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Revista Diacrítica

versão impressa ISSN 0807-8967

Diacrítica vol.26 no.1 Braga  2012

 

Éléments de réflexion sur la problématique générale de la thématisation dans le cadre de la théorie d’Antoine Culioli

Sílvia Lima Gonçalves Araújo*

*Universidade do Minho

saraujo@ilch.uminho.pt

 

RÉSUMÉ

Si les concepts de thème et rhème, définis comme «ce à propos de quoi on dit quelque chose»/«ce qu’on en dit», semblent convenir parfaitement à l’analyse d’un énoncé aussi simple que (i) mon père a une moto hyper-rapide, ils rencontrent des difficultés dès qu’il s’agit d’énoncés plus complexes, tels que (ii) moi, mon père, il a une moto hyper-rapide. Si l’on veut pouvoir décrire la structure informative de ces énoncés, il est important de comprendre que ce que les linguistes appellent communément thème, en parlant de thématisation, correspond, en réalité, à deux types de repère: le terme de départ qui est le thème au niveau prédicatif (c’est ce par rapport à quoi on se situe en prédiquant ce que l’on prédique) et le repère constitutif qui est le thème au niveau énonciatif (c’est ce par rapport à quoi on se situe en énonçant ce que l’on énonce). La situation la plus simple est celle où ces deux types de repère coïncident, tel est le cas dans l’exemple (i). Mais, comme nous tâcherons d’en rendre compte, ces deux repères peuvent fort bien ne pas coïncider. C’est ce qui se passe notamment dans des structures mettant en place un repère constitutif marqué séparément qui vient coiffer le terme de départ, comme en (ii). En fait, ce que nous tenons à montrer, c’est qu’il est possible de mieux déterminer ce que l’on a coutume d’appeler thème en faisant appel aux concepts culioliens de repérage et de repère.

Mots-clés: orientation, thème, premier argument, repère prédicatif, repère constitutif.

 

ABSTRACT

If the concepts of theme and rheme, defined as «the subject you say something about»/ «what you say about it», seem to fit perfectly within the analysis of a state-ment as simple as (i) mon père a une moto hyper-rapide, they meet dificulties as soon as they come across more complex statements, such as (ii) moi, mon père, il a une moto hyper-rapide. If you want to be able to describe the informative structure of these statements, it’s important to understand that what linguists commonly call theme, speaking about thematization, corresponds, in reality, to two types of loca-tor: the starting term which is the theme in the predicative level (it’s the position you take while predicting what you predict) and the constitutive locator which is the theme at the enunciative level (it’s the position you take stating what you state). The easiest situation is where these two locators coincide, as in example (i). But, as we will try to point out, these two locators may very well not coincide. It’s especially what happens in structures putting in place a constitutive locator marked sepa-rately, which adopts the starting term, as in (ii). In fact, what we’re anxious to show, is that it’s possible to better determine what we normally call theme by referring to Culiolien concepts of location and locator.

Keywords: orientation, theme, first argument, starting term, constitutive locator.

 

1. Introduction

L’un des concepts fondamentaux du cadre théorique culiolien est celui de notion (Culioli, 1982: 8). Tout individu ou groupe d’individus appréhende la réalité extralinguistique et la découpe en fonction de son expérience, de son environnement et de sa culture[1]. Il en tire des notions dites primitives qu’il traduit en sons, puis en mots écrits. Celles-ci appartiennent donc au niveau des représentations mentales (i.e., au domaine cognitif et non pas linguistique).

Ce qui retiendra, tout particulièrement, notre attention, dans les pages qui suivent, ce sont plutôt les relations entre les notions elles-mêmes. Culioli (1976: 40) pose qu’à partir des systèmes de représentations que constituent les notions, et donc les unités lexicales qui les articulent, on peut dégager une liste finie de relations, dites primitives, qui “auraient un statut fondamental dans les opérations de construction de valeurs référentielles et dans le fonctionnement des catégories grammaticales”. Nous allons voir maintenant de quelle façon on peut mettre en œuvre un système d’écriture qui permette de rendre compte des opérations de construction de l’énoncé, et plus spécifiquement, de l’orientation diathétique (nous empruntons ce terme à Desclés et Guentchéva, 1993: 83) du prédicat qu’un co-énonciateur reconstruit derrière la pluralité des structures linguistiques.

2. Description des opérations constitutives d’un énoncé

Mais nous tenons, tout d’abord, à donner un aperçu des opérations constitutives d’un énoncé, suivant le modèle théorique élaboré par Culioli, ce qui nous permettra de rendre compte de leur complexité. Notre démarche est celle que formule Culioli (1976: introduction): “une démarche qui tend, par le fait qu’elle est de type heuristique, vers une construction montrant, étape par étape, comment se constitue un système de représentations qui permet de former des relations prédicatives et par là, des énoncés.” Précisons, d’ores et déjà, que le cadre théorique dans lequel nous avons choisi de nous placer nous permet de partir d’un schéma vide, non orienté linéairement, mais qui constitue un ordre. Dans la mesure où ce schéma abstrait “à la fois contenu propositionnel et schéma vide” (Culioli, 1985: 74) se situe en dehors du positionnement linéaire de surface, il évite l’écueil classique de la correspondance entre le schéma profond et le schéma de surface: l’écriture habituelle, qui ne dispose que d’un seul procédé, la concaténation de gauche à droite, évite d’avoir à distinguer l’ordre profond du positionnement de surface. Voilà pourquoi, nous nous démarquons de l’héritage des grammaires traditionnelles mais aussi des théories plus récentes qui traitent les phénomènes observables en surface comme des remaniements mineurs qui n’affectent l’ordre des constituants que dans un but rhétorique.

2.1. Opérations prédicatives

La théorie des opérations prédicatives et énonciatives de A. Culioli (T.O.P.E., en abrégé) décrit la façon dont les énoncés se constituent à partir d’opérations imbriquées.

2.1.1. ‘Relation primitive’, ou relation ordonné

Nous allons essayer de montrer comment à partir d’un même schéma abstrait (que Culioli, 1976: 64 et 76) appelle schéma de lexis), il est possible de ramener à une série d’opérations homogènes plusieurs phénomènes qui se manifestent à la surface. Brièvement, le schéma que nous venons de mentionner est un schéma vide reliant une place de départ ξο à une place d’arrivée ξ1 par l’intermédiaire de π(Culioli, 1976: 83), selon la formule:

< ξο ξ1 π >

Au niveau de l’instanciation[2], ces places vont se trouver remplies par des unités lexicales qui, du fait de leur insertion dans le schéma, se trouvent, elles aussi, ordonnées mais non orientées. On écrit

ξο ξ1 π
a b r

Les unités lexicales symbolisées par a, r et b ont des propriétés primitives (animé humain/non humain/inanimé, prédicat à n-places, entres autres) qui, comme le remarque à juste titre Gauthier (1981: 223), “s’ordonnent les unes par rapport aux autres en fonction de critères qui ne sont ni linguistiques, ni spécifiquement langagiers, mais qui incluent certains aspects de la connaissance du monde” (cf. Culioli, 1976: 40)[3]. De l’association qu’on pose entre des termes à ce niveau surgissent un ordre et un sens. Par exemple, entre Jean et linge, la relation est immédiatement perçue comme allant du laveur vers le lavable en ce sens où si l’on a «un laveur» et «du linge», dans quelque langue que ce soit, c’est le laveur qui lave le linge et non pas l’inverse. Cette relation va s’effectuer au moyen d’un relateur, la notion de lavage:

< Jean laver le linge >
a r b
lav-eur lav-age lav-able

Jean lave le linge pose Jean comme source de la relation, linge comme but de celle-ci, et laver comme relateur. Culioli (1971: 9; 1982: 8-9) appelle “relation primitive”[4] la relation entre une source et un but et la note a p b: “la relation primitive est ordonnée[5] au sens où si par exemple, on a “un berger” et des “moutons”, dans quelque langue que ce soit, c’est le berger qui conduit les moutons et non pas l’inverse” (1976: 156). Ce sont ces associations données (entre laveur/linge; berger/moutons, joueur/jeu, par ex.) qui vont permettre de construire l’énoncé et de le rendre interprétable. Mais le producteur de l’énoncé, l’énonciateur, a cependant une certaine latitude, un degré de liberté qui fait que la production d’énoncés n’est pas un procédé mécanique de génération de parties de discours dont les relations auraient été préétablies.

Comme nous le verrons, la diathèse passive donne justement la liberté (mais pas totale, sous certaines contraintes) d’organiser l’ordre linéaire de l’énoncé à l’inverse de la relation primitive. Bien entendu, un certain nombre d’ajustements va être nécessaire pour rendre l’énoncé intelligible. Avec les notions et les relations primitives, on a donc affaire dès le départ à des faisceaux de traits et de propriétés hybrides, qui déterminent entre les termes un ordre compatible avec plusieurs orientations de la relation prédicative, et qu’on ne confondra pas avec l’ordre linéaire des agencements de surface.

2.1.2. ‘Relation prédicative’, ou relation orientée, premier argument et terme de départ

Soulignons, tout d’abord, que l’instanciation des unités lexicales dans les places du schéma de lexis aboutit à la formation d’une relation prédicative ou lexis qui, définie par cet ordre “primitif,” est ensuite orientée (cf. Culioli, 1982: 9) à partir d’un premier argument, qui sera de façon privilégiée le complément de rang 0[6] (C0) de la notion-relateur ou prédicat au sens strict. En d’autres termes, construire une relation orientée entre un prédicat et deux arguments revient à prendre un terme dans une relation initialement ordonnée et à le poser comme premier argument de cette relation. Il est important de préciser que c’est cette orientation (du paquet de notions constituées en relation prédicative autour d’un premier argument) qui détermine le type de diathèse dans la mesure où le choix de premier argument[7] entre la notion source et la notion but de la relation primitive fera que l’on aura, entre autres cas de figure, une orientation active ou une orientation passive de la relation prédicative.

On peut choisir, en effet, comme premier argument ou C0:

- soit la notion source a de la relation primitive qui sera l’agent dans le cas d’une relation agentive (comme c’est le cas à l’actif);

- soit la notion but b, qui sera l’objet affecté ou effectué dans le cas d’une relation agentive (comme c’est le cas au passif).

L’actif prototypique fera coïncider la notion source, le premier argument et le terme de départ. Le passif, lui, fera coïncider la notion but, le premier argument et le terme de départ[8].

Après l’instanciation du schéma de lexis par les termes-notions de la relation primitive, nous obtenons donc une relation prédicative élémentaire (du type (*) <Jean – laver - linge>)[9] qui fonctionne comme une forme génératrice à partir de laquelle nous pouvons obtenir une famille paradigmatique d’énoncés apparentés:

(1a) Jean lave le linge

(1b) Jean a lavé le linge

(1c) le linge, Jean l’a lavé

(1d) c’est Jean qui a lavé le linge

(1e) Jean lave le linge!

ou bien encore:

(1f) le linge a été lavé

Chacun de ces énoncés se distingue des autres par des opérations de diathèse (active, passive, etc.), de thématisation, de détermination des arguments nominaux, par des différenciations aspecto-temporelles. Cependant, ces énoncés ont tous en commun un invariant prédicatif qui est la relation prédicative représentée par l’expression (*). Ces exemples montrent que l’orientation de la relation prédicative peut ne plus être la même que celle de la relation primitive: Jean lave/a lavé le linge [même ordre que celui du schéma-squelette]; le linge a été lavé [on ne dit pas qui l’a lavé; l’ordre est inversé]; le linge, Jean l’a lavé [on souligne l’objet du message en le préposant]. En effet, l’organisation syntaxique des énoncés (1a)-(1f) qui sont, entre eux, en relation paraphrastique varie en fonction du choix du terme de départ[10]à partir duquel s’organise la relation prédicative <Jean – laver - linge>: Jean en (1a) et (1b), le linge en (1f), et la relation non saturée préconstruite < ( ) r b > en (1d). En (1e), aucun des termes n’est distingué, la relation prédicative est bel et bien repérée en bloc par rapport à la situation d’énonciation.

Comme on peut le constater, le terme de départ peut coïncider avec C0, comme en (1a) ou (1b), ou non. Il se peut également que le terme de départ ne coïncide avec aucun des termes de la relation prédicative, comme en (1d), dont la représentation métalinguistique est la suivante: <<( ) laver linge> < linge ( ) laver linge>>[11]. En réponse à une question du type: qui a lavé le linge?, qui détermine quel doit être le terme de départ dans l’énoncé réponse, la glose métalinguistique de (1d) pourrait être la suivante: «sachant que quelqu’un (qui) a lavé le linge, «Jean» est, de la classe représentée par le marqueur qui, l’unique objet qui instancie la place non saturée et permet la validation de la relation prédicative» (Campos, 1993: 52).

La différence cruciale avec l’optique transformationnelle, c’est qu’aucune structure n’est posée comme initiale ou canonique. Même lorsque le terme de départ coïncide avec le terme-source de la relation primitive (tel est le cas des exemples (1a) et (1b) transcrits ci-dessus), il s’agit encore d’une structure dérivée, à savoir la construction dite «active» qui reprend l’ordre primitif et de ce fait paraît être plus simple et plus “naturelle”:

< a r b > (a est alors source et terme de départ et b est but et arrivée de la relation): “les énoncés de type actif se dériveront donc d’une formule dans laquelle le terme de départ coïncide avec le terme source de la relation primitive” (Culioli, 1976: 120).

Aussi cette construction est-elle attestée dans toutes les langues, et plus précocement acquise par l’enfant que les structures dites de passivation (cf. supra, ex. (1f)) qui inversent l’ordre sous-jacent en prenant pour terme de départ le terme-but de la relation primitive:

< a r b> ou bien < b ř a > (b peut être choisi comme terme de départ, mais il conserve son rôle de but). Au passif, la source de la relation prédicative peut ne peut être mentionnée du tout (ex. (1f) le linge a été lavé). Quand la source est mentionnée, c’est sous la forme d’un complément prépositionnel (ex. (1f’) le linge a été lavé par Jean).

Précisons, néanmoins, que le fait de thématiser le terme but de la relation primitive ne donne pas forcément lieu à une construction passive. En effet, si l’on observe l’énoncé (1c) le linge, Jean l’a lavé donné ci-dessus, on s’aperçoit qu’il présente une orientation diathétique active, bien que l’élément placé en tête d’énoncé (le linge) renvoie, à l’instar de l’exemple (1f) le linge a été lavé, au terme but de la relation primitive et non au terme source qui coïncide, dans ce cas, comme en (1a), avec ce qu’il est convenu d’appeler le «sujet», ou avec ce que Culioli désigne par complément de rang zéro[12]pour éviter toute interférence.

On aura bien compris que l’on peut, si l’on part, par exemple, de la relation prédicative <Pierre – savoir – le russe>, choisir comme terme de départ l’un des quatre types d’élément qui suivent:

1° le premier argument

(2a) Pierre sait le russe (sans plus)

Dans ce cas, Pierre, en tant que terme repéré par rapport à la propriété < ( ) savoir le russe >, est le premier argument. Le premier argument ou C0 qui correspond au sujet syntaxique est, on le voit, un terme repéré par rapport au prédicat. Mais c’est aussi par rapport à Pierre que se situe l’énoncé. A cet égard, Pierre est un repère, le repère au niveau prédicatif. À propos de Pierre qui est le repère, on dit qu’il sait le russe. Notons que le sens est que pour < ( ) savoir le russe >, il y a une valeur sans plus, Jean → quant à savoir le russe, Pierre remplit cette fonction; on ne se demande pas s’il y en a d’autres (on parle de valeur faiblement unique, une valeur «sans plus»).

2° le prédicat

Si l’on veut, au contraire, choisir < ( ) savoir le russe > comme terme de départ de la relation prédicative, on obtient, selon Caron (2000: 9) des énoncés du type:

(2b) il y a Pierre qui sait le russe

en réponse à une question telle que:

(2c) tu ne connaîtrais pas quelqu’un qui pourrait nous traduire cet article?

Dans ces deux exemples, ce qui sert de repère, c’est le prédicat < ( ) savoir le russe >, plus précisément on s’intéresse à la classe des termes pouvant instancier la parenthèse vide dans < ( ) savoir le russe >, et on dit qu’il y a une valeur du moins et qu’il y en a peut-être d’autres. Comme le note à juste titre Méry (2004: 33), on parle, dans ce cas, de valeur «en tout cas». Selon ce linguiste, on peut aussi avoir ici la valeur dite «entre autres» (il y a une valeur et il y en a d’autres).

En faisant appel à la construction clivée[13] correspondante:

(2d) c’est Pierre qui sait le russe

c’est à nouveau le prédicat, < ( ) savoir le russe >, qui est sélectionné comme terme de départ mais dans ce cas on s’intéresse à ce qui peut instancier la parenthèse vide dans < ( ) savoir le russe>, et on trouve une valeur et il n’y en a pas d’autres (on parle alors de valeur fortement unique, «une valeur et une seule» → c’est Pierre qui sait le russe et seulement lui).

3° la situation

Enfin, il se peut qu’aucun terme ne soit distingué comme terme de départ. C’est ce qui se passe avec un énoncé comme:

(3) m’man y’a Paul qui m’embête! (ex. de Caron, 2000: 9)

où la relation prédicative a r b (Paul, embêter, me) est repérée en bloc par rapport au repère situationnel dont nous parlerons ci-dessous. S’agissant de «Paul qui est en train de faire quelque chose (de m’embêter)», qui est le repère, je repère, en conférant à l’énoncé un contour prosodique exclamatif, le tout par rapport à la situation grâce à y’a (=il y a).

Il est donc bien clair que le terme de départ sert à indiquer:

  • soit que pour le prédicat choisi, on a en ce qui concerne le sujet, une valeur faiblement unique (cas 1: cf. supra, ex. (2a)), une valeur fortement unique (cas 2: cf. supra, ex. (2d)), une valeur parmi d’autres ou une valeur en tout cas (cas 2: cf. supra, ex. (2b)).
  • soit que la relation prédicative dans son ensemble est repérée par rapport à un tiers élément, qui peut être, soit la situation (cas 3: cf. supra, ex. (3)), soit, comme le verrons ci-dessous, un terme généralement, mais pas nécessairement, extrait de la relation prédicative elle-même (cf. infra, ex. (6d)).

Les cas de figure décrits en 2 (→ le prédicat fait fonction de repère) et en 3 (→ la situation fonctionne directement comme repère) nous permettent, à présent, de décrire et de mieux comprendre la différence entre les deux énoncés qui suivent:

(4) il y a mon sac qui est pratique

(5) il y a mon sac qui est troué!

En (4), c’est le prédicat être pratique[14] qui joue le rôle de premier repère (pour ce qui est d’être pratique, mon sac vérifie cette propriété, ce qui n’exclut pas que d’autres objets puissent également avoir cette propriété). On a donc affaire ici au deuxième des cas précédemment commentés à propos de (2b) (= valeur «en tout cas» ou «entre autres»). En (5), l’énoncé est, en revanche, prédiqué en bloc de la situation d’énonciation qui fonctionne directement comme terme de départ. Cet énoncé correspond à une forme exclamative, à une prise de conscience. Ce cas correspond donc au cas 3 présenté plus haut. Comme le remarque, à juste titre, Franckel (1989: 59) à qui nous empruntons les exemples (4) et (5), la détermination, dans un énoncé donné, du terme qui fait fonction de repère dépend manifestement de nombreux facteurs, essentiellement contextuels parmi lesquels les facteurs lexicaux jouent un rôle crucial.

4° un autre terme extrait ou non de la relation prédicative

Ce cas de figure permet d’obtenir des structures qui ne sont ni purement passives, ni purement actives. Comparons les exemples qui suivent:

(6a) Paul soigne Marie

actif: la notion source Paul est à la fois premier argument et terme de départ.

(6b) (abandonnée, malade) Marie est soignée par Paul

passif: la notion but Marie est à la fois premier argument et terme de départ.

(6c) Marie a Paul qui la soigne

structure mixte: la notion source Paul est premier argument, mais c’est la notion but Marie qui est terme de départ, son statut de repère prédicatif étant signalé par l’emploi de avoir, qui est le marqueur privilégié de la relation «sert de repère à».

En (6c), le terme de départ Marie est, on le voit, celui qui n’a pas été pris comme premier argument dans la relation de base: (Paul: 1er argument (C0) soigner: relateur Marie: 2ème argument (C1)). Dans ce cas, le «soigné» sert de repère à la relation construite entre un «soigneur» (Paul) et un «soigné» (Marie), mais le pronom anaphorique la marque la place du «soigné» dans la relation de base. Il peut arriver que ce nouveau terme de départ (cf. infra (6d) Jean) soit extérieur à la relation et lui serve de repère, comme dans:

(6d) Jean a Paul qui soigne Marie

où l’on a intrication de deux relations: (Jean a Paul) (Paul soigne Marie)

La mise en relation d’un autre terme (Jean) avec la relation de base à trois places (Paul soigne Marie) suppose, en effet, une relation binaire privilégiée entre le premier argument (ici Paul = la source de la relation) et le terme extérieur repère (Jean) mais également une relation entre ce terme extérieur et la relation prédicative tout entière (Paul soigne Marie par rapport à Jean, ce dernier est donc directement concerné par l’action de Paul sur Marie). En (6c), la relation prédicative proprio sensu dit également que Paul soigne Marie, mais, dans ce cas, la construction avec avoir indique que Paul a fait cela par rapport à Marie (Paul soigne Marie par rapport à Marie), pour Marie, donc pour son bénéfice, pour son bien[15].

Notons, par ailleurs, que la relation prédicative qui figure après le repère prédicatif et avoir peut être passivée (au sens limité où l’on change simplement l’orientation de la relation, ce qui concerne, rappelons-le, le choix de la notion but de la relation primitive comme premier argument):

(7a) Paul a son repas de préparé (ex. emprunté à Danon-Boileau, 1987: 8)

Comme au passif, le premier argument est la notion but[16] (son repas), mais c’est un autre terme qui est terme de départ, à savoir Paul (ceci étant indiqué par le fait que ce terme est suivi de avoir[17], qui indique que ce qui est à sa gauche sert de repère à ce qui suit). Il est à noter qu’ici le terme de départ n’est ni la notion source, ni la notion but, c’est un terme issu d’une autre relation prédicative intriquée dans la première, celle qu’implique son repas. D’un point de vue intuitif, on peut dire que (7a) «décrit l’état de Paul au moment de l’énonciation (= il y a Paul, son repas est préparé) […]. Si l’on suppose que le contenu de [7a] comporte trois éléments (Paul, repas, préparer), la description de l’état [5a] organise l’énoncé autour de l’argument Paul»[18] (Danon-Boileau, 1987: 8). Cet exemple[19] montre bien qu’il convient, en effet, de distinguer le premier argument qui permet, on l’a vu, d’orienter la relation prédicative et de modifier éventuellement l’ordre existant dans la relation primitive du terme de départ qui sert de repère organisateur à la relation prédicative (ce à propos de quoi il est prédiqué quelque chose) pour en faire un énoncé.

Comme on peut le voir, ces deux éléments (le choix du premier argument sur lequel on prédique et le choix du terme de départ qui est ce par rapport à quoi on se situe en prédiquant) ne coïncident pas forcément. Si la sélection du terme de départ est filtrée par les règles spécifiques à chaque langue, elle dépend aussi des conditions d’énonciation et du contexte discursif. Une lexis (que l’on peut provisoirement simplifier par le symbole λ ou <r>) ne peut être construite que dans une situation déterminée (notée Sit), qui lui assigne sa référence, soit: < λ ∈ Σιτ > est l’opérateur de repérage[20] et Sit est la variable d’énonciation (Culioli, 1982: 10).

2. 2. Opérations énonciatives

Pour devenir un énoncé dont on pourra dire qu’il est vrai ou faux (assertion), il faudra que cette lexis soit située dans un espace énonciatif muni d’un système paramétré de coordonnées comprenant un repère situationnel-origine Sit0, un repère de l’événement de locution Sit1, un repère de l’événement auquel on réfère Sit2. Soulignons, d’ores et déjà, que chaque repère comprend deux paramètres (S pour le sujet énonciateur (S0), locuteur (S1), le sujet de l’énoncé (S2); T pour les repères (spatio-)temporels de l’origine (T0), de l’acte de locution (T1), de l’événement auquel on réfère (T2)). Nous obtenons le schéma de formule ci-dessous:

λ < Sit2 (S2, T2) Sit1 (S1, T1) Sit0 (S0, T0) (cf. Culioli, 1982: 17)

et nous supposerons, pour simplifier, que < T1 = To > est vraie (et également que < S1 = S0 >) et donc que le locuteur est identifié à l’énonciateur S0[21].

C’est donc au niveau énonciatif que la situation relative à la relation prédicative – définie par l’espace-temps T2 et le sujet syntaxique de cet énoncé S2 – est mise en relation avec le système des paramètres énonciatifs: l’espace-temps de l’énonciation T0 et le sujet énonciateur S0. Il s’agit de paramètres abstraits et non de situations, sujets ou temps historiquement déterminés.

2.2.1. Repère constitutif

C’est à ce niveau qu’il faut choisir le repère constitutif (terme suggéré par Culioli, 1982: 16) qui sert de repère au terme de départ, et est lui-même le domaine organisateur de l’énoncé au sens où il ancre l’énoncé dans une situation d’énonciation. Le repère constitutif est donc un autre type de repère, indiquant par rapport à quoi se situe ce qui est énoncé. Dans un énoncé du type:

(8) Jean, ça fait bien une semaine que je ne l’ai pas vu (ex. de Caron, 2000: 9)

c’est un terme de la relation prédicative (Jean) qui est sélectionné comme repère constitutif du discours, en tant que centre organisateur de l'énoncé puisque c'est autour de lui que s'organise le discours de l'énonciateur. Jean est placé en tête d’énoncé et séparé du reste par une pause prosodique exprimant l’opération de repérage. En français, le repère constitutif peut être complexe, comme en témoigne l’exemple qui suit:

(9a) moi, mon voisin, sa femme, elle boit
            1          2                   3                 4

qui est constitué de plusieurs repères constitutifs emboîtés (cf. à ce propos Culioli, 1976: 120 et 1978: 302-303). Si l’on numérote chacun de ces repères et si l’on fait, à présent, appel à la dichotomie traditionnelle de thème (=support) / rhème (=apport), on constate que:

  • 2 mon voisin constitue le rhème de 1 moi, puis le thème de 3 (sa femme);
  • 3 (sa femme) estle rhème de 2 (mon voisin), puis le thème de 4 (elle boit).

Autrement dit, une structure de type de (9a) semble progresser par une succession de transformations de rhèmes en thèmes (ce qui était nouveau pour le segment précédent devient connu pour le segment suivant). La représentation qui suit (que nous empruntons à Vargas, 1999: 93) rend bien compte de ce jeu récurrent de thématisation/rhématisation:

 

 

Ainsi, il semble bien que dans ce genre d’énoncés, l’énonciateur pose plusieurs repères successifs qui sont autant de thèmes dans l’énoncé (cf. Rivelin-Constantin, 1992: 178). Mais en observant de plus près l’exemple (9a), on constate qu’on a successivement le thème (= terme de départ) exprimé par elle, coiffé par le 3ème repère constitutif sa femme, lui-même coiffé par le 2ème repère constitutif mon voisin, le tout coiffé par le 1er repère constitutif moi. Il est à noter que ce type de configuration linguistique présente une forte cohésion sur le plan morphologique: en effet, mon de 2 renvoie à moi[22]de 1, sa de 3 renvoie à voisin de 2, celle de 4 renvoie à femme de 3. Aussi n’est-il pas étonnant de constater que la place des repères 1, 2 et 3 ne peut subir aucun autre ordre de présentation[23], comme en témoigne l’inacceptabilité des séquences qui suivent:

(9b) *moi, sa femme, mon voisin, elle boit;

(9c) *mon voisin, moi, sa femme, elle boit;

(9d) *mon voisin, sa femme, moi, elle boit;

(9e) *sa femme, mon voisin, moi, elle boit;

(9f) *sa femme, moi, mon voisin, elle boit;

etc.

D’une façon générale, le dispositif est donc assez régulier et consiste à ajouter à une phrase une unité syntaxique ayant généralement une reprise anaphorique dans la phrase. C’est ce qui se passe également dans l’exemple qui suit:

(10) Moi, mon frère, sa maison, le toit, c’est lui qui l’a réparé

où il est bien clair que la séquence soulignée est l’ensemble qui sert de repère au niveau énonciatif, alors que celle en caractères gras correspond au repère au niveau prédicatif. Quant à l’élément clivé lui, il correspond au premier argument, focalisé. Cet exemple montre bien la distinction entre le terme repéré (= premier argument) et les deux termes repères (repère prédicatif et repère constitutif):

Moi, mon frère, sa maison, le toit (repères constitutifs repérés en cascade), c’estlui (premier argument) qui l’a réparé(repère prédicatif)

À l’intar de ce qui se passe en (9a), moi fonctionne, en (10), comme 1er repère constitutif; deux des autres termes posés à sa suite sont déterminés par des déterminants possessifs: mon frère est localisé par rapport à moi; sa maison est localisée par rapport à mon frère. Le fléchage anaphorique le toit se fait par rapport à maison. On a donc là une chaîne de détermination qui part de moi pour aboutir à le toit: l’énonciateur repère donc une première fois l’énoncé par rapport à lui-même puis une deuxième fois les autres éléments les uns par rapport aux autres (cf. Rivelin-Constantin, 1992: 178). On remarquera que les termes détachés de la relation prédicative ont leur représentant anaphorique dans cette dernière: qui (pour «mon frère»), l’ (pour «le toit de sa maison»). En ce sens, on peut dire, à la suite de Bouscaren et Chuquet (1987: 143), que la construction du repère constitutif constitue, comme nous y reviendrons plus en détail ci-dessous, une re-thématisation (ou thématisation forte) de certains éléments de la relation. En anglais[24], même parlé, on aura rarement des énoncés aussi disloqués[25] que (9a) ou (10).

2.2.2. Distinction entre terme de départ et repère constitutif

Comme nous avons essayé de le montrer ci-dessus, tout énoncé (et non pas phrase!) est le résultat d’un agencement d’opérations prédicatives et énonciatives[26] qui font intervenir, on l’a vu, certains “paramètres énonciatifs” et divers opérateurs ( et son dual ) que nous interprétons comme des relateurs de repérage et respectivement de détermination. A la suite de Méry (2004), nous concluons que ce que les linguistes appellent communément thème, lorsqu’ils parlent de thématisation (voir Danon-Boileau, 1987 ou Bouscaren et Chuquet, 1987), correspond, en fait, dans la T.O.P.E., à deux types de repère:

  • ce qui sert de repère au niveau prédicatif, que l’on appelle terme de départ de la relation prédicative (c’est ce par rapport à quoi on se situe en prédiquant ce que l’on prédique);
  • ce qui sert de repère au niveau énonciatif, que l’on appelle repère constitutif de l’énoncé (c’est ce par rapport à quoi on se situe en énonçant ce que l’on énonce).

Terme de départ et repère constitutif peuvent se confondre, comme dans l’exemple qui suit:

(11a) Marie est malade

être sert à signaler que Marie est repérée par rapport à la propriété /malade/, et dans ce cas Marie sert de thème à la fois au niveau prédicatif et au niveau énonciatif, faute d’indication du contraire.. En effet, il faut préciser qu’en l’absence de repère constitutif explicite, c’est le terme de départ qui, par défaut, sert de repère constitutif[27]. Cette coïncidence a lieu également dans l’énoncé qui suit:

(11b) Marie, elle a sa fille qui est malade

Marie est toujours le repère au niveau prédicatif et énonciatif, mais c’est sa fille qui est repérée par rapport à la propriété malade. Autrement dit, la relation <sa fille est malade> est présentée comme repérée par rapport à elle (Marie) qui est choisie comme terme de départ de l’énoncé. Ici avoir sert à repérer tout l’énoncé par rapport à Marie. Cette opération qui consiste à reprendre une relation prédicative pour la repérer par rapport à un autre sujet s’appelle re-thématisation (cf. Bouscaren, 1991: 69)[28]. C’est donc une opération qui consiste à changer le terme de départ de la relation prédicative. Pour établir une intrication des deux relations (Marie a sa fille) (sa fille est malade), ce type d’énoncé mobilise, on le voit, le marqueur qui qui identifie deux occurrences d’un même terme, l’une dans une prédication d’existence par rapport à la situation d’énonciation, et plus particulièrement par rapport au sujet de l’énoncé (elle a sa fille), l’autre dans une prédication prise en bloc (sa fille est malade). On voit que la distinction entre ce à quoi on attribue une propriété, qui est un terme repéré (ici, sa fille) et ce par rapport à quoi on se situe, aux niveaux prédicatif et énonciatif, qui a donc statut de repère (Marie), est tout à fait essentielle. Notons que la notion traditionnelle de thème est ramenée ici à deux types de repère, prédicatif et énonciatif, ce qui n’est déjà plus le cas dans l’exemple qui suit:

(11c) Marie, sa fille est malade

Marie est bien le repère constitutif de l’énoncé comme dans les deux autres cas, mais c’est sa fille qui est repérée par rapport à la propriété malade, et qui sert de terme de départ.

2.2.3. Stabilité référentielle du repère constitutif

Comme le font remarquer Bouscaren et Chuquet (1987: 143), le repère constitutif est donc soumis à des conditions de stabilité référentielle:sa détermination doit être «déjà faite» pour qu’il puisse servir à son tour de repère,comme en témoigne le contraste d’acceptabilité entre les deux paires d’exemples qui suivent:

(12a)*Un canard, il vit des années

(12b) Un canard, ça vit des années[29]

(13a) *quelqu’un, il est parti avec ma voiture

(13b) Pierre, il est parti avec ma voiture

La nécessité d’avoir un repère constitutif stable, identifié provient de son rôle de centre organisateur de l’énoncé. Il est bien clair que l’on ne peut pas prendre n’importe quel terme pour être repère de l’énoncé. Il est intéressant de voir que le terme de départ et le repère constitutif peuvent être marqués séparément même lorsqu’ils sont coréférentiels, comme c’est le cas en (13b) → repère constitutif: Pierre = il:repère prédicatif.

Un élément but dans la relation prédicative ne peut devenir C0 qu’à la condition qu’une opération de détermination quantitative ait eu lieu. Ceci expliquerait l’acceptabilité douteuse de séquences telles que:

(14a) *de la viande est mangée par les tigres.

La phrase générique:

(14b) les tigres mangent de la viande

ne peut pas être passivée car avec la phrase active (14b), on prédique quelque chose de “tigres”: on dit que les tigres ont une certaine propriété, alors qu’en (14a), la phrase passive, ce sont les propriétés de “viande” qui se retrouvent au centre de l’opération de prédication. Etant donné qu’aucune opération de quantification n’a eu lieu, ce terme est défini en extension, “tigres” apportant une restriction sur la classe des agents potentiels, à l’exclusion de tout autre agent possible.

On a donc bien compris que:

(i) la thématisation d’un terme ne peut pas être considérée “comme une opération qui viendrait se surajouter, elle est liée à la quantification, à l’orientation du prédicat, et toutes ces opérations sont liées entre elles” (Culioli, 1976: 67);

(ii) le choix d’utiliser le passif n’est pas une simple manipulation syntaxique[30] (cf. Moignet, 1981: 269), mais un choix énonciatif, celui du thème sur lequel centrer le propos[31].

La nécessité de la détermination de l’argument terme de départ de la relation prédicative à la diathèse passive bloque l’application d’un schéma mécaniste qui consisterait à opérer la permutation. Sur ce point, les exercices de transformation sont utiles. Mais il est important de les associer à des exercices montrant que, dans un contexte donné, les énoncés passifs et actifs ne sont pas interchangeables.

3. À propos de la dislocation et du clivage en français

Par ailleurs, il existe, en français, divers moyens morpho-syntaxiques pour thématiser un non agent dans une construction active. Pour marquer une telle thématisation[32], le français peut faire appel, comme on l’a indiqué ci-dessus, à des structures disloquées:

(15a) ses fleurs, ma voisine les vend au marché d’Arpajon (thématisation du C1, ses fleurs,par le biais d’une dislocation à gauche de l’objet-patient),

(15b) au marché d’Arpajon, ma voisine les vend très bien, ses fleurs (double dislocation à gauche et à droite)

Alors que les formes clivées ne peuvent affecter qu’un seul SN[33] (ex. (16) c’est au marché d’Arpajon que ma voisine vend ses fleurs → focalisation sur le SN locatif: au marché d’Arpajon qui est introduit ici par le présentatif c’est ... que), la dislocation est une opération récursive puisqu’elle permet, comme on l’a vu, plusieurs repères constituifs emboîtés au sein d’un même énoncé. Il existe, en outre, des différences formelles et sémantiques entre dislocation à gauche (cf. supra, (15a)) et dislocation à droite (cf. supra, (15c) ma voisine les vend au marché d’Arpajon, ses fleurs) que nous n’étudierons pas ici. Ajoutons seulement qu’un même énoncé peut combiner les deux opérations de dislocation et de clivage:

(17) ces fleurs, c’est ma voisine qui les vend au marché d’Arpajon

Comme en (15a), ces fleurs maintient, en (17), son statut de repère au niveau énonciatif (= repère constitutif), mais cette fois-ci le repère au niveau prédicatif est le prédicat < ( ) vendre fleurs>, plus précisément on s’intéresse à ce qui peut instancier la parenthèse vide dans ce prédicat, et on trouve une valeur et une seule (ma voisine).

Il est donc possible de thématiser le non agent, en français, sans recourir nécessairement à la diathèse passive:

(18) ces fleurs sont vendues par ma voisine au marché d’Arpajon (passivation, thématisation du patient: ces fleurs).

4. Considérations finales

Les mots, les expressions linguistiques que nous choisissons constituent un instrument très raffiné de mise au point de l’imagerie par laquelle nous conceptualisons le monde. Comme on l’a vu, Culioli (1973, 1990) cherche justement à mettre en place des opérations et des relations générales dont certains marqueurs linguistiques sont les traces observables; ces opérations et relations ont vraisemblablement un statut cognitif. Il est bien évident que les locuteurs choisissent des modes d’expression en fonction de leur intention de communication. Pour rendre compte de telle ou telle situation référentielle, il semblerait que l’on doive configurer l’organisation particulière d’un processus actionnel en mettant en place deux types d’opérations:

- l’une que l’on appellera point de vue actanciel: celui-ci consiste à choisir le point de départ de la configuration. L’événement décrit peut être repéré par rapport à son actant-source (= diathèse active), son actant-but (= diathèse passive) ou bien par rapport au procès lui-même (= si l’on fait appel à une diathèse impersonnelle du type il a été utilisé une pelle pour le ramassage des feuilles, cf. supra, note 9).

- l’autre que l’on appellera sélection actancielle: celle-ci consiste à retenir sur l’ensemble des actants, tous ou certains d’entre eux.

Il est bien évident que ces deux procédés se combinent pour former un type de construction phrastique. Comme le note avec justesse Larjavaara (2000: 24):

«en produisant un énoncé, le locuteur choisit donc de référer à un procès, à des participants et à des circonstances de ce même procès - ou de ne pas y référer. Il ne les choisit pas innocemment mais en fonction de ce qu’il veut communiquer».

Comme nous avons essayé de le montrer dans cette étude, thématiser, c’est constituer en thème l’élément que l’on veut privilégier dans un énoncé, c’est aussi poser cet élément dans un contraste implicite avec les autres éléments de la relation. La thématisation est, en effet, une opération qui “met en relief” soit un élément qui est déjà thème au niveau prédicatif (ex. (1g) Jean, il a lavé le linge) soit un tout autre élément (ex. (1c) le linge, Jean l’a lavé). Lorsque nous considérons l’énoncé de surface, après toutes les opérations énonciatives de détermination (temps-aspect-modalité), le terme de départ de l’énoncé de surface (le “repère constitutif”) peut être le même que celui de la relation prédicative (ex. (1a) Jean lave le linge). Le choix du premier argument comme terme de départ est le choix «par défaut», ce qui est sans doute lié au fait qu’il contribue à construire, comme en (1a) Jean lave le linge, la valeur la plus neutre, la valeur faiblement unique (cette valeur-là «sans plus») (cf. supra, ex. (2a)). Au niveau prédicatif, la thématisation est donc le choix du terme de départ. Si aucun repère constitutif identifiable séparément ne vient coiffer ce repère prédicatif, c’est ce dernier qui fonctionne, au niveau énonciatif, comme un repère constitutif. En revanche, si ce repère énonciatif fait l’objet d’un marquage autonome, on obtient, on l’a vu, des constructions dites de dislocation qui se caractérisent par une dissociation entre la structure syntaxique régulière et le constituant mis en valeur par l’énonciation (cf. supra, (1c)).

On ne confondra pas l’opération de dislocation avec une simple “mise en valeur” qu’on appelle “focalisation” (ex. (1h) le linge, c’est Jean qui l’a lavé). Dans (1a) ou (1g), Jean est à la fois terme de départ de la relation prédicative <Jean laver linge>, et repère constitutif au niveau énonciatif; dans (1c) Jean est choisi comme premier argument (terme sur lequel on prédique) et comme terme de départ (repère au niveau prédicatif), mais pas choisi comme repère au niveau énonciatif: les deux choix sont bel et bien distincts, et donc dissociables; dans (1h), le linge demeure, comme en (1c), le repère constitutif de l’énoncé, mais cette fois-ci le repère au niveau prédicatif est le prédicat < ( ) laver linge > dans la mesure où l’on en plus une focalisation, par c’est ... que, du terme Jean (cf. Culioli, 1990: 51-52). On a, pour < ( ) laver linge >, une valeur et une seule, donc fortement unique, Jean.

Le terme de départ correspond manifestement à une forme de thème au niveau prédicatif (c’est ce par rapport à quoi on se situe en prédiquant ce que l’on prédique). Le repère constitutif correspond, quant à lui, à une autre forme de thème au niveau énonciatif. Comme le remarque, à juste titre, Rémy (2004: 40), c’est ce repère énonciatif (constitutif) qui sert à donner un point d’ancrage à l’ensemble prédiqué, et c’est sans doute lui qui correspond le mieux à ce que certains linguistes étrangers à cette théorie appellent le thème de l’énoncé. On a bien compris qu’il peut y avoir coïncidence entre ces deux types de thème (prédicatif et énonciatif). C’est le cas dans de nombreux énoncés à l’actif ou au passif en français. Mais, comme il a été dit plus haut, à la différence de ce que fait l’anglais, le français oral distingue souvent ces deux repères, notamment dans les structures que l’on appelle traditionnellement disloquées.

Le plus souvent, l’insistance sur un des éléments de la phrase conduit, on l’a vu, à une inversion de l’ordre logique[34] (sujet-verbe-complément d’objet direct): ex. J’ai vu ton frèreton frère, je l’ai vu (à savoir l’antéposition de l’objet direct ton frère avec reprise sous forme du pronom l’). La structure c’est ... qui/que comporte ceci d’intéressant qu’elle permet de placer l’élément thématisé en tête de phrase -ordre affectif- tout en maintenant l’ordre logique: c’est ton frère que j’ai vu. La fréquence de structures explicitement focalisantes s’explique par le fait qu’elles permettent d’allier ordre logique et ordre affectif des unités dans la phrase.

 

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Notes

[1] - En effet, comme le fait remarquer Lévy (2000: 13), la notion neige par exemple comporte «chez les Esquimaux une dizaine de termes linguistiques pour traduire un environnement varié qui change avec chaque saison. En France, nous disposons de neige, glace, grésil, poudreuse, grêle». En Afrique, un seul terme suffira pour transcrire cette même réalité notionnelle.

[2] - L’instanciation est une opération qui consiste à remplir au moyen de notions spécifiques les places d’un schéma de lexis.

[3] - Pour Culioli (1976: 40), les relations primitives constituent une classe finie, et il en propose la typologie suivante: i. relations spatiales (ex.: intérieur/extérieur, comme dans crayon (être dans) tiroir); ii. relations inter-sujets (ex.: agentivité, comme dans Pierre (être vainqueur-être vaincu) Paul); iii. relations de repérage (ex.: identification, comme dans Paris (être) capitale de la France ou différenciation comme dans livre (être-à) Paul).

[4] - Notons que la relation primitive est une hypothèse de travail: elle n’a, à ce stade, pas encore reçu d’expression proprement linguistique. Bien qu’elle soit de nature prélinguistique, elle est indispensable pour comprendre des énoncés linguistiques réels de type: (i) Jean se lave tous les jours ou (ii) les nourrissons se lavent tous les jours. Comme le remarque à juste titre Rivière (1995: 190), entre (i) et (ii), on assiste à une perte d’autonomie, une «chosification» du sujet. En (i), Jean est considéré comme un adulte responsable, ce qui permet la construction du «réfléchi» (a→a); en revanche, il est impossible de l’interpréter, en (ii), comme «réfléchi», car, bien qu’animés et humains, les nourrissons n’ont aucune autonomie: on a donc affaire ici à une construction en se de sens passif qui met en position de sujet syntaxique le terme but de la relation primitive (b→ ( )). Notons finalement que dans un énoncé du type (iii) les enfants se lavent tous les jours, l’interprétation n’est pas de «sens passif» de façon évidente. En effet, on hésite entre, d’une part, «sens passif», parce que la construction en question pourrait fort bien être énoncée comme un conseil par un pédiatre («les enfants, ça se lavent tous les jours»), et d’autre part le sens «réfléchi», dans la mesure où un enfant peut être autonome. Il est bien clair que l’on ne se trouve plus ici dans le cadre bien balisé d’une représentation rigide, immuable de la signification. La «déformabilité» (cf. Culioli, 1986: 5), c’est-à-dire la possibilité de faire varier des structures dans un jeu interprétatif semble être une des propriétés du langage en acte.

[5] - On peut définir donc pour chaque verbe un point de vue typique, auquel correspond un ordre canonique (virtuel). Le point de vue typique lié à manger implique forcément, au niveau notionnel (dite relation primitive), l’ordre <mangeur mangeable>. En effet, si on rapproche Marie / manger / pomme, l’action exprimée par manger a Marie pour origine et pomme pour aboutissement. Le contraire n’est pas concevable.

[6] - Pour éviter d’avoir recours à un système hétérogène mêlant propriétés interprétatives de l’objet, construction énonciative, paramètres syntaxiques, Culioli (1968: 10) ne parle pas de complément d’objet (ou de sujet) mais de complément de rang 1 (C1) (et de complément de rang = C0). On a ainsi, au niveau strictement positionnel, un ordonnancement déterminé par la seule linéarité de la phrase: de gauche à droite, C0, puis, (éventuellement) C1, puis C2.

[7] - Le premier argument a donc un statut à part (par rapport aux autres arguments). Lorsque l’on fait allusion à événement mettant en jeu plusieurs arguments (notamment, un agent, un patient et un bénéficiaire), il y en a un qui a un statut privilégié: on dira par exemple Le Conseil des Ministres (agent) a accordé une augmentation aux fonctionnaires; une augmentation (patient) a été accordée (par le Conseil/en Conseil…); les fonctionnaires (bénéficiaire du procès accorder) se sont vu accorder une augmentation (en Conseil…) (exs de Lévy, 2000: 43). En français, les constructions en se voir + Infinitif servent précisément à thématiser le destinataire (l’objet indirect) du procès, à l’instar des constructions en se faire + infinitif (ex.: il s’est fait couper les cheveux).

[8] - En ce sens, le passif est le double converse de l’actif, car il implique que l’on fasse le choix inverse de l’actif à deux niveaux distincts (au niveau du premier argument et au niveau du repère prédicatif).

[9] - En fait, comme le fait remarquer Lévy (2000: 29), il est important de montrer aux élèves comment, à partir d’une relation primitive stable (par exemple: <boucher vendre viande>), on peut fabriquer un nombre illimité d’énoncés, en variant le temps du verbe, les déterminants et en changeant le terme de départ de l’énoncé. Selon l’essentiel du message à faire passer, on peut décider de remplir la première place de son schéma prélinguistique avec le sujet agent (cas de l’actif), avec le sujet patient (cas du passif) ou encore avec un sujet grammatical neutre (il, c’…): le boucher a vendu beaucoup de viande [on insiste sur le boucher]; toute la viande a été vendue en moins d’une heure [on insiste sur la viande]; de la viande? Il en a été vendu beaucoup; il s’est vendu beaucoup de viande [on insiste sur l’acte (de vendre) lui-même]. D’autres énoncés peuvent être proposés: il y a eu beaucoup de viande de vendue; il en a beaucoup vendu, de la viande, le boucher! (exs proposés par Lévy, 2000: 35). Notons, tout d’abord, que la construction d’une famille d’énoncés comme celle qui précède constitue une excellente occasion de revoir les accords du participe passé (dans ce cas, de vendu). Cet exercice présente également l’avantage de faire apparaître aux élèves que ce que l’on perçoit du réel (par exemple, le fait qu’un boucher vende de la viande) peut se traduire linguistiquement de diverses façons. Alors que la relation primitive présente, on l’a vu, un ordre originel donné, fixe, l’agent étant toujours, dans une relation agentive, la notion source, et non pas le patient (ce qui veut dire tout simplement que <boucher vendre viande> n’est pas interchangeable avec <viande vendre boucher>), l’orientation de l’énoncé est bel et bien une opération linguistique, un choix de l’énonciateur.

[10] - D’une façon un peu naïve, on peut dire que le terme de départ est l’élément le plus déterminé, “à partir duquel va s’organiser la relation prédicative” (Culioli, 1982: 14). Pour une présentation plus complète, voir Culioli (1982: 14-16), Bouscaren et Chuquet (1987: 140-142) ou Méry 2004.

[11] - Dans une langue courante, on emploie le terme “se repérer” lorsqu’on évalue un lieu ou une distance par rapport à un point fixe donné. En termes linguistiques, on est proche de ce sens, mais sur un plan abstrait: on se repère par rapport à un point donné qui sera la situation dans laquelle se trouve celui qui est à l’origine de l’énoncé. Le repérage est donc la construction binaire entre un terme repère et un terme repéré: ce dernier voit ainsi son degré de détermination accru (cf. entre autres, Culioli, 1976: 107; 1982: 4-5). L’opération s’effectue, comme on peut le voir, grâce à un opérateur de repérage (symbolisé par un epsilon souligné: ) qui fait correspondre un terme avec un repère: X (= repéré) Y (= repère). Le repérage correspond donc à l’opérateur où X Y se lit «X est repéré par rapport à Y» ou à l’opérateur ' (= opérateur dual de ) où X Y se lit «X sert de repère à Y». Cet opérateur peut prendre différentes valeurs: (i) identification (=), où X est identifiable à Y (on ne dira pas “identique”, car la relation d’identité est une relation mathématique qui n’apparaît pratiquement jamais dans les langues); (ii) différenciation (¹), où X n’est pas identifiable à Y. X est alors localisé par rapport à Y; (iii) valeur de rupture (w: oméga), où X n’est alors ni identifié à Y, ni différent de Y. Cette valeur implique que le repérage ne se fait pas par rapport à Y. À ces trois valeurs, vient s’ajouter une quatrième valeur, notée * (étoile), qui est définie comme composite, dans la mesure où elle “est un mixte des trois premières: ou ≠ ou =, ni ≠ ni = (c’est-à-dire ω)”.

[12] - Pour une définition du concept de C0, voir infra note 6.

[13] - En effet, l’extraction d’un constituant de l’énoncé peut se faire, en français, en insérant celui-ci dans l’opérateur d’extraction c’est… qui / que formé du présentatif c’est et du pronom relatif qui (c’est le chat qui a mangé la souris) ou que (c’est la souris que le chat a mangée). Cette extraction entraîne une focalisation sur ce constituant, de ce fait appelé focus. Ce constituant extrait apporte l’information essentielle en spécifiant à qui / quoi s’applique le présupposé.

[14] - Notons que, dans l’énoncé mon sac, il est pratique, c’est la propriété être pratique qui est prédiquée sur mon sac qui joue, cette fois, le rôle de terme de départ. C’est le pendant du cas décrit en 1 à propos de l’exemple (2a).

[15] - En (6c) et (6d), le terme de départ est posé comme étant le bénéficiaire d’un procès (ici, soigner) dont le premier argument (Paul) de la relation est l’agent. S’agissant d’un être animé, doué de volonté donc, il n’y a qu’un pas du rôle de bénéficiaire à celui d’agent instigateur. En effet,si certaines conditions sont réunies, la structure concernée peut prendre une interprétation causative, comme en témoigne l’exemple qui suit: Jean fait soigner Marie par Paul. Dans ce cas, on obtient, en effet, une relation privilégiée entre un agent-instigateur (Jean) et un agent-exécuteur (Paul) que l’on rendrait comme suit en anglais: John had Paul look after Mary. On notera qu’en anglais le repérage par rapport au nouveau terme de départ a également comme marqueur de surface l’auxiliaire have (qui fonctionne, à l’instar de avoir, comme un opérateur de localisation).

[16] - À noter ce fait tout à fait essentiel que la marque de prédication (être) que l’on a habituellement avec l’orientation passive est effacée en (7a). Cette forme serait une pure marque de prédication, indiquant que le premier argument (son repas) est repéré par rapport au prédicat (ici réduit au participe passé préparé, car il n’y a pas de deuxième argument: en effet, le vrai sujet du procès (être) préparé est l’agent exécuteur qui n’est pas mentionné dans l’énoncé). Rappelons que le passif revient généralement à la suppression de l’argument agent, donc à une forme d’intransitivisation.

[17] - Avoir et être, dans le modèle proposé par Culioli (1976: 40, 53, 85-87), sont envisagés comme marqueurs prédicatifs de l’orientation de la prédication: être = : X repéré Y repère; avoir = ': X repère Y repéré; (Chuquet, 1987: 103). Autrement dit, être est un relateur correspondant à l’opérateur métalinguistique epsilon , avec la valeur «être repéré par rapport à»; avoir correspond, quant à lui, au dual, dit epsilon-miroir ', avec la valeur «servir de repère à». Autrement dit, être est un marqueur de repérage à valeur d’identification (dans mon voisin de palier est M. Dupont, il y a une parfaite identité entre les deux notions (X=Y) que l’on peut d’ailleurs inverser: M. Dupont est mon voisin de palier être sert à attribuer une propriété au sujet syntaxique qui est à sa gauche, et qui a un statut de terme repéré, la propriété étant représentée par l’attribut qui est à sa droite, et qui a un statut de repère). Avoir effectue, en revanche, un repérage de type localisation qui indique forcément une différenciation (deux termes considérés comme identiques ne peuvent donc pas être localisés l’un par rapport à l’autre); dès lors, dans Jean a une voiture, il n’y a pas d’identification entre Jean et voiture. Voiture est repérée par rapport à Jean (rappelons qu’avoir intervient dans des relations dont le premier terme – ici, Jean – est un repère → dès lors, on interprète cet énoncé en termes de possession parce que Jean est un animé humain et voiture est un objet «aliénable» par rapport au sujet de l’énoncé (Jean)). Notons qu’avoir permet d’éviter la maladresse voire l’inacceptabilité d’un sujet indéfini, dont l’existence du référent n’est pas préconstruite (comparer: ??une voiture est à Jean et Jean a une voiture).

[18] - Pour ce linguiste, dans un énoncé du type (7b) Paul a préparé son repas, on assiste, par rapport à (7a) Paul a son repas de préparé, à un changement du rôle thématique du sujet syntaxique (Paul) et à un changement de la valeur aspectuelle du passé composé. Alors que (7b), Paul a une valeur agentive, ce qui rend impossible la mise en place d’un second agent: (7b’) *Paul a préparé son repas par Marie, en (7a), le sujet Paul n’a pas de valeur agentive, comme le montre l’acceptabilité qui résulte de l’adjonction d’un élément qui a clairement un rôle d’agent: (7a’) Paul a son repas (de) préparé par Marie. Paul a ici une valeur casuelle de bénéficiaire. On notera, par ailleurs, que lorsque l’on passe de (7a) à (7b), «la valeur aspectuelle du passé composé n’est plus celle d’un «accompli dans le présent» mais celle d’un «aoriste du discours»» (Danon-Boileau op. cit), ce qui veut dire qu’en (7b), il s’agit d’un événement dont la description organise l’énoncé autour du prédicat.

[19] - On ne peut évidemment pas s’empêcher de rapprocher les constructions françaises de type de (7a) Paul a son repas de préparé des constructions anglaises du type: John had his car repaired. Comme en (7a), c’est bel et bien la notion but (his car) qui est le premier argument mais c’est également un autre terme qui est terme de départ, à savoir John (son statut de repère prédicatif étant signalé par l’emploi de have, qui est le marqueur privilégié de la relation «sert de repère à»).

[20] - Pour une définition de cet opérateur de repérage, voir infra note 11.

[21] - Nous aurons donc affaire à des énoncés où l’énonciateur prend en charge, d’une façon positive ou négative, la validation de la relation prédicative, i.e. à des énoncés à valeur d’assertion stricte (selon les termes de Campos et Xavier, 1991: 339). Alors que la validation se situe au niveau de la relation prédicative, l’assertion se situe sur le plan des opérations énonciatives: c’est déjà une modalité, c’est-à-dire une façon qu’a l’énonciateur de prendre en charge la relation prédicative. Évidemment, il est également des énoncés où S1 n’est pas assimilé à S0, en ce sens où celui qui parle – le sujet-énonciateur, S0 – rapporte littéralement les paroles de quelqu’un d’autre, le locuteur, S1. Nous avons affaire, dans ce cas, à des situations de discours rapporté directement et de discours indirect où le sujet-énonciateur S0 ne prend pas en charge l’énoncé puisque celui-ci est en réalité repéré par rapport au locuteur S1, celui à qui revient, entre autres, les choix diathéthiques, temporo-aspectuels relatifs à la relation prédicative.

[22] - Mais comme le fait remarquer Thibault (s.d.: 5), s’il est vrai que l’ordre des clitiques (cf. infra, la lui) est obligatoire, fixe, celui des éléments toniques (cf. infra, moi) semble, en revanche, libre. En effet, inséré dans un contexte oral, spontané, marqué par l’expressivité, un exemple du type de: J’ai rendu sa moto à Pierre pourrait fort bien prendre la forme qui suit: Mais je la lui ai rendue, à Pierre, sa moto, moi!, mais on pourrait avoir également: Mais je la lui ai rendue, moi, sa moto, à Pierre!; Mais je la lui ai rendue, sa moto, moi, à Pierre!; Mais je la lui ai rendue, sa moto, à Pierre, moi!, etc. Comme le note ce linguiste à qui nous empruntons ces exemples, «on découvre là une langue française «en liberté», très éloignée des carcans d’une certaine idéologie qui voyait dans le respect de l’ordre SVC une des caractéristiques définitoires de cette langue».

[23] - Il nous faut, néanmoins, noter que l’ordre de présentation des éléments détachés peut servir à transmettre une information de type contrastif (focus contrastif), c’est–à–dire un apport informationnel impliquant une opposition paradigmatique (comparons, à ce titre, mon frère, le steak, il l’aime saignant (moi, par contre, etc.) et le steak, mon frère, il l’aime saignant (mais le gigot…) (exs Bouscaren & Chuquet, 1987: 179).

[24] - On notera que l’anglais standard, surtout à l’écrit, fait très généralement coïncider le repère prédicatif et le repère énonciatif, à la différence de ce que fait le français, en particulier le français parlé, qui souvent les distingue, dans ces structures que l’on appelle traditionnellement disloquées comme: moi, ma mob, ses freins, ils déconnent; moi, mon père, sa voiture, elle va plus vite que la tienne; moi, ma sœur, son chien, c’est un caniche. On imagine mal une traduction littérale de ces énoncés en anglais.

[25] - Qu’est-ce qu’une structure disloquée? Nous reprendrons ici la définition qu’en donne Guillemin-Flescher (1981: 509): “On parle de structure disloquée lorsqu’on pose un premier repère et ensuite on introduit une relation prédicative: Cette décision, elle m’étonne. En schématisant, on a donc: 1er repère: Cette décision, relation prédicative: elle m’étonne (reprise de cette décision, fonctionnant comme C0 et terme de départ de la relation). On a donc ici un thème (ici: cette décision) et un commentaire (elle m’étonne). Quant au terme repère, que nous appellerons tout au long de cette étude terme détaché, il peut être soit en tête d’énoncé comme nous venons de le voir, soit en fin d’énoncé comme dans: J’aime les enfants, moi; J’peux pas la sentir, cette fille et même dans certains cas, en enclave au milieu de l’énoncé: J’adore ça, moi, les radis. Rappelons également que le terme détaché peut aussi bien être un sujet qu’un COD ou un COI, et qu’en français, il peut y avoir dislocation à gauche (ex: Pierre, il aime le chocolat), à droite (ex: Mais j’ai faim, moi) et même des structures disloquées plus complexes, i.e. des dislocations multiples (ex: Alors toi, les cartes, tu aimes ça? Ha, moi, les cartes, c’est ma passion. En ce qui concerne la postposition du terme détaché, “il semble”, comme dit Guillemin-Flescher, “que ce soit alors la relation prédicative qui joue alors le rôle de repère’. C’est en tous cas ce que nous pensons et c’est pourquoi l’appellation “terme détaché” semble ici mieux convenir que celle de “terme repère”, et évite toute confusion.

[26] - Si l’on reprend l’ordre logique de la construction d’un énoncé, on peut distinguer, comme nous avons tâché de le montrer dans cette étude, trois plans: i) celui des notions avec les propriétés primitives; ii) la construction de la relation prédicative, iii) celui de la construction de l’énoncé avec tous les repères énonciatifs (choix d’un temps, d’un aspect, d’une modalité et détermination des noms). Autrement dit, de la relation primitive, où l’on est au niveau du prédicable, on passe à la relation prédicative, où l’on a du prédiqué, qui n’est encore que de l’énonçable, pour arriver enfin à l’étape de l’énonciation proprement dite.

[27] - Autrement dit, il existe également des énoncés sans repère constitutif apparent. C’est le cas dans de nombreux énoncés à l’actif ou au passif en français.

[28] - Cette opération est très fréquente en français: il s’agit, en fait, d’énoncés où l’énonciateur repère les choses par rapport à lui-même (dès lors, au lieu de: une dent me fait mal; mon fils me fait de la fièvre, etc., l’énonciateur produit des énoncés du type: j’ai une dent qui me fait mal; j’ai mon fils qui me fait de la fièvre, etc.). Dans ces constructions comme ailleurs, avoir signale que l’on a un repère à gauche et un repéré à droite (cf., supra, note 17). Dans j’ai ma voiture qui est en panne, avoir sert, en effet, à opérer une re-thématisation de la relation de départ ma voiture est en panne ? dans cette relation de départ, le thème ma voiture est le terme de départ de la relation prédicative; c’est pourquoi, lorsque l’énonciateur se prend, sous la forme de je, comme thème au niveau énonciatif, il procède, selon Bouscaren (1991: 69), à une re-thématisation. On remarquera que cette opération implique que l’on reste dans la sphère du sujet. En effet, il s’agit, dans chacun de ces énoncés, d’un proche (mon fils) du sujet, d’un objet qui correspond à une possession inaliénable (une dent) ou d’un objet, relié non directement à ce sujet mais à des biens appartenant à celui-ci (comme la voiture). Ce concept de re-thématisation s’avère très utile lorsqu’on essaie, par exemple, de rendre compte de la double interprétation que peut prendre une construction anglaise du type de: I had my car stolen. Selon le contexte, cet énoncé peut être interprété soit comme une re-thématisation (‘j’ai ma voiture qui a été volée’ ou ‘on m’a volé ma voiture’) soit, quoique moins probable, comme un énoncé causatif (‘j’ai fait voler ma voiture’), si certaines conditions sont réunies (i.e. si l’on envisage que le sujet je a organisé le vol pour toucher l’assurance par exemple).

[29] - Par extraction d’un spécimen représentatif de la classe, le fléchage anaphorique (ça) marque un renvoi à la classe où tous les canards sont qualitativement identiques. L’énoncé prend donc une valeur générique.

[30] - On continue à recourir, dans tous les manuels scolaires, au modèle transformationnel qui est associé à l’idée qu’«il n’est possible de parler de passif qu’en liaison avec l’actif» (Gaatone, 1998: 16). La conséquence immédiate d’une telle optique est que le passif doit, nécessairement, être comparé, opposé, à l’actif, en ce sens qu’on considère comme donnée de base la phrase déclarative, affirmative, active, neutre. Rappelons, en effet, qu’en grammaire descriptive, la voix passive est souvent présentée comme étant «l’inverse» de la voix active, le complément d’objet de la voix active venant occuper la position sujet de la phrase à la voix passive. On sait pourtant qu’une telle manipulation purement mécanique n’est pas valide pour certains exemples, pas plus de l’actif vers le passif qu’en sens inverse (cf. Gaatone, 1998). Il y a donc lieu dans un premier temps de définir les conditions d’apparition de la diathèse passive.

[31] - Comme le fait remarquer Bouscaren et al. (1996: 73), c’est encore plus visible en anglais qu’en français. En effet, en anglais, à la différence du français, le passif permet d’utiliser des verbes complément d’objet indirect (Mary was offered a senior position in the firm). Si l’on utilise, dans ce cas, le passif, c’est pour centrer l’énoncé sur la relation entre ce troisième terme (l’objet indirect Mary) et le prédicat (was offered) et pour laisser l’agent de côté.

[32] - En français, on a, en effet, diverses structures thématisatrices. Si l’on prend un énoncé de départ correspondant au schéma primaire SVO comme: le chat a mangé la souris, on obtient, après manipulations, plusieurs séries d’énoncés thématisateurs: • les structures disloquées: le chat, il a mangé la souris (thématisation du C0 le chat); la souris, le chat l’a mangée (thématisation du C1 la souris)3;• les formes clivées: c’est le chat qui a mangé la souris; c’est la souris que le chat a mangée; il y a le chat qui a mangé la souris et: j’ai mon chat qui a mangé une souris;• les séquences thématisatrices: moi, mon chat, il a mangé une souris ; ou même: moi, ma sœur, son chat, il a mangé une souris. D’autres exemples: moi, ma sœur, son chien, c’est un caniche; moi, mon père, sa voiture, elle va plus vite que la tienne. Ces trois grandes catégories ne sont certainement pas les seules structures thématisatrices du français mais cette étude ne prétend pas à l’exhaustivité.

[33] - À la différence du clivage, la construction pseudo-clivée opère non pas sur un syntagme nominal ou sur un substitut, mais sur l’organisation d’ensemble de l’énoncé. Elle consiste, en effet, à placer en tête d’énoncé un élément dont l’explicitation est donnée dans la seconde partie introduite par c’est: ce dont j’ai besoin, c’est de calme. À la différence du clivage qui met en tête le posé, la construction pseudo-clivée met en tête ce qui est présupposé, le posé qui en apporte l’explicitation venant ensuite (Rouayrenc, 2010: 70-71). Dire ce qui m’intéresse - c’est apprendre à penser (ex. trouvé sur internet) présuppose que quelque chose m’intéresse et ce quelque chose, apprendre à penser, est explicité dans la seconde partie.

[34] - En effet, le syntagme nominal déplacé en tête (ton frère) n’occupe plus la place qui est la sienne dans un énoncé canonique (j’ai vu ton frère). Ainsi, l’objet direct (ton frère) est placé avant le sujet (ton frère, je l’ai vu).