui leur ont été portées, calculées à partir des items présentant des saturations supérieures ou égales à. 50.3

 

 

L'analyse met en évidence des dimensions clairement définies, et on peut observer que les sujets donnent les plus fortes moyennes à la motivation et au savoir, à la créativité, ainsi qu'aux activités cognitives. Ils attribuent une importance moindre aux aptitudes sociales, aux activités socio-culturelles et à la sociabilité, tandis qu'ils portent les plus faibles évaluations aux aptitudes et à la réussite scolaires.

Pour vérifier l'effet de l'insertion scolaire sur la représentation formée, nous avons constitué quatre groupes de sujets: les jeunes ont été divisés selon qu'ils soient apprentis — c'est-à-dire marginalisés par le système scolaire —, ou élèves du niveau secondaire — à savoir insérés dans une filière donnant accès aux études universitaires. Les adultes ont été séparés en fonction du fait qu'ils soient ou non enseignants.

L'analyse de variance effectuée sur les scores factoriels moyens des quatre groupes de sujets indique que ceux-ci se différencient sur trois dimensions de leur conception de l'intelligence (voir tableau 2).

 

 

On constate ainsi que les apprentis donnent plus d'importance que les autres sujets (p<0,050 selon le test de Duncan) aux activités socio-culturelles et à la sociabilité. Les élèves du niveau secondaire considèrent par contre davantage les aptitudes et la réussite scolaires comme une dimension importante de l'intelligence. Ce faisant, ils se distinguent des enseignants (p<0,050 selon le test de Duncan) qui sont davantage enclins à minimiser le lien entre études et intelligence.

Le groupe formé par les adultes non enseignants ne constitue pas une catégorie suffisamment homogène pour présenter un point de vue spécifique par rapport aux dimensions mises en évidence, mais les deux groupes d'adultes (enseignants et non enseignants) se distinguent de l'ensemble des jeunes (p<.050 selon le test de Duncan) en accordant une plus grande importance aux activités cognitives.

Conformément à nos prévisions, les représentations de l'intelligence formées par les sujets sont marquées par le système de pensée des groupes auxquels ils appartiennent, qui découle de la position de ces groupes dans le système scolaire. Elles valorisent aussi des dimensions qui leur permettent de conserver une identité sociale positive: les apprentis, qui ne peuvent accorder trop d'importance aux compétences scolaires ou intellectuelles en raison de leurs échecs successifs à l'école, valorisent les activités socio-culturelles et la sociabilité; par contre, les étudiants qui investissent dans les études donnent de la valeur aux aptitudes et à la réussite scolaire. Quant aux adultes, ils peuvent sans autre affirmer l'importance des activités cognitives, puisque l'école ne peut plus les évaluer.

Représentations attribuées aux psychologues et aux pédagogues

Deux analyses factorielles en composantes principales ont également été effectuées sur les réponses attribuées par les sujets aux psychologues et aux pédagogues. Elles mettent aussi en évidence six facteurs principaux ayant une valeur propre supérieure à un. Les intitulés de ces facteurs, le pourcentage de variance qu'ils expliquent et les évaluations moyennes qui leur ont été portées (calculées à partir des items présentant des saturations supérieures ou égales à 0,50) sont également présentés dans le tableau 1.

Un examen du tableau 1 permet tout d'abord de vérifier que les Solutions factorielles dégagées par les trois analyses ne sont pas identiques, montrant que les sujets associent à chaque groupe professionnel une conception de l'intelligence spécifique, et différente de leur propre définition.

Par ailleurs, les positions occupées par les psychologues et les pédagogues dans le système scolaire marquent les représentations de l'intelligence qui leur sont attribuées. Toutes deux s'organisent autour d'un premier facteur qui non seulement réunit des items fortement évalués, mais explique aussi une part importante de la variance. Une bonne connaissance de soi constitue une dimension particulièrement saillante de la représentation de l'intelligence attribuée aux psychologues, tandis que la dimension la plus centrale de la conception attribuée aux pédagogues englobe les items relatifs à la motivation et aux aptitudes scolaires, à l'exception des variables évoquant la réussite scolaire.

Enfin, on peut remarquer que les sujets sont d'avis que les membres des deux groupes professionnels attribuent plus d'importance au bon sens et à la réussite scolaire qu'aux aptitudes sociales et aux activités socio-culturelles.

L'analyse de variance effectuée sur les scores factoriels moyens des quatre groupes de sujets indique que ceux-ci se différencient sur deux dimensions des conceptions de l'intelligence attribuées aux psychologues.

Tout d'abord, les enseignants estiment que les psychologues accordent moins d'importance aux aptitudes escolaires que tous les autres sujets (apprentis: +0,29; étudiants: +0,20; enseignants: -0,67; non enseignants: -0,02; F(3;172)=9,47; p<0,001). D'autre part, les apprentis considèrent, plus que tous les autres sujets, que les psychologues accordent de 1'importance aux activités socio-culturelles (apprentis: +0,34; étudiants: -0,07; enseignants: -0,17; non enseignants: -0,33; F(3;172)=3,84; p=0,011).

Ces résultats suggèrent que les sujets ont des représentations différentes des psychologues qui découlent des relations qu'ils entretiennent avec ce groupe, ou les expliquent. Ainsi, les tensions qui semblent exister entre psychologues et pédagogues (Poeschl, 1984), se reflètent dans les réponses des enseignants, puisqu'ils considèrent que les psychologues accordent peu d'importance aux aptitudes que leur groupe professionnel cherche à développer. Au contraire, les apprentis paraissent entretenir de bonnes relations avec les psychologues dans la mesure ou ils estiment que ces spécialistes valorisent une dimension de l'intelligence qu'euxmêmes jugent importante.

Par contre, l'analyse de variance ne montre aucune différence entre les quatre groupes de sujets sur les dimensions de la représentation attribuée aux pédagogues. Même les sujets enseignants semblent ainsi partager la représentation stéréotypée de cette catégorie professionnelle que génère sa position dans l'institution scolaire.

Conformément à nos attentes, la représentation des deux groupes professionnels structure les représentations de l'intelligence qui leur sont attribuées. Ces représentations, différentes de celle des sujets, reflètent la position des spécialistes dans le système scolaire. Une comparaison des réponses des quatre groupes de sujets suggèrent en outre que ceux-ci ont des représentations différentes des psychologues, mais non des pédagogues.

Stratégies de différenciation

Une comparaison des évaluations portées par les quatre groupes de sujets aux différentes dimensions des représentations attribuées aux psychologues et aux pédagogues ne nous renseigne pas précisément sur les stratégies adoptées par les sujets pour se différencier des deux groupes professionnels, bien qu'elle nous donne des indications dans ce sens. Une comparaison des facteurs n'étant pas possible, nous présentons, dans le tableau 3, les moyennes attribuées par les quatre groupes de sujets aux 32 items du questionnaire,4 selon qu'ils expriment leurs propres opinions ou celles des psychologues et des pédagogues. Nous indiquons également les résultats de l'analyse de variance intra-sujets, et les paires de moyennes significativement différentes selon le test du t de Student.

 

 

On constate que, dans l'ensemble, les sujets se différencient principalement des deux groupes de spécialistes par le fait qu'ils estiment valoriser plus qu'eux la motivation et le savoir, ainsi que les activités socio-culturelles et la sociabilité. Ils se distinguent en outre des pédagogues en accordant une plus faible valeur aux aptitudes et à la réussite scolaires, tout comme aux activités cognitives. Ces deux dimensions semblent par ailleurs particulièrement s'appliquer à la représentation des pédagogues puisque, selon nos sujets, elles les différencent également des psychologues.

Conformément à nos prévisions, des stratégies sont donc explicitement adoptées par les quatre groupes de sujets pour se différencier des deux groupes de spécialistes.

Si nous inférons les opinions des gens à partir de leur position sociale, il est aussi probable que nous définirons l'intelligence des individus sur la base de ces positions. C'est ce que nous avons cherché à vérifier dans l'étude suivante.

Etude 2 / Représentations des itelligences masculine et féminine

Dans cette seconde étude, nous avons demandé à nos sujets de décrire successivement l'intelligence en général, l'intelligence masculine et l'intelligence féminine. Contrairement à la procédure utilisée dans l'étude que nous venons de présenter, où nous avons inféré l'identification des sujets avec les groupes constitués, nous avons, dans cette étude, induit explicitement une comparaison entre groupes sexuels. Le processus de catégorisation activé devait, selon la théorie de l'identité sociale (Tajfel, 1978; Tajfel et Turner, 1986, par exemple), nous permettre de vérifier que:

a) les représentations des intelligences masculine et féminine se distingueront de la représentation de l'intelligence en général, par un ancrage sur les caractéristiques perçues comme pertinentes pour différencier les deux groupes sexuels; ces représentations refléteront ainsi la position asymétrique des deux groupes dans la société;

b) une Identification des sujets masculins et féminins à leur catégorie d'appartenance entrainera une valorisation des caractéristiques du groupe d'appartenance; ce faisant, les représentations justifieront les différences de position des groupes dans la hiérarchie sociale.

Méthode

Sujets

L'échantillon se compose de 56 personnes, 28 hommes et 28 femmes de la région genevoise, dont l'âge varie entre 17 et 78 ans, avec une moyenne de 33 ans.

Questionnaire

L'étude a été effectuée par questionnaire. Celui-ci était composé de trois parties, portant respectivement sur l'intelligence en général, l'intelligence masculine et l'intelligence féminine. Chaque partie comportait la même liste de 34 items qui avaient été recueillis dans une enquête préliminaire par associations libres (voir Poeschl, 1992). Les sujets devaient évaluer l'importance de chacun des traits pour la définition des trois formes d'intelligence sur une échelle à sept points allant de -3 (pas du tout important) à +3 (très important), recodés par la suite de un à sept. L'ordre de présentation des trois parties était contrebalancé.

Procédure

Les sujets ont été interrogés individuellement par des étudiants participant à la recherche. Avant de remplir le questionnaire, ils devaient répondre à un entretien structuré, qui portait sur l'une des trois cibles (homme intelligent, femme intelligente, quelqu'un d'intelligent), et qui avait pour objectif de centrer plus particulièrement leur attention sur les caractéristiques propres à l'un des stimuli.

Résultats et discussion

Représentation de l'intelligence en général, de l'intelligence masculine et de l'intelligence féminine

Nous avons à nouveau effectué trois analyses factorielles en composantes principales sur les réponses relatives aux trois stimuli. Pour chacune des analyses, nous avons conservé les cinq premiers facteurs, qui ont une valeur propre supérieure à 1,8. Le tableau 4 présente les intitulés de ces facteurs, les pourcentages de variance qu'ils expliquent, ainsi que l'évaluation moyenne qui leur a été portée, calculée à partir des items présentant des saturations supérieures ou égales à 0,50.

 

 

Toutes les dimensions qui étaient apparues dans notre première étude ne ressortent évidemment pas ici puisque les deux questionnaires ne contenaient pas les mêmes propositions. Ainsi, on ne retrouve pas les activités socio-culturelles et les références au domaine scolaire, qui étaient des dimensions surtout pertinentes pour les jeunes interrogés dans le cadre de leur formation. Pour le reste, les dimensions mises à jour sont communes aux deux études, même si elles ne comprennent pas les mêmes items. C'est ainsi qu'on retrouve la motivation, le savoir, les aptitudes sociales et les mécanismes cognitifs, de même que la réussite professionnelle et le bon sens, qui étaient apparues dans les représentations attribuées aux pédagogues ou aux psychologues. L'adjonction de nouveaux items ne fait donc ressortir, en définitive, que trois nouvelles dimensions relatives aux dons, à la réussite sociale et au charme personnel. Par ailleurs, comme dans notre première étude, les facteurs qui font référence à la motivation et aux mécanismes cognitifs recueillent généralement des moyennes plus élevées que les autres dimensions.

Une comparaison des différentes représentations formées montre que l'intelligence masculine comporte un facteur qui lui est spécifique, la réussite sociale, qui regroupe des attributs traditionnellement attribués aux hommes. De même, l'intelligence féminine comprend une dimension qui lui est spécifique, le charme et la féminité.

Conformément à nos attentes, les représentations des intelligences masculine et féminine sont donc organisées en fonction d'attributs permettant de différencier les deux groupes sexuels. Dans la mesure ou ces attributs sont liés à la position occupée par les groupes dans la société, les représentations formées reflètent tout naturellement les structures sociales: la réussite sociale est une dimension de la représentation de l'intelligence masculine, mais n'apparait pas dans la représentation de l'intelligence féminine. Celle-ci inclut par contre une dimension de faible prestige social, le charme et la féminité.

Différences représentationnelles en fonction de l'appartenance sexuelle des sujets

Pour vérifier l'effet de l'appartenance sexuelle sur les représentations constituées, nous avons comparé les réponses des sujets masculins avec celles des sujets féminins. L'analyse de variance effectuée sur les scores factoriels moyens des deux groupes ne révèle aucune différence dans la description de l'intelligence en général. Par contre, les sujets masculins se distinguent des sujets féminins sur deux dimensions de l'intelligence masculine et sur une dimension de l'intelligence féminine.

Ainsi, lorsqu'ils décrivent l'intelligence masculine, les sujets féminins accordent plus dTmportance que les sujets masculins à la réussite sociale (hommes: -0,34; femmes: +0,34; F(1,54)=7,25 et p=0,005), c'est-à-dire à la dimension typique de cette représentation, ainsi qu'à la motivation et aux mécanismes cognitifs (hommes: -0,36; femmes: +0,36; F(1,54)=8,31 et p=0,006) qui, probablement, soustendent la réussite sociale. L'image d'un homme qui domine aussi bien dans le domaine intellectuel que dans L'organisation sociale marque donc tout particulièrement la représentation de l'intelligence masculine élaborée par les sujets féminins, qui semblent être restés sensibles au role de chef traditionnellement attribué à Phomme dans notre société.

Par ailleurs, ce sont encore les sujets féminins qui valorisent davantage que les sujets masculins la dimension typique de l'intelligence féminine, soit le charme et la féminité (hommes: -0,27; femmes: +0,27; F(1,54)=4,29 et p=0,043). Ce résultat semble illustrer un des modes de représentation des dominés repérés par Chombart de Lauwe (1984b): l'inversion. Dans ce mode de représentation, des attributs différents de ceux qui caractérisent les dominants "subissent une idéalisation déréalisante qui donne un prestige à la catégorie dominée dans l'imaginaire, mais non dans la société réelle" (p. 878).

Selon nos prévisions, une identification des sujets à leur catégorie sexuelle d'appartenance entraine des différences dans leur représentation des deux formes d'intelligence. Ces différences révèlent toutefois que, contrairement à nos attentes, seuls les sujets féminins valorisent davantage les caractéristiques de leur groupe d'appartenance. Par ailleurs, les femmes accordent aussi plus d'importance aux caractéristiques masculines, ce qui suggère que, paradoxalement, elles adhèrent plus que les hommes au système de valeurs qui a traditionnellement servi à assigner la place des deux groupes dans la société. Ces résultats illustrent clairement comment les représentations sociales reflètent, donc justifient, les différences de position des groupes dans la hiérarchie sociale, contribuant ainsi au maintien de l'ordre établi.

Conclusion

Les études que nous avons présentées ont cherché à illustrer un aspect particulier du dynamisme des représentations sociales, en observant les variations qui interviennent dans les représentations de l'intelligence lorsqu'elles sont formées dans différentes situations de comparaison sociale. En se référant aux travaux des psychologues cognitivistes, nos études ont illustré différents aspects du processus d'ancrage. Tout d'abord, elles ont mis en évidence le role de ce processus dans la formation des représentations sociales, en révélant que différentes conceptions de l'intelligence sont élaborées par des groupes occupant différentes positions dans la structure sociale. Par ailleurs, elle ont montré que des représentations spécifiques de l'intelligence sont formées lorsqu'elles sont associées à des groupes particuliers, et que les transformations opérées résultent de la représentation que les individus ont de ces groupes. Enfin, elles ont révélé que les différentes représentations formées sont ancrées dans des dimensions perçues comme pertinentes pour différencier le groupe d'appartenance des groupes externes.

Ces études nous ont encore permis de mettre en évidence un effet peu visible mais important des représentations sociales, en montrant comment ces représentations contribuent au maintien de l'ordre établi alors qu'elles permettent aux groupes de préserver leur identité sociale positive.

 

References

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Notes

1Comme, par exemple, lorsque "flotter" devient une propriété des bailes de basket, dans le contexte d'une noyade.

2Des jeux qui sont aussi des sports, par exemple.

3La composition complète des facteurs est présentée dans le Tableau 3.

4Regroupés selon les dimensions extraites par Tanalyse factorielle sur les définitions des sujets

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